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peuple, ou un peuple auffi libre qu'il peut l'être, & où par conféquent le peuple entier auroit feul l'autorité abfolue. Il eft clair que tout ce qui eft vrai pour la législation civile & criminelle, pour l'administration des impôts, les loix du commerce, la manière de former les armées, le fera également dans les deux cas. Par exemple, fuppofons que l'assemblée du peuple veuille mettre un impôt d'un million; elle cherchera, de même que le defpote, la manière la moins onéreufe. Suppofons qu'il foit question de profcrire ou d'autorifer l'usage de la torture; fi l'on prouve que le defpote doit le conferver dans le cas où l'on aura attenté à fa vie, on prouvera que le peuple doit le conferver pour le crime d'avoir affecté la tyrannie, & réciproquement, fi l'on' prouve le contraire. Il y a donc un ordre de vérités également vraies dans toutes les conflitutions ou, pour parler plus correctement, dont la vérité eft indépendante de las forme de la conftitution 'Il ne peut done y avoit jamais d'inconvénient à attaquer les erreurs contraires à ces vérités. Ainfi on poutabréduire aux quatre queftions fuivantes toutes celles für lefquelles il peut y avoir quelques difficultés.

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1°. La question des limites que doit avoir de pouvoir légiflatif, quel que puiffe être le corps

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qui l'exerce, fût-ce même la nation assemblée. On peut en effet examiner fi le pouvoir lé giflatif a le droit d'établir des peines pour des opinions, d'exclure de l'état ceux qui n'adoptent pas une telle croyance, de punir comme des crimes, ce qui eft indifférent dans le droit naturel.

2o. Jufqu'à quel point le peuple peut aliéner la fouveraineté & la confier, foit à un homme, foit à un corps, de manière que cet homme ou ce corps aient un véritable droit?

3°. Quelles font dans un tel état en particulier, les bornes du pouvoir fuprême ?mod

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4°. Dans quel cas, lorfque le fouverain ou le gouvernement paffe fes droits ou viole ceux des citoyens, les citoyens ont-ils le droit de réfifter ou d'oppofer la force à un droit qui ceffe d'en être un? L'examen de la troifième queftion eft, dans chaque état, un droit & un devoir des citoyens. La difcuffion des deux premières eft fans inconvénient, tant qu'on ne touche pas à la quatrième. Il est toujours utile de connoître fes droits, mais il n'est pas tou jours fage de les faire valoir, & toute ma nière de les faire valoir n'eft pas légitime. . C'est ici la limite qui fépare la raison de l'efprit de faction, mais qui féparé auffi la vérité des conféquences fauffes qu'on en peut tirer en

raisonnant mal. En effet, s'il arrivoit que des hommes inftruits de leurs droits les fiffent va loir d'une manière funefte à leurs concitoyens en troublant la paix de l'état, fans rétablir dans leurs droits ceux qui en ont été privés; ce ne feroit pas la vérité, c'est-à-dire, la connoif fance de ces droits & de leur violation qu'il en, faudroit accufer, mais, l'erreur que les hommes auroient commife en concluant fauffement qu'il leur eft permis de faire valoir leurs droits dans tous les tems & par tous les moyens. Ce ne feroit pas pour avoir fu trop de vé rités qu'ils feroient du mal, mais pour n'en avoir pas affez connu, Ge ne feroit pas pour avoir adopté une, maxime vraie, mais pour s'être trompés dans fon application à un fait particulier.

VIII. Venons à la dernière queftion. Les hommes qui ont fondé fur l'opinion, un pou voir funefte au peuple, ont ordinairement des forces qu'ils peuvent diriger & employer. En les avertiffant donc des moyens qu'on pourroit prendre pour leur ôter ce pouvoir, pour pré parer peu-à-peu la deftruction de leur puiffance, par celle des opinions fur lesquelles elle eft fon-, dée; enfin en publiant la méthode qu'on doit fuivre pour influer fur l'efprit des hommes, de ma-, nière à leur faire fentir où eft leur bonheur

& comment ils peuvent l'affurer, on peut nuire beaucoup à ceux qu'on veut fervir. Le grand nombre ne fera pas en état d'ufer de ces lumières, & le petit nombre fera éclairé fur les moyens de les rendre inutiles. Il feroit également dangereux de dire des vérités, lorfqu'en les difant, on ne peut espérer d'être utile avant le moment où ces vérités feront adoptées par un grand nombre d'hommes, & qu'en effrayant ceux à qui elles nuifent

au lieu de les rendre plus communes, on met de nouveaux obftacles à leurs progrès. C'est donc ici le cas de laiffer la vérité captive, fans jamais y substi tuer l'erreur; & le défenfeur de l'humanité doit fe confidérer alors vis-à-vis de fes oppreffeurs comme un général qui ne doit point publier fes plans de campagne.

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2 Après avoir parlé des moyens que chaque particulier peut employer pour inftruire les hommes fans danger pour leur bonheur, pasfons à ceux qui ne peuvent être employés que par l'autorité publique. Les gouvernemens peuvent par une bonne légiflation avancer également fans rifqué le rétablissement de la verité : elle fait des progrès rapides dans les pays l'on laiffe la liberté des opinions, parce que du moment où les opinions font librement discutées, la vérité finit par s'établir. Or il eft,

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dans tous les cas, de l'intérêt du législateur d'établir cette liberté, qui, ne s'étendant qu'aux opinions, foumet les injures aux loix contre les libelles. En effet, autant il eft difficile qu'une vérité contraire à l'ambition d'un fouverain, à fes idées de pouvoir arbitraire, puiffe nuire à celui qui réunit la force publique, autant il eft aifé de voir que cet établiffement de la liberté des opinions eft le feul moyen qu'il ait de s'inf truire & d'être fervi par des hommes éclairés. Autrement les erreurs & les faux fyftêmes fe perpétueront dans fes confeils. Celui qui eft obligé d'agir peut s'inftruire, mais il ne peut avoir ce loifir d'une méditation tranquille, qui feule révèle la vérité. Il doit donc permettre que les opinions fe difcutent publiquement; fans quoi il lui fera impoffible de favoir de quel côté peut être la vérité. Où pourra-t-il espérer de la trouver ailleurs que dans les livres, que par le jugement libre des hommes éclairés? Apprendra-t-il la vérité par la voix de ses courtisans ou de fes miniftres, par par les rapports des efpions, par les écrits des pané gyriftes ou des gazetiers que l'on foudoie. pour le tromper, par les lettres que l'homme qui s'eft dévoué à cette infâme violation de la sûreté publique aura intérêt de lui montrer? 1790. Tome VI.

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