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les nations

s'élèvent avec force, lors même que engourdies femblent s'y foumettre fans murmure. Le defpotifme est également funeste au fouverain & aux fujets. Son empire, forcé de fuivre les impulfions qu'il lui donne, fe déprave comme lui. En fe révoltant contre la loi, les tyrans donnent à leurs fujets le fignal de la révolte. En violant les loix & la liberté des Anglois, Charles I & fon fils s'attirèrent les catastrophes qui les privèrent l'un de la vie, l'autre du trône. Les monarques abfolus reffemblent à ces enfans imprudens qui s'irritent contré ceux qui les empêchent de fe bleffer.

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Sous quelque point de vue qu'on envisage le defpotifme, tout nous prouve qu'il eft le plus grand des fléaux du genre humain, & la fource la plus féconde des calamités durables dont les peuples font accablés. Tout nous montre qu'il n'est utile à perfonne, & qu'au lieu de procurer des avantages à celui qui l'exerce, il lui ôte l'affection de ses sujets, la puiffance réelle, la grandeur véritable, toute sûreté perfonnelle, & finit par l'envelopper tôt ou tard dans la ruine de fa nation. Enfin, s'il est au monde une vérité démontrée en politique, c'est que, fans la liberté, ni les fouverains K 1790. Tome VI.

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ni les fujets ne peuvent jouir d'un bonheur per

manent.

De la Liberté.

La liberté eft la faculté de faire pour fon bonheur tout ce que permet la nature de l'homme en fociété. Lorfque la liberté nous fait commettre des actions oppofées aux loix de la nature & de la raison, & par conféquent contraires au but de la fociété, elle n'est plus qu'un délire que nos affociés ne peuvent tolérer, qu'ils doivent, pour l'intérêt de tous, réprimer & punir. L'illuftre Montesquieu dit : qu'être libre n'eft pas faire ce que l'on veut, mais faire ce qu'on doit vouloir.

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Ainfi nul homme fur la terre ne peut prétendre à une indépendance totale. Pour qu'un homme foit indépendant, il faudroit qu'il fortît de fa nature, il faudroit qu'il renonçât à fon espèce. Des loix néceffaires dirigent tous les êtres de la nature, & conflituent pour nous l'ordre de l'univers; des loix naturelles également néceffaires dirigent les hommes & maintiennent l'ordre dans la fociété. Celui qui méconnoît ou méprise ces loix trouble l'ordre général, & travaille à la ruine du corps focial. Sans une jufte dépendance des loix, chacun,

dès qu'il en auroit la force, exerceroit fur les autres la tyrannie la plus cruelle. Tyrans licentieux, qui, dans votre folie prétendez affervir la nature à vos injuftes caprices, elle eft plus forte que vous & vos armées, elle vous punit tôt ou tard de vos attentats & de vos rébellions.

La licence eft le plus grand fléau de la fociété. Le peuple, qui n'a aucune idée de la vraie liberté, exerce alors un empire plus dur que celui des tyrans les plus barbares. Si l'abus du pouvoir introduit le defpotifme, un enthousiasme aveugle conduit à l'anarchie : défordre qui met chaque homme à la merci de fon femblable, qui rend la fociété plus malheureufe que le defpotifme, & qui bientôt le ramène. La liberté, fans la raison, eft une arme funefte. C'eft dans le fein des tyrans, que les nations affoiblies par la licence & l'anarchie, vont fe confoler de leurs défordres.

La prétendue liberté dont jouiffent quelques nations, n'eft fi turbulente, que parce qu'elle n'a pas encore été fondée fur les bonnes mœurs, fur les lumières, fur la vertu, qui feules apprennent aux hommes à contenir leurs paffions dans des bornes. La morale est la vraie base de tout bon gouvernement. On eft libre par-tout où la loi gouverne; on eft

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efclave par-tout où quelqu'un eft le maître de la loi. Sous le gouvernement le plus abfolu, le citoyen fera libre, dès que fon monarque aura de l'équité; par-tout il fera miférable, dès qu'il fera forcé d'obéir au caprice. Sous Titus, Rome eft plus libre que fous son ancien fénat. Sous Domitien, elle retombe dans les fers.

Si les fouverains étoient plus juftes, fi la raifon avoit droit de leur parler; s'ils étoient vraiment occupés du bonheur de leurs états, loin de déclarer la guerre à la liberté de leurs fujets, ils mettroient leur bonheur à les faire jouir d'un bien fi cher; ils s'applaudiroient de l'heureufe impoffibilité où les loix les mettroient de nuire à des hommes qu'ils doivent protéger; ils fe feroient une gloire d'être les exécuteurs des oracles de la raifon, de ces loix fages faites pour le plus grand bien de tous ils feroient alors obéis fans murmures; une autorité fans bornes eft inutile, lorfqu'elle n'a point de caprices à fatisfaire; les loix qui la limitent. font, pour les fouverains, le gage de la foumiffion de leurs fujets.

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Ne croyons donc pas que la liberté diminue la puiffance, réelle des fouverains & le refpect des peuples; un monarque n'eft grand que lorfqu'il commande à des hommes dont le

cœur eft élevé; il n'eft puiffant que lorfque fes ordres font exécutés par des citoyens empreffés à concourir au bien de la patrie. Sous un tel maître, les nobles ou les grands, diftingués par eux-mêmes, n'ont pas befoin de tirer leur luftre de la faveur; ils ne font point les jouets des caprices d'un defpote inconftant. Si, comme fous le defpotifme, ils n'ont pas le privilege odieux de tyrannifer les foibles, d'écrafer le malheureux, ils ne font pas euxmêmes expofés à devenir les victimes des foupçons, de l'intrigue, de la cabale, de l'envie; leur état n'eft emprunté ni de la naiffance ni de la fortune; ils le doivent à leur juflice, à leurs bienfaits, à leurs fervices, qui feuls mènent à la confidération, dans un pays où règnent la raison & la liberté. Les titres, la faveur, le fafte n'en impofent qu'à des efclaves vains & frivoles, qui n'ont pas des idées vraies de la grandeur. Le defpotifme confond réellement tous les rangs qu'il femble diftinguer. Il ne fait que divifer tous les ordres de l'état pour les réduire fucceffivement en fervitude. Les grands ne font fous lui, que des infectes éphémères dont l'éclat n'a point de duréé.

De tous les avantages qui doivent rendre la liberté chère aux citoyens, il n'en eft point

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