Page images
PDF
EPUB

qu'ils avoient été dévorés par les démons, & qu'on avoit entendu leur voix qui reprochoit de n'avoir pas payé la dîme. En conféquence, il fut ordonné de la payer, non-feulement à ceux qui tenoient les biens eccléfiaftiques, mais encore à tout le monde; on peut juger par les différens canons des conciles, & par les loix civiles, la difficulté qu'il y eut à faire recevoir ce nouvel impôt.

La fameufe divifion que Charlemagne fit des dîmes en quatre parties, pour la fabrique des églifes, les pauvres, l'évêque & les clercs, prouve bien qu'il vouloit donner à l'église cet état fixe & permanent qu'elle avoit perdu. On voit par une espèce de codicile, rapporté par Eginhart, différent du teftament qu'on trouve dans Goldafte & Baluze, qu'il voulut achever de réparer avant fa mort les maux qu'avoit fait Charles Martel fon ayeul. Il fit, en effet, trois parties égales de fes biens mobiliers, & voulut que deux de ces parties fuffent divifées en vingt-une, pour les vingt-une métropoles de fon empire; chaque partie devoit être fubdivifée entre la métropole & les évêchés qui en dépendoient. Il partagea le tiers qui reftoit en quatre parties, une pour fes enfans & fes petitsenfans, une autre fut ajoutée aux deux tiers déjà donnés, les deux autres furent employées

en œuvres pies; il fembloit qu'il regardât moins comme une action religieufe que comme une difpenfation politique, le don immense qu'il venoit de faire aux églifes.

Charlemagne fongea à tenir le pouvoir de la nobleffe dans fes limites, & à empêcher l'oppreffion du clergé & des hommes libres. Il mit un tel tempérament dans les ordres de l'état, qu'ils furent contrebalancés, & qu'il resta le maître. Tout fut uni par la force de fon génie. Il mena continuellement la nobleffe d'expédition en expédition, ne lui laiffa pas le tems de former des deffeins, & l'occupa toute entière à fuivre les fiens. L'empire se maintint par la grandeur du chef. Le prince étoit grand, l'homme l'étoit davantage. Les rois, fes enfans, furent fes premiers fujets, les inftrumens de fon pouvoir & les modèles de l'obéiffance. Il fit d'admirables réglemens; il fit plus, il les fit exécuter. Son génie fe répandit fur toutes les parties de l'empire; on voit, dans les loix de ce prince, un esprit de prévoyance qui comprend tout, & une certaine force qui entraîne tout. Les prétextes pour éluder les devoirs font ôtés, les négligences corrigées, les abus réformés ou prévenus. Il favoit punir, il favoit encore mieux pardonner. Vaste dans fes deffeins, fimple dans l'exécution, perfonne n'eut à un plus haut

degré l'art de faire les plus grandes chofes avec facilité, & les difficiles avec promptitude. Il parcouroit fans ceffe fon vaste empire, portant la main par- tout où il alloit tomber. Les affaires renaiffoient de toutes parts, il les finifloit de toutes parts. Jamais prince ne fut mieux braver les dangers, jamais prince ne les fut mieux éviter, il se joua de tous les périls, & particulièrement de ceux qu'éprouvent prefque toujours les grands conquérans, je veux dire les confpirations. Ce prince prodigieux étoit extrêmement modéré; fon caractère étoit doux, fes manières fimples; il aimoit à vivre avec les gens de fa cour. Il fut peut-être trop fenfible au plaifir des femmes, mais un prince qui gouverna toujours par luimême, & qui paffa fa vie dans les travaux, peut mériter plus d'excuses. Il mit une règle admirable dans fa dépense; il fit valoir fes domaines avec fageffe, avec attention avec économie; un père de famille pourroit apprendre, dans fes loix, à gouverner sa maison. On voit, dans fes capitulaires, la fource pure & facrée d'où il tira fes richeffes. Un mot feul la fera fuffifamment connoître : il ordonnoit qu'on vendît les œufs des baffes-cours de fes domaines, & les herbes inutiles de fes jardins, après avoir diftribué à fes peuples toutes les ri

[ocr errors]

cheffes des Lombards, & les immenses tréfors de ces Huns, qui avoient dépouillé l'univers.

Charlemagne & fes premiers fucceffeurs craignirent que ceux qu'ils placeroient dans des lieux éloignés ne fuffent portés à la révolte ils crurent qu'ils trouveroient plus de docilité dans les eccléfiaftiques; ainfi ils érigèrent en Allemagne un grand nombre d'évêchés, & y joignirent de grands fiefs. Il paroît, par quelques chartres, que les claufes qui contenoient les prérogatives de ces fiefs n'étoient pas différentes de celles qu'on mettoit ordinairement dans ces conceffions, quoiqu'on voye aujourd'hui les principaux eccléfiaftiques d'Allemagne revêtus de la puiffance fouveraine; quoi qu'il en foit, c'étoit des pièces qu'ils mettoient en avant contre les Saxons. Ce qu'ils ne pouvoient attendre de l'indolence ou des négligences d'un leude, ils crurent qu'ils devoient l'attendre du zèle & de l'attention agissante d'un évêque. Outre qu'un tel vaffal, bien loin de fe fervir contr'eux des peuples affujettis, devoit avoir au contraire befoin d'eux pour fe foutenir contre fes peuples.

La force que Charlemagne avoit mise dans la nation fubfifta affez fous Louis-le-Débonnaine pour que l'état pût fe maintenir dans fa grandeur, & être respecté des étrangers. Le prince avoit l'efprit foible, mais la nation étoit guer

[ocr errors]

rière; l'autorité se perdoit au-dedans, fans que la puiffance parût diminuer au-dehors.

Charles-Martel, Pepin & Charlemagne gouvernèrent l'un après l'autre la monarchie. Le premier flatta l'avarice des gens de guerre, les deux autres celle du clergé ; Louis-le-Débonnaire mécontenta tous les deux.

Dans la conftitution Françoife, le roi, la nobleffe & le clergé avoient dans leurs mains toute la puiffance de l'état. Charles-Martel, Pepin & Charlemagne fe joignirent quelquefois d'intérêt avec l'une des deux parties pour contenir l'autre & prefque toujours avec toutes les deux; mais Louis-le-Débonnaire détacha de lui l'un & l'autre de ces corps. Il indifpofa les évêques par des réglemens qui leur parurent rigides. D'un autre côté ayant perdu toute forte de confiance pour fa nobleffe, il éleva des gens de néant, il la priva de fes emplois, la renvoya du palais, appela des étrangers. Il s'étoit féparé de ces deux corps, il en fut abandonné; mais ce qui affoiblit fur-tout la monarchie, c'est que ce prince en diffipa les domaines, donna les biens fiscaux, à l'instigation d'un de ses favoris, à tous ceux qui en vouloient, & mit l'état dans cet épuisement où l'avoit trouvé Charles Martel lorfqu'il parvint à la mairie.

Les guerres civiles qui avoient troublé fa vie

« PreviousContinue »