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4-3-31 21625

BIBLIOTHEQUE

DE

L'HOMME PUBLIC.

De l'Esprit des Loix par M. de MonTESQUIEU, nouvelle édition, revue, corrigée & confidérablement augmentée par l'Auteur. A Londres, chez Nourse. CHARLES de Secondat, baron de la Brède & de Montefquieu, naquit le 18 janvier 1689, au château de la Brède, près de Bordeaux, & annonça de bonne heure tout ce qu'il devoit être un jour. A peine avoit-il atteint fa vingtième année, qu'il préparoit déjà les matériaux de l'ouvrage fi juftement célèbre, dont nous allons donner l'analyse. Un oncle paternel, préfident à Mortier au parlement de Bordeaux, crut ne pouvoir faire à fa compagnie un présent plus digne d'elle, que d'élever notre jeune philofophe, encore fimple confeiller, à la charge honorable qu'il occupoit fi dignement lui-même. Montefquieu juftifia ce choix par fon zèle pour les intérêts du peuple chargé de faire parvenir jufqu'au trône les cris des malheureux, il représentat avec tant de courage & d'éloquence la misère publique, qu'il obtint, en 1722, la fuppreffion d'un nouvel impôt. Il avoit mis au jour, un an auparavant, les Lettres

Perfannes, où l'on trouve dans un cadre galant & fous un air de frivolité, des réflexions profondes fur les matières les plus importantes, une critique fine de nos vices & de nos ridicules, le tableau d'un peuple vertueux, devenu fage par le malheur; enfin le germe de ces idées lumineufes développées depuis dans l'Esprit des Loix. Un petit volume qu'il fit paroître en 1734 fur la caufe de la grandeur & de la décadence des Romains, annonçoit combien fon génie étoit capable de faifir d'un coup-d'œil toutes les caufes des révolutions d'un grand empire: il y regarde, comme la fource de la grandeur & de la profpérité des romains, cet amour de la liberté, du travail & de la patrie, qu'on leur infpiroit dès l'enfance; ce courage indomptable, qui ne leur permettoit jamais de défefpérer du falut de la république; leurs diffentions inteftines occafionnées par cet intérêt vif qu'ils prenoient aux affaires publiques, & qui ranimant leur patriotisme, donnoient un plus grand reffort à tous les efprits; la févérité de la discipline militaire, & la politique qu'ils eurent de ne jamais faire la paix qu'après les victoires; l'honneur du triomphe décerné aux vainqueurs ; la protection qu'ils accordoient aux peuples révoltés contre leurs rois; l'attention qu'ils eurent de ne point toucher aux coutumes & à la religion des vaincus, & de ne combattre jamais deux ennemis puiffans à la fois.

La décadence de ce peuple fameux, Montefquieu la voit dans fon aggrandiffement même, qui changea en guerre civile les tumultes populaires; dans ces guerres éloignées, qui firent perdre infenfiblement l'efprit républicain à ceux qu'elle retenoit long-tems hors de la république ; dans le droit de bourgeoifie, accordé trop

indifcrétement à différentes nations; dans la corruption que le goût du luxe afiatique introduifit; dans les profcriptions de Sylla, qui difposèrent le peuple à l'efclavage; dans l'abus de la liberté qui lui rendit néceffaire la domination d'un maître; dans l'obligation où il fut de changer de maximes en changeant de gouvernement; dans cette fuite de monftres qui régnèrent prefque fans interruption depuis Tibère jufqu'à Nerva, & depuis Commode jufqu'à Conftantin; enfin dans la translation & le partage de l'empire, qui périt d'abord en occident par la puissance des barbares, & qui après avoir langui plufieurs fiècles en orient, fous des empereurs imbécilles ou féroces, s'anéantit infenfiblement, dit M. d'Alembert, comme ces fleuves qui difparoiffent dans des fables.

