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cile, ce me semble, que aucun autre s'estime moins, voire que aucun autre m'estime moins, que ce que je m'estime. Car, à la verité, quand aux effects de l'esprit, en quelque façon que ce soit, il n'est jamais party de moy chose qui me contentast; et l'approbation d'autruy ne m'a pas payé. J'ay le goust tendre et difficile, et notamment en mon endroit : je me sens flotter et fleschir de foiblesse. Je me connoy tant que, s'il estoit party de moy chose qui me pleut, je le devroy sans doubte à la fortune: je n'ay rien du mien dequoy contenter mon jugement. J'ay la veue assez claire et reglée, mais à l'ouvrer elle se trouble: comme j'essaye plus evidemment en la poesie; je l'ayme infiniment, j'y voy assez cler aux ouvrages d'autruy; mais je fay, à la verité, l'enfant quand j'y veux mettre la main, je ne me puis souffrir. On peut faire le sot par tout ailleurs, mais non en la poesie.

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Mediocribus esse poetis

Non dii, non homines, non concessere columną.

Pleust à Dieu que cette sentence se trouvat au front des boutiques de tous nos imprimeurs, pour en deffendre l'entrée à tant de versificateurs!

Verum

Nil securius est malo poeta.

Ce que je treuve passable du mien, ce n'est pas de soy et à la verité, mais c'est à la comparaison d'autres choses pires, ausquelles je voy qu'on donne credit. Je suis envieux du bon-heur de ceux qui se sçavent res

jouir et gratifier en leurs ouvrages, car c'est un moyen aisé de se donner du plaisir, puis qu'on le tire de soymesmes. Les miens, il s'en faut tant qu'ils me plaisent, qu'autant de fois que je les retaste, autant de fois j'en reçois un nouveau mescontentement.

Cum relego, scripsisse pudet, quia plurima cerno,
Me quoque, qui feci, judice, digna lini.

J'ay tousjours une idée en l'ame, qui me presente une meilleure forme que celle que j'ay mis en besongne, mais je ne la puis exploiter. Et en mon imagination mesmes, je ne conçoy pas les choses en leur plus grande perfection : ce que je connoy par là, que ce que je voy produit par ces riches et grandes ames du temps passé, je le treuve bien loing au delà de l'extreme estendue de mon imagination. Leurs ouvrages ne me satisfont pas seulement et me remplissent, mais ils m'estonnent et transissent d'admiration. Je juge tresbien leur beauté; je la voy, mais il m'est impossible de la representer. Quoy que j'entreprenne, je doy un sacrifice aux Graces, comme dict Plutarque de quelqu'un, pour pratiquer leur faveur :

Si quid enim placet,

Si quid dulce hominum sensibus influit,
Debentur lepidis omnia Gratiis.

Or elles m'abandonnent par tout; tout est grossier chez moy, il y a faute de garbe et de polissure: je ne sçay faire valoir les choses pour le plus que ce qu'elles valent, ma façon n'ayde de rien à la matiere. Voilà

pourquoy il me la faut forte, qui aye beaucoup de prise et qui luise d'elle mesme. Je ne sçay ny plaire, ny rejouyr, ny chatouiller: le meilleur conte du monde se seche entre mes mains et se ternit. Je ne sçay parler qu'en bon escient, et suis du tout abandonné de cette facilité, que je voy en plusieurs de mes compaignons, d'entretenir les premiers venus et tenir en haleine toute une trouppe, ou amuser sans se lasser l'oreille d'un prince de toute sorte de propos, la matiere ne leur faillant jamais, pour cette grace qu'ils ont de sçavoir employer la premiere qui leur tombe en main, et l'accommoder à l'humeur et portée de ceux à qui ils ont affaire. Les princes n'ayment guere les discours fermes, ny moy à faire des contes. Ce que j'ay à dire, je le dis tousjours de toute ma force; les raisons premieres et plus aisées, qui sont communément les mieux receues, je ne sçay pas les employer. Si faut-il sçavoir relâcher la corde à toute sorte de tons, et le plus aigu c'est celuy qui vient le moins souvent en usage. Il y a pour le moins autant de perfection à relever une chose vuide qu'à en soustenir une poisante tantost il faut superficiellement manier les choses, tantost les profonder. Je sçay bien que la pluspart des hommes se tiennent en ce bas estage, pour ne concevoir les choses que par cette premiere escorse; mais si est-ce que les plus grands maistres, et sur tout Platon, on les void souvent, où l'occasion se presente, se relascher à cette molle et basse façon, et populaire, de dire et traiter les choses, la soustenans des graces qui ne leur manquent jamais.

