tuée d'argumens, à deux hommes, l'un ignorant & ne fachant que les fottifes populaires qu'il a entendues, l'autre plus inftruit, mais ayant adopté de fauffes lumières : & il eft difficile de juger auquel des deux il est plus aifé de faire connoître la vérité. Obfervons ici qu'en parlant de l'établiffement des fauffes religions & de leur réforme, nous n'aurions pas befoin pour montrer combien les faits font d'accord avec nos raifonnemens, d'en fuppofer aucune fauffe en parti. culier, ce qui feroit contraire au principe dans lequel nous avons écrit cet ouvrage. En effet il est clair qu'il y en a au moins autant de fauffes, moins une, qu'il y en a de connues, Or quelle que foit celle qu'on regarde comme vraie, l'histoire du mal qu'ont fait les autres, fuffit pour prouver la vérité de notre affertion. VI. Les erreurs dont nous avons parlé jufqu'ici font des erreurs générales, dont le but eft, dit-on, de rendre les hommes meilleurs. Mais il eft des erreurs particulières qui ont contribué à la grandeur, à la puiffance de cer taines nations. La croyance d'une ftatue miraculeufe à laquelle eft attachée la deftinée de l'empire, des oracles qui annoncent la victoire, la per fuafion qu'on fera éternellement heureux fi on meurt pour fon pays; toutes ces croyances ont produit de grands effets, & les imaginations qui en ont été frappées ont cru qu'il étoit utile d'employer ces moyens. Les liqueurs fortes ont le même pouvoir: cependant il feroit plaifant d'ériger l'ivrognerie en principe de politique; ce feroit pourtant un moindre mal; car livrognerie eft un vice moin's honteux que la fuperftition. Des foldats ivres, un jour de bataille, peuvent être le lendemain des hommes raifonnables, mais des foldats fanatiques ne feront jamais que des fous dangereux. D'ailleurs ces moyens fi vantés ont l'inconvénient de produire les deux effets contraires. Si vous attachez le fort d'un empire à l'exiftence d'une flatue, il en dépendra réellement : qu'un coup de tonnerre, une trahifon, un accident faffent perdre la flatue, le peuple tombera dans un abattement ftupide & l'empire fera détruit. Si vous employez les oracles, vous vous mettez dans la dépendance de ceux qui les prononcent: fi vous vous fervez de l'éfpérance du ciel, vous vous livrez à ceux qui en ont ufurpé les clefs. D'ailleurs le mépris de la mort est un fentiment moins extraordinaire qu'on ne croit. On craint la mort parce qu'on en a caché les fuites dans une obfcurité effrayante. C'est parce qu'on a rendu les hommes fu perftitieux, qu'ils font devenus timides; ainfi la fuperftition n'eft encore dans ce cas qu'un remède infuffifant des maux qu'elle a faits. Juvenal a dit ་་ Summum crede ne fas animam præferre pudori, Il eut pu fubftituer le mot de fottife à celui de crime; & ce feroit le fentiment de tous les hommes, fi leur éducation ne tendoit à leur gâter la tête & à leur affoiblir le cœur. Parmi ces erreurs particulières que l'on fuppofe être utiles dans chaque nation, quelques auteurs ont placé Pamour de la patrie; les uns, pour rendre plus favorable la cause de l'erreur en confondant avec des erreurs un fentiment naturel nécéffaire au maintien de la fociété, les autres parce qu'ils ont confondu avec le véritable amour de la patrie, Forgueil national, ou quelques préjugés locaux. Il est impoffible que l'homme exifte en fociété fans qu'une très-grande partie de fon bonheur particulier ne dépende de la bonté des loix, de la richeffe nationale, de la profpérité publique : & l'intérêt de tout particulier eft lié avec l'intérêt de la fociété. Tout malheur public, tout revers arrivé à la nation, n'eut il fur un grand nombre de particuliers qu'une influence très-foible, il y en aura nécessairement une très-forte fur un grand nombre d'autres; or il eft impoffible que le spectacle du malheur de ceux qui nous entourent, ce malheur nous fût-il abfolument étranger, n'excite en nous des fentimens très-douloureux. L'idée qu'il exifle cent mille malheureux autour de nous eft une douleur auffi réelle qu'une attaque de goutte. L'amour de la patrie eft donc un fentiment naturel infpiré à la fois par les deux feules caufes morales qui agiffent fur nous, notre intérêt & notre bienveillance pour les autres. Ce fentiment n'eft pas contraire à celui de la bienveillance univerfelle: Marc-Aurele difoit, je préfère ma famille à moi même, ma patrie à ma famille, & l'univers à ma patrie. Marc-Aurele cependant fit la guerre pour défendre les frontières de l'empire Romain; ce n'étoit fa patrie qu'il préféroit à l'univers, c'étoit Rome qu'il préféroit à un peuple étranger. pas L'amour de la patrie infpiré par ces motifs naturels eft fufceptible du même enthousiasme que nos autres fentimens, enthousiasme mo-. mentané & aveugle dans la plupart des hommes, mais éclairé & durable dans les grandes ames. L'erreur & les préjugés ne rendroient pas ce fentiment plus fort & pourroient le rendre, inutile & dangereux. Si la haine des autres peuples s'y joint, elle multiplie & éternife les guerres. Si l'on y mêle l'amour des ufages antiques & des opinions nationales, alors l'amour de la patrie s'oppofera aux changemens utiles; il ne fera plus que l'inftrument des ennemis fecrets de la nation. Nous voilà parvenus enfin aux feuls points vraiment intéreffans que nous euffions à traiter. VII. N'y a t-il aucun inconvénient à dire au peuple la vérité toute entière? De quels mé nagemens eft-il utile & permis d'ufer en attaquant les erreurs populaires? En jettant un coup-d'œil fur ce globe, en examinant à quelles erreurs abfurdes & cruelles les hommes font livrés, en voyant qu'il exifte des contrées, que dis-je ? des parties entières du monde, où fur quelque genre que ce foit, il n'y a pas une feule vérité clairement établie, où tout ce qu'on croit fur-tout eft faux en fongeant enfin que dans le fiècle le plus éclairé, dans les pays où les lumières ont fait le plus de progrès, les erreurs religieufes font le partage de prefque tous les hommes; que parmi ceux qui y ont échappé, les neuf dixièmes ne font pas moins la dupe d'erreurs politiques presque auffi groffières, & qu'il y a moins peut |