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» Voudroit qu'un fier lion, un sanglier sauvage

» Vînt d'un plus beau triomphe honorer son courage. »

On aime à voir dans ce jeune chasseur ces premier's symptômes d'ardeur et de courage, prémice de sa valeur future. Enfin Virgile est admirable dans le récit qu'il fait de son premier fait d'armes. C'est au géant Numanus, fier de sa taille et de sa force, et qui, placé au premier rang, prodigue des injures aux Troyens, qu'il oppose cet enfant héroïque; c'est par ses mains que Numanus est terrassé; et Apollon luimême vient sur un nuage le féliciter de sa victoire:

Macte novâ virtute, puer; sic itur ad astra. (EN. libr. Ix, v. 641.) Mais un caractère plus original encore, et d'un effet plus nouveau, c'est celui de Camille, imité par le Tasse dans le personnage de Clorinde, copie bien inférieure à l'original. Là se trouve réuni à toute la richesse de l'épopée tout l'intérêt du roman : Camille n'est point une Amazone ; c'est la fille d'un roi malheureux, banni de ses états. En fuyant, il em porte sa fille, son trésor le plus précieux. Un fleuve débordé l'arrête; les ennemis s'approchent: moins alarmé pour lui que pour sa fille, il l'attache à un javelot, l'enveloppe d'une écorce de liége, d'un bras vigoureux lance le javelot au-delà du fleuve, le passe à la nage, et reprend à l'autre rive son javelot et son enfant. La peinture de l'éducation champêtre et guerrière de Camille est de la plus grande beauté; sa manière de combattre, et le genre de combat dans lequel il la représente, conviennent parfaitement aux qualités qu'il lui a

données dans les vers par lesquels il l'annonce. La première de ces qualités est une extrême légèreté à la course : c'est de là qu'il a tiré l'idée du premier exploit de cette héroïne. Un fantassin ligurien lui reproche de combattre à cheval, tandis qu'il combat à pied; son orgueil blessé la détermine à descendre de son coursier : le rusé Ligurien le monte et s'enfuit; Camille court après lui, l'atteint et l'immole. En un mot, tout en elle intéresse, sa naissance, son éducation, sa vie et sa mort. Mais c'est dans l'original qu'il faut apprendre à sentir tout ce qu'a de touchant cette dernière partie de son histoire.

On sait quel rôle brillant jouent les femmes dans le poëme du Tasse. Le courage belliqueux des Amazones étoit connu de toute l'antiquité; il paroît étonnant qu'Homère n'en ait fait aucun usage. Ses héros sont de véritables chevaliers ; il auroit pu y joindre quelques héroïnes. La timidité et la foiblesse naturelle de ce sexe font ressortir encore mieux le courage de celles qui, franchissant le cercle étroit de leurs goûts frivoles et de leurs occupations paisibles et sédentaires, se montrent dans le champ des combats. Ces êtres intéressans, en partageant les travaux des guerriers, redoublent les jouissances du lecteur, et fournissent une multitude de ressources au poëte, par les attachemens et les passions qu'elles peuvent inspirer. Telles sont, dans la Jérusalem delivrée, Armide, Herminie et Clorinde, dont le poëte a tiré un si grand parti. Aussi Voltaire a-t-il dit, après avoir parlé d'Homère : De faux brillans, trop de magie, Mettent le Tasse un cran plus bas;

Mais que ne pardonne-t-on pas

Pour Armide et pour Herminie?

(STANCES SUR LES POÈTES ÉPIQUES, Stroph. 3e.)

Boileau a paru penser de même, lorsqu'il a dit, en parlant du Tasse:

Je ne veux point ici lui faire son procès ;
Mais, quoi que notre siècle à sa gloire publie,
Il n'eût point de son livre illustré l'Italie,
Si son sage héros, toujours en oraison,
N'eût fait que mettre enfin Satan à la raison,
Et si Renaud, Argant, Tancrède et sa maîtresse,
N'eussent de son sujet égayé la tristesse.

(ART POÉT., ch. in.)

