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le portera à ne pas travailler; la vanité d'un François à favoir travailler mieux que les autres. Les peuples d'Achim font fiers & pareffeux, ils fe croiroient déshonorés s'ils portoient euxmêmes deux pintes de riz feulement l'espace de cent pas. Les femmes des Indes feroient honteufes d'apprendre à lire; c'eft l'affaire, difentelles, des efclaves qui chantent des cantiques dans les pagodes. Les qualités morales ont cependant des effets différents, felon qu'elles font unies à d'autres; ainfi l'orgueil joint à une vaste ambition, à la grandeur des idées, produifit chez les Romains de grandes choses. Des ma- Il n'y a point de loix, pour ainsi dire, dans moeurs dans les états defpotiques; les mœurs & les manières

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nières & des

rac defpo

tique.

Quels font les moyens

en tiennent lieu; vouloir les changer, c'est s'expofer à une révolution certaine. On fe communique moins dans les pays où chacun, & comme fupérieur & comme inférieur, exerce & fouffre un pouvoir arbitraire, que dans ceux où la liberté règne dans toutes les conditions. On y change donc moins de manières & de moeurs. Les manières plus fixes approchent plus des loix; ainfi il faut qu'un prince ou un légiflateur choque moins les mœurs & les manières que dans aucun pays du monde.

Lorfqu'un prince veut faire de grands chan

changer les

manières d'u

gemens dans fa nation, il faut qu'il réforme naturels de par les loix ce qui eft établi par les loix, & mœurs & les qu'il change par les manières ce qui eft établi ne nation. par les manières, & c'eft une très-mauvaise politique de changer par les loix ce qui doit l'être par les manières. Ainfi la loi qui obligeoit les Mofcovites à fe faire couper la barbe & les habits, & la violence de Pierre I, qui faifoit tailler jufqu'aux genoux les longues robes de ceux qui entroient dans les villes, étoient tyranniques. Il y a des moyens pour empêcher les crimes, ce font les peines; il y en a pour faire changer les manières, ce font les exemples. En général les hommes font très-attachés à leurs coutumes, les leur ôter violemment, c'est les rendre malheureux : il ne faut donc pas les changer, mais les engager à les changer eux-mêmes.

On demandoit à Solon fi les loix qu'il avoit données aux Athéniens étoient les meilleures. Je leur ai donné, répondit-il, les meilleures de celles qu'ils pouvoient fouffrir. Les loix de Moyfe n'avoient auffi que cette bonté relative.

Rien n'eft plus fimple que les loix chez un peuple qui a de bonnes mœurs; elles fervent à leur tour à former les mœurs, les manières & le caractère d'une nation. Il fuffit pour nous en convaincre de jetter un coup-d'œil rapide

Que les loix doivent être relatives aux

mœurs & aux manières.

Comment les loix peu

fur les loix & la conftitution des Anglois, & fur les mœurs, les manières & le caractère de cette nation.

Ceux qui gouvernent en Angleterre ayant vent contri- une puiflance qui fe remonte pour ainfi dire & les mœurs, fe refait tous les jours, y doivent avoir & y

buer àformer

Jes manières

ière d'une na

tion.

& le carac- ont en effet plus d'égards pour ceux qui leur font utiles, que pour ceux qui les divertiffent : ainfi on y voit peu de courtisans, de flatteurs, de complaifans, enfin de toutes ces fortes de perfonnes qui font payer aux grands le vuide même de leur efprit; on n'y eftime les hommes que par les qualités réelles : & de ce genre il n'y en a que deux, les richesses & le mérite perfonnel. Comme on y est toujours occupé de fes intérêts, on n'y a point cette politeffe qui eft fondée sur l'oifiveté, & réellement on n'en a pas le tems.

L'époque de la politeffe des Romains est la même que celle de l'établiffement du pouvoir arbitraire. Le gouvernement abfolu produit l'oifiveté, & l'oifiveté fait naître la politeffe. Plus il y a

de
gens dans une nation qui ont befoin d'avoir
des ménagemens entr'eux, & de ne pas dé-
plaire, plus il y a de politeffe. Mais c'eft plus
la politeffe des mœurs que des manières qui
doit nous diftinguer des peuples barbares.

Dans une nation où tout homme à fa ma

nière prendroit part à la fituation de l'état, les femmes ne doivent guère vivre avec les hommes; elles doivent donc être modeftes en Angleterre, c'est-à-dire, timides. Cette timidité fait leur vertu, tandis que les hommes fans galanterie fe jettent dans une débauche qui leur laiffe toute leur liberté & tout leur loifir. On y voit des gens qui paffent leur vie à difcuter des intérêts politiques, à calculer les événemens qui, vu la nature des chofes & le caprice de la fortune, c'est-à-dire des hommes, ne font guère foumis au calcul. Un grand nombre ne fe fouciant de plaire à perfonne, s'y abandonne à leur humeur; la plupart avec de Pefprit y font tourmentés par leur efprit même: dans le dédain ou le dégoût de toutes choses, ils y font malheureux avec mille fujets de ne l'être pas.

La fierté du peuple Anglois vient de ce qu'ils n'ont rien à redouter les uns des autres, & de ce qu'ils ne dépendent que des loix & non des hommes. Mais ces hommes fi fiers vivant beaucoup avec eux-mêmes, fe trouvent fouvent au milieu de gens inconnus, de forte qu'on apperçoit en eux un mélange bizarre de mauvaise honte & de fierté. Le caractère de cette nation paroît fur-tout dans les ouvrages d'efprit, où l'on voit que les auteurs font des

gens recueillis qui ont penfé tous feuls.

A l'égard de la religion, comme dans cet état, chaque citoyen a fa volonté propre, & se conduit par fes propres lumières ou fes fantaifies, il doit néceffairement arriver, ou que chacun a beaucoup d'indifférence pour toutes fortes de religion de quelqu'espèce qu'elle foit, en forte que tout le monde eft porté à embraffer la religion dominante; ou que l'on y eft plein de zèle pour la religion en général, ce qui doit donner lieu à la multiplicité des fectes.

Comme les citoyens y ont plus de crédit que le clergé, au lieu de fe féparer, celui-ci aime mieux fupporter les mêmes charges que les laïcs, & ne faire à cet égard qu'un même corps; mais comme il cherche toujours à s'attirer le respect du peuple, il est néceffaire qu'il fe diftingue par une vie plus retirée, une conduite plus réfervée, & des moeurs plus pures. Le clergé n'y pouvant protéger la religion, ni être protégé par elle fans force pour contraindre, y cherche naturellement à perfuader.

Les dignités faifant partie de la conftitution fondamentale, y font plus fixes qu'ailleurs. Mais. d'un autre côté, les grands dans ce pays de liberté s'approchent plus du peuple, les rangs y doivent donc être plus féparés & les perfonnes plus confondues.

Des

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