Un tableau fi vafte & fi intéreffant n'étoit que le prélude de l'Esprit des Loix, chef-d'œuvre de l'esprit humain, le fruit de vingt années d'observations & de recherches, le résultat des voyages & des méditations profondes du plus grand génie politique que nous ayons eu en France. L'auteur y embraffe un fi grand nombre de matières, & les traite avec tant de briéveté & de profondeur, qu'on ne peut en bien fentir le mérite qu'après l'avoir long-tems médité; il y cherche moins à établir un plan nouveau de gouvernement meilleur que ceux qui fe font naturalifés, pour ainsi dire, dans les différens climats de l'Europe, qu'il n'indique dans quel efprit les loix y doivent être faites pour les maintenir dans toute leur force & leur profpérité. Son ouvrage est une analyse parfaite des différens rapports que les loix ont entr'elles & avec tout ce qui tient à l'homme; il les confidère dans leur origine, explique

le motif de leur établiffement, & les effets qu'elles ont dû & doivent naturellement produire. Son livre eft la fubitance d'une infinité de volumes, & devroit être l'objet des continuelles méditations du légiflateur & du fouverain.

Nous ne parlerons pas ici de ces critiques, auxquelles Montefquieu ne daigna pas répondre, & qui toutes prouvent l'ignorance ou la malignité de leurs auteurs. Un reproche qu'il crut ne devoir point méprifer, fut celui d'irréligion dont on l'accufa d'avoir femé les principes dans fon livre. La défenfe de l'Esprit des Loix parut; cet ouvrage qui par la modération, la vérité, la fineffe de plaifanteries qui y règnent, peut être regardé comme un modèle en ce genre, confondit fes ennemis, & ajouta un nouveau rayon à fa gloire. M. de Montefquieu, dit l'auteur de fon éloge, chargé par fon adverfaire d'imputations atroces, pouvoit le rendre odieux fans peine, il fit mieux, il le rendit ridicule; & c'étoit véritablement la feule manière de répondre qui convînt au philosophe. De nos jours quelques écrivains inconfidérés, confondant tous les genres de gouvernement, ont ofé blafphemer le plus grand politique de l'Europe, parce que fes principes fur la monarchie ne s'accordent point avec ceux de l'affemblée nationale. Ils ne voient pas que l'augufte affemblée veut établir en France un gouvernement mixte, qui ne fera proprement, ni monarchique, ni populaire; mais qui fans avoir les inconvéniens de ces deux efpèces de gouvernemens, réunira tout ce qu'ils ont d'avantageux.

Nous fommes cependant bien éloignés de ne voir dans l'Esprit des Loix que ce qui eft admirable; on peut reprocher à l'auteur un ftyle laconique & trop fen

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tencieux; fon ouvrage en eft plus long à la lecture, qu'il ne l'auroit été avec tous les développemens. Il conclut trop fouvent du particulier au général. Quelques chapitres manquent de liaison avec ceux quifles précèdent, ou du moins les idées intermédiaires ne fe font point affez fentir; on ne lui pardonne pas non plus fes longues difgreffions fur les loix féodales, qui ont eu fans doute pour principe un grand attachement à des droits feigneuriaux, & aux prérogatives de fa naissance; mais où est le philofophe qui n'ait quelque foiblesse, & ne tienne malgré lui à quelque préjugé ?

Montefquieu vécut fous un règne de defpotifme, trop récent & trop connu pour que nous entreprenions d'en faire le tableau. Il n'en eut pas moins le courage de combattre avec les armes du ridicule la fuperftition qui rend l'homme fi propre à en recevoir le joug, & de faire fentir avec toute la force dont il étoit capable les effets funeftes de la tyrannie des grands, de forte qu'en lifant attentivement fon ouvrage, on auroit pu prévoir, d'après la fituation morale & politique de la France, la révolution qui s'opère de nos jours. Il mourut le 10 février 1755.

IL

Des Loix en général.

Livre I:

Des loix dans les rap

ports quelles

ont avec les

ne peut exifter dans le monde un être parfaitement ifolé, il a néceffairement des rapports avec ce qui l'environne; de ces rela- divers êtres tions morales ou phyfiques naiffent des loix & la divinité même a les fiennes.

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