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Virgile ne pouvoit guère tirer le même parti de Camille; il se trouvoit placé, dans les six derniers livres, entre le souvenir de Didon, pour laquelle il avoit épuisé la peinture de tout ce que l'amour a de plus passionné, et la jeune et modeste Lavinie, qu'il nous présente comme une fleur virginale qu'il ne falloit pas permettre au souffle d'un amour profane de flétrir et de décolorer d'avance. Mais l'on voit, par ce que nous en avons déjà dit, que si Camille n'est point entrée dans l'action comme amante, elle y figure avec un grand intérêt comme guerrière. Le caractère altier de la reine des Volsques, et la ruse du fantassin ligurien, suffiroient peut-être seuls pour prouver l'injustice de ceux qui prétendent que dans la peinture des personnages et des combats Virgile est inférieur à Homère. Je ne puis m'empêcher de faire sur les combats en général, et sur ceux de Virgile en particulier, quelques réflexions qui viendront encore à l'appui de mon opinion.

Les poëtes épiques se sont toujours plu à décrire des batailles, et les amateurs de poésie à les lire : la raison en est facile à trouver. La passion la plus forte des êtres animés, c'est l'amour de la vie ; tous ceux qui s'élèvent au dessus de l'instinct impérieux de la crainte de la mort excitent douc naturellement notre étonnement et notre admiration. Ajoutons que, mieux le poëte a su choisir ses personnages, plus ils nous intéressent quand il les expose à de grands dangers; notre intérêt augmente aussi en raison de l'égalité de force et de courage qu'il leur prête pour balancer la victoire. Ceux de Virgile sont également remarquables par cette heureuse combinaison, par la beauté de l'invention et de l'exécution, et surtout par le mérite de la variété ; c'est principalement cette dernière qualité qui distingue la seconde partie de son poëme. La tradition ne lui fournissant pas cette foule de caractères héroïques qu'Homère a jetés dans ses batailles, il y a suppléé en faisant paroître sur la scène des personnages moins brillans peut-être, mais tous intéressans par les diverses circonstances de leur naissance, de leur état, de leurs mœurs, de leurs costumes, de leur vie ou de leur mort. Tantôt c'est un enchanteur qui sait domter la rage des serpens, et guérir leurs blessures; les lacs, les fleuves, les montagnes de sa patrie pleurent sa mort. Tantôt c'est un augure dont les connoissances prophétiques ne le garantissent pas du sort qui l'attend, et qui

Lit tout dans l'avenir, excepté son destin.
(Trad, de l'ÉN., liv. 1x, v. 468. )

Tantôt c'est un riche avare que le regret de ses richesses

enfouies dans la terre, de ses vastes domaines et de sou magnifique palais, détermine à se jeter aux pieds du vainqueur pour lui demander la vie. On sent combien ce carac tère bas et vil est propre à faire ressortir les grandes passions et les sentimens héroïques qui l'environnent. Je ne finirois pas, si je rappelois ici tous les détails de ce genre qui prouvent dans Virgile une fécondité d'imagination au moins égale à celle d'Homère, et qui présentent un si grand fonds d'observations philosophiques, parées de tous les charmes de la plus riche poésie. Et quelle plus grande variété encore dans les différens genres d'attaque et de défense! C'est tantôt une grande bataille, tantôt une légère escarmouche, tantôt un combat singulier entre deux héros dont chacun vaut seul une armée, tantôt une embuscade ou une reconnoissance. Ailleurs, les Troyens vainqueurs sont vaincus à leur tour, et se présentent aux portes de leur ville, qui leur sont impitoyablement fermées par leurs concitoyens que la crainte d'admettre l'ennemi a rendus barbares. C'est Turnus qui, lui seul, pénètre dans l'enceinte de leur camp, qui, comme un lion renfermé dans la bergerie, et cherchant à s'échapper, combat seul contre tous les Troyens, s'ouvre un passage, s'élance des remparts dans le Tibre, le traverse à la nage, et rejoint enfin son armée. Aucun passage dans l'Iliade n'est supérieur à celui-ci, soit pour la nouveauté de l'invention, soit pour la beauté de l'exécution. Turnus égale presque Achille, et Virgile est véritablement digne du surnom d'homérique que lui donnèrent les Romains, et qu'il mérite comme rival, et non comme imitateur. On sent que je ne

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