Corneille, les Racine, les la Fontaine, les Fénélon, les Despréaux, les Rousseau; ainsi pensent encore dans notre siècle ceux qui contribuent à nous consoler de la perte de ces auteurs illustres. Convaincu donc que notre langue peut en quelque sorte s'élever jusqu'à la grandeur et à la majesté de la langue romaine, et en égaler la douceur et l'énergie, qu'elle a son harmonie et ses graces, et qu'enfin la belle antiquité n'a rien qu'elle ne puisse rendre heureusement, j'ai eu la hardiesse d'en faire l'essai sur le plus élégant et le plus sublime des poètes latins, et sur le genre d'écrire le plus auguste, qui est l'épopée. Pour concevoir ce dessein, il m'a fallu oublier ma foiblesse, et j'ai dû témérairement me supposer des talens. Une sorte d'ivresse m'a inspiré cette présomption, que j'ai moi-même plus d'une fois condamnée, en me repentant d'avoir entrepris un ouvrage si long, si pénible, et si au-dessus de mes forces. Des alternatives de présomption et de modestie, de courage et de défiance, d'opiniâtreté et de lassitude, ont enfin produit cette nouvelle traduction de toutes les Euvres de Virgile, qui m'a coûté plus de travail qu'aucun de mes autres écrits, puisqu'il n'y a presque aucune partie de cet ouvrage que je n'aie faite de trois ou quatre manières. Deux fois j'ai écrit de ma main l'ouvrage entier, et deux fois je l'ai fait copier au net. Les épreuves ont encore essuyé à l'impression tant de corrections et de changemens, qu'elles pourroient