Au demeurant, mon langage n'a rien de facile et

fluide il est aspre, ayant ses dispositions libres et desreglées, et me plaist ainsi; mais je sens bien que par fois je m'y laisse trop aller, et qu'à force de vouloir eviter l'art et l'affectation, j'y retombe d'une autre part,

Obscurus fio.

Brevis esse laboro,

Quand je voudroy suyvre cet autre stile æquable, uny et ordonné, je n'y sçaurois advenir; et encore que les coupures et cadences de Saluste reviennent plus à mon humeur, si est-ce que je treuve Cæsar et plus admirable et moins aisé à imiter; et si mon inclination me porte plus à l'imitation du parler de Seneque, je ne laisse pas d'estimer autant pour le moins celuy de Plutarque. Je suy la forme de dire qui est née avecques moy, simple et naïfve autant que je puis d'où c'est à l'adventure que j'ay plus d'avantage à parler qu'à escrire; mais ce peut aussi estre que le mouvement et action animent les parolles, notamment à ceux qui se remuent brusquement, comme je fay, et qui s'eschauffent. Le port, le visage, la voix, la robbe, l'assiette, peuvent donner quelque pris aux choses qui d'elles mesmes n'en ont guere, comme le babil. Messala se pleint en Tacitus de quelques accoustrements estroits de son temps, et de la façon des bancs où les orateurs avoient à parler, qui affoiblissoient leur eloquence.

Mon langage françois est alteré, et en la prononciation et ailleurs, par la barbarie de mon creu: car je ne vis jamais homme des contrées de deçà qui ne sentit bien evidemment son ramage et qui ne blessast les

oreilles qui sont pures françoises. Si n'est-ce pas pour estre fort entendu en mon perigordin, car je n'en ay non plus d'usage que de l'alemand, et ne m'en chaut guere. Il y a bien au dessus de nous, vers les montaignes, un gascon pur, que je treuve singulierement beau, et desirerois le sçavoir: car c'est un langage bref, signifiant et pressé, et à la verité un langage masle et militaire plus que aucun autre que j'entende.

Quant au latin, qui m'a esté donné pour maternel, j'ay perdu par des-accoustumance la promptitude de m'en pouvoir servir à parler. Voylà combien peu je vaux de ce costé là.

La beauté est une piece de grande recommandation au commerce des hommes; c'est le premier moyen de conciliation des uns aux autres, et n'est homme si barbare et si rechigné qui ne se sente aucunement frappé de sa douceur. Le corps a une grand' part à nostre estre, il y tient un grand rang; ainsin sa structure et composition sont de bien juste consideration. Ceux qui veulent desprendre nos deux pieces principales et les sequestrer l'une de l'autre, ils ont tort: au rebours, il les faut rejoindre et ratacher; il faut ordonner à l'ame non de se tirer à quartier, de s'entretenir à part, de mespriser et abandonner le corps (aussi ne le sçauroit elle faire que par quelque singerie contrefaicte), mais de se r'allier à luy, de l'embrasser, le cherir, luy assister, le contreroller, le conseiller, le redresser et ramener quand il se fourvoye, l'espouser en somme et luy servir de vray mary; à ce que leurs effects ne paroissent pas divers et contraires, ains accordans et uniformes. Les chrestiens ont une particuliere instruc

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