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Il n'aura plus à peindre un prince déplorable,
Roi fugitif d'un peuple misérable,

De malheurs en malheurs jeté par les destins;
Ni quelques barques vagabondes

Au gré d'Éole errantes sur les ondes,
Et demandant un port à des climats lointains;
Mais un grand peuple heureux dans sa patrie,
Riche de vos vertus et de son industrie,

Mais vos sujets et vos vaisseaux,

Heureux instituteurs d'un monde encor barbare; Par le commerce le plus rare,

Et des échanges tout nouveaux,

Portant des mœurs et des lois au Tartare,

Et rapportant ses grains et ses troupeaux.

C'est sur les pas de mon modèle,
C'est en son nom que ma muse aujourd'hui,

Son admiratrice fidèle,

Ose solliciter l'appui

D'un prince humain, sensible et juste.

Virgile est mon Mécène; et qui peut mieux que

Me protéger auprès d'Auguste?

Mais, quoi! vous comparer à ce Romain fameux,

N'est-ce point blesser votre gloire?

lui

Plus d'une cruauté, plus d'un crime honteux,
Aux yeux de l'avenir a souillé son histoire:
Il proscrivit Ovide; il livra Cicéron;

En couronnant Tibère il prépara Néron.

Votre gloire en naissant, calme, innocente et sage, Éclata sans tempête, et brilla sans nuage.

D'un beau jour du printemps, tel le jeune soleil,
Sous un ciel paisible et vermeil

Ouvrant et poursuivant sa course,
tous les climats divers

Et, pour
D'abondance et de joie inépuisable source,

N'enlève les vapeurs dans l'empire des airs

Que pour les rendre à la terre embrasée
En salutaire pluie, en fertile rosée,
Des couleurs sur la terre épanche le trésor,
Se lève dans la pourpre et se couche dans l'or,
De sa douce lumière enveloppe le monde,
S'annonce à l'univers avec un front serein,

Endort les vents et tranquillise l'onde,

Joint les bienfaits du soir aux bienfaits du matin,
Rend les prés aux troupeaux, et les fleurs à l'abeille,
Permet aux Zéphyrs seuls de suivre son chemin,
Et ne répond au genre humain,
Ni des tempêtes de la veille,

Ni des torrents du lendemain :

Tel descend le bonheur de votre rang sublime. Daignez donc m'accorder votre indulgente estime; Et que Virgile en costume français,

Pour jouir d'un nouveau succès,

Passant de ces belles contrées

Sur vos plages hyperborées,

Obtienne encor dans le palais des Czars Les honneurs qu'il reçut à la cour des Césars. Il n'y trouvera pas la maîtresse du monde, En crimes, en vertus, en désastres féconde, Vil ramas, en naissant, de peuplades sans nom; Au sortir du berceau comme un jeune lion

Dévorant tout sur son passage;

Au milieu de la paix jouet d'un long orage, Échappant par la guerre à la dissention; Tourmentant en tous sens ses lois républicaines ; Payant la liberté de se choisir des chaînes

Par la discorde et la sédition;

Se lassant d'un bonheur tranquille;
Soumise dans les camps, factieuse à la ville;
Par des décrets gouvernant le soldat,
A la fougue du peuple opposant les auspices,
Sage dans son sénat, folle dans ses comices,

Sur la foi d'un oiseau s'élançant au combat;
De succès en succès hâtant sa décadence;
Par les excès du luxe, enfant de l'abondance,
Vengeant les rois qu'elle immola;

Du levant pour le nord entassant l'opulence,
Et sous Verrès pillant pour Attila;

Dans sa fougueuse adolescence

Secouant tour à tour les entraves des lois;
Et le joug populaire, et le sceptre des rois ;
Cédant, ressaisissant sa fière indépendance;
Reine, tyran, esclave et rebelle à la fois;
D'une moitié de ses antiques droits
Déshéritant le Tibre, enrichissant Bizance;
Tous les vices minant cette double puissance;
Enfin de ce colosse immense

L'édifice orgueilleux s'écroulant sous son poids.

Au lieu de Rome antique et défaillante,
Il y verra la jeunesse brillante

De votre empire florissant,

Sous vos heureuses lois chaque jour s'accroissant,
Le pouvoir protecteur, la force bienfaitrice,
Le commerce enhardi, le crédit assuré,
La clémence marchant auprès de la justice,

Et des sujets heureux sous un maître adoré.

Le commerce long-temps sur vos bords tributaires
Porta des rives étrangères

Leur richesse empruntée et leur luxe vénal:
Aujourd'hui, défiant le faste oriental,

Vous offrez à nos yeux votre pompe indigène;
Enorgueilli de son luxe natal,
Du superbe Paris Pétersbourg est rival,

Et la Néva roule égale à la Seine;

Vos monts vous donnent des métaux,

Vos bois des mâts, vos rochers des cristaux ; Vos mers vous ont soumis leurs ondes orageuses; Dans vos cités, vos ports, vos arsenaux, Que de grands monuments, que de hardis travaux ! Du savoir embarqué sur vos nefs voyageuses Les promenades courageuses

Reconnaissent le monde, et cherchent sur les eaux
Des continents et des peuples nouveaux.

Enfin, pour achever d'embellir vos rivages,
Les beaux-arts, de la paix aimables nourrissons,
Greffent des fruits plus doux sur des tiges sauvages,
Et sèment de fleurs vos glaçons.

Qui, vainement la nature sévère

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