Page images
PDF
EPUB

étrange? Ne fentiront-ils jamais que le fouverain d'un état pauvre ne peut pas être riche, & que perfonne ne peut travailler lorfqu'on lui a lié les bras, ou quand il n'a pas l'assurance de jouir en paix du fruit de fon labeur? Un gouvernement qui connoît les droits facrés de la liberté, a-t-il besoin de secours, il eft certain de les trouver dans les mains de fes fujets !

[ocr errors]

Si, comme on ne peut en douter, la vertu ne confifte que dans l'utilité générale de la fociété, il ne peut y avoir de vertus véritables fans liberté. Un efclave ne peut être utile qu'à ses tyrans.

Ce n'est que dans une nation libre que l'on peut rencontrer l'amour du bien public, le defir d'être utile à tous, l'enthoufiafine de l'honneur véritable, toujours fondé fur la vertu. Voilà ce qui, chez les Grecs & les Romains, donna naiffance à cette paffion pour la patrie que tant d'efclaves du pouvoir arbitraire regardent fans doute comme une chimère, ou comme un accès de folie. Ce fut cette paffion généreuse, infuse par l'éducation & l'exemple, entretenue par la vénération des peuples, allumée par le defir de la gloire, qui remplit autrefois ces contrées de héros invincibles, de citoyens bienfaisans, de martyrs de la liberté.

Heureuse liberté ! objet chéri de tous les cœurs généreux! fille de l'équité & des loix ! viens fixer ta demeure parmi les habitans de la terre brife les chaînes des nations; bannis l'affreux defpotifme qui rend inutiles pour elles tous les dons de la nature: ranime dans nos ames ce feu dont tu fus enflammer jadis tant de héros que leurs noms refpectables excitent encore notre vénération la plus tendre; forme au milieu de nous des hommes qui leur reffemblent. Que l'efclave avili rougiffe de fes fers; que le cœur du citoyen s'échauffe & treffaille à ta voix. Infpire le fage qui médite; donne-lui le courage de réclamer tes droits. Anime le guerrier de cette noble ardeur qu'il ne doit qu'à fa patrie, & non à fes oppreffeurs. Sois dans la bouche du magiftrat ; qu'il défende tes droits contre les ennemis qui voudroient les anéantir. Enfin que la raifon, guériffant les préjugés de ces princes qui te perfécutent, leur montre que fans toi leurs états ne peuvent être ni puiffans ni fortunés; que fans toi leur pouvoir ne peut être établi fur une base inébranlable.

De la Politique en général..

La politique eft l'art de gouverner les hommes, ou de les faire concourir à la conferva

tion & au bien-être de la fociété. L'on ne peut douter que l'art de rendre les peuples heureux ne foit le plus noble, le plus utile, le plus digne d'occuper une ame, vertueufe.

Rien ne paroît plus difficile, que de faire agir de concert les membres d'une fociété. Rien ne femble demander autant de fagacité, de vigilance & de force, que l'art de diriger les paffions divergentes d'une multitude d'hommes, vers un même but, & de les ramener à un centre commun dont elles s'écartent fans ceffe. C'est le chef-d'œuvre de la fageffe éclai rée par l'expérience, que de faire contribuer toutes les volontés particulières à l'exécution d'un plan général qui fouvent contrarie leurs penchans, leurs intérêts perfonnels, leurs préjugés, & de les foumettre à la volonté publique, indiquée par la loi.

[ocr errors]

Tels font les objets que la politique embraffe. Ce n'est pas tout encore; non contente de veiller fur l'intérieur de la fociété, elle eft forcée d'étendre fes vues au-dehors, de porter un eil attentif fur les mouvemens & les intérêts des nations voifines, d'arrêter leurs entre prifes, de prévenir les effets de leurs paffions, de leur ambition, de leur avidité, d'empêcher qu'elles ne raviffent les avantages procurés par la nature ou l'induftrie; enfin de déterminer

des fociétés indépendantes à feconder fes projets.

Mais une même légiflation ne peut convenir à tous les peuples, que la nature & leurs circonftances ont rendus fi diffemblables, dont les befoins font fi différens, dont les idées font fi éloignées les unes des autres. La politique doit gouverner les hommes tels qu'ils font ; les loix doivent avoir égard à leurs circonstances actuelles.

Ainfi que les corps phyfiques, les nations entièrés, ces individus de la grande fociété du monde, éprouvent des crifes, des délires, des convulfions, des révolutions, des changemens de formes; elles ont une naiffance, un accroiffement, un dépériffement. Il eft donc aifé de fentir que la politique ne peut, dans ces différens états, gouverner les peuples d'une manière conftante & uniforme. Faute d'avoir eù égard à ces diverfes circonftances, les philofophes & les plus fages légiflateurs fe font fans ceffe égarés. Ils ont cru que des loix immuables fuffifoient pour rendre les hommes heureux & leurs gouvernemens ftables.

On voit donc combien font dangereux les préjugés qui font regarder indiftinctement les loix adoptées par nos pères, comme la règle invariable de la conduite actuelle des états.

L'antiquité a tant de droits fur les hommes, qu'ils craindroient de fe rendre facrilèges, en s'écartant de fes inftitutions. Au moindre embarras l'on va communément chercher des remèdes dans les loix primitives: & l'on ne s'apperçoit pas que des loix antérieures aux circonftances, ne peuvent point remédier aux inconveniens que ces circonftances ont amenés.

C'est à la raison actuelle à corriger, à changer, à détruire même les inftitutions anciennes dont l'expérience a fait connoître les abus, les dangers, l'inutilité. La plupart des nations européennes font aujourd'hui tyrannisées par des loix anciennes qui luttent avec leur fituation actuelle des ufages & des coutumes injuftes, inventés par des barbares, fubjuguent encore des peuples policés. Des loix militaires, faites par des conquérans fauvages, font en vigueur dans des pays paifibles & qui fubfiftent par le commerce. Les loix romaines font les règles de plufieurs nations qui n'ont rien de commun avec l'ancienne Rome; que dis-je les loix, les coutumes, les ufages ne font point les mêmes dans les différentes provinces d'un même état : chaque portion d'une même nation eft gouvernée d'après les règles qui lui furent données par d'anciens fouverains, & dans des circonftances qui n'exiftent plus,

1

« PreviousContinue »