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Ainfi nos loix en éloignant les citoyens de tout travail lucratif, pénible & fervile, en leur faifant paffer les jours aux exercices qui donnent de la force, du courage, qui nourriffent dans l'ame tous les fentimens honnêtes, ne devonsnous pas espérer que les paffions méprifables n'auront fur eux aucun empire, & que la fageffe & le bonheur règneront dans nos murs? Il dépend abfolument des loix que les habitans d'un état aient tels ufages, tels goûts, telles paffions, qu'ils goûtent tel plaifir plutôt que tel autre. La grande faute de la plupart des gouvernemens eft de n'avoir pas confidéré, dans leur loi politique, les paffions humaines; ils croyoient fans doute que les hommes étoient de pures machines. Mais l'expérience leur a montré combien ils étoient dans l'erreur.

Pour que nos fêtes & nos jeux foient toujours les mêmes, afin que notre caractère national ne change jamais, ils feront confacrés, comme faifoient les anciens Egyptiens. Ces affemblées, outre le bien que nous en espé rons pour les mœurs, feront une réunion de tous les âges, où les jeunes gens des deux fexes, en préfence de leurs parens & des magiftrats, pourront fe connoître, fe livrer entr'eux à une honnête familiarité, & aux premières affections du cœur qui précèdent l'hymen,

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& qui en font goûter d'avance tout le bonheur.

Au refte, pour que les jeunes gens aient vraiment l'amour des choses honnêtes il faudra ne rien dire, ne rien faire devant eux qui ne puiffe leur infpirer cet amour. Ce précepte bien observé fera plus utile à l'éducation que les remontrances & les mercuriales d'une froide raison; il faudra leur dire fouvent que le plus grand fervice qu'ils puiffent rendre à la patrie eft moins de fe fignaler aux jeux olympiques ou à la guerre, que d'avoir pour les loix un respect inviolable & de tout faire pour leur obéir : qu'il ne fuffit pas d'être juste, mais que l'on doit encore empêcher de tout fon pouvoir que perfonne ne commette d'injustice; & que le bon patriote, quel qu'il soit, doit seconder le magiftrat dans la punition des méchans. Cependant, comme l'indulgence eft une des vertus les plus néceffaires dans les fociétés, l'on cherchera à ramener l'homme égaré dans le chemin du bien; & l'on ne punira que celui en qui il n'y a aucun espoir de guérifon. Le caractère de l'homme de bien eft un mélange de févérité & de douceur.

Après les dieux & la patrie, nos parens méritent plus que tout autre objet nos refpects, nos foins & notre amour. Tout ce que nous poffé

dons leur appartient, puifque nous le tenons d'eux, notre fortune, nos jours, nos travaux nos amusemens. Nous devons faire leur bonheur avant de fonger au nôtre. Redoublons d'égards & de tendreffe à mesure que les infirmités de l'âge les leur rendront plus néceffaires. Confidérons-les comme des dieux tutélaires auxquels nous devons nos hommages, notre cœur, toute notre perfonne.

Nous avons dit que les jeunes gens appren'droient la fcience des nombres. En effet elle est une partie effentielle de l'éducation du citoyen. L'adminiftration publique & domeftique, l'art de la guerre, l'étude des loix de la nature, le cours des aftres, la fucceffion des faifons, font autant de chofes que le philofophe ne peut ignorer, & qu'il ne peut apprendre fans pofféder à fond la fcience des nombres. Les enfans étudieront cette fcience, comme toutes les autres, en s'amufant. Ils fe diftribueront un certain nombre de pommes, ils apprendront, dans leurs jeux, à s'arranger felon différentes combinaisons, & par-là ils fauront un jour difpofer un camp de la manière la plus favorable, conduire une armée, ils connoîtront toutes les évolutions militaires, &c.

Il y a une raison pour laquelle les princes ne font pas pratiquer ces exercices à leurs

fujets. Voulant régner arbitrairement, il eft de leur intérêt que leurs peuples n'aient ni force, ni vertu, ni inftruction. Dès qu'ils favent réfléchir, ou dès qu'ils apprennent à manier les armes, l'autorité de ces princes defpotes touche à fa fin.

rece

Celui qui fe fera diftingué à la guerre, vra une couronne d'olivier, qu'il fufpendra dans le temple d'une divinité, comme un monument immortel de fa valeur.

Le guerrier accufé de lâcheté ou d'avoir perdu honteusement fes armes, fera condamné, à la tête de l'armée, à payer une amende, & à ne plus aller à la guerre. On le regardera comme un être inutile & méprifable.

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Perfonne ne pourra voyager hors des limites du territoire que pour les intérêts de l'état, comme ambaffadeur ou comme obfervateur. Ces voyageurs auront au moins quarante ans, & feront les hommes, les mieux faits & les plus eftimés. Les obfervateurs étudieront les loix & les mœurs des autres nations; ils cultiveront la fociété des fages, & à leur retour ils se réuniront au confeil fuprême, où ils dé poferont tout ce qu'ils auront recueilli dans leurs voyages pour la perfection de notre gouvernement. S'ils revenoient corrompus, on leur défendroit tout commerce avec les citoyens :

s'ils vouloient introduire quelque changement dans nos coutumes, ils feroient condamnés à perdre la vie.

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Nous recevrons les étrangers par respec pour Jupiter hofpitalier, mais l'accueil que nous leur ferons fera proportionné au motif qui les aura fait venir parmi nous. Ceux qui voyagent, pour s'enrichir n'entreront point dans la ville: ils refteront hors de fes murs, dans des édifices publics, bâtis exprès, où des magiftrats veilleront fur leur conduite, fans lier

aucun commerce avec eux.

Ceux qui cherchent les agrémens des arts feront reçus dans des hofpices, fitués près des temples. Les prêtres auront foin qu'il ne leur manque rien.

Ceux qui voyagent pour des affaires d'état feront reçus aux frais de la république.

Ceux qui viendront étudier nos mœurs logeront chez le magiftrat chargé de l'éducation de la jeuneffe. Ils pourront aller, fans être invités, chez tous les citoyens (a).

Nos efclaves feront de différentes nations, afin que ne parlant point la même langue, il

(a) Les Lacédémoniens ne voyageoient point, & ne fouffroient point d'étrangers dans leur république. Peut-être étoient-ils en cela les plus fages de tous les Grecs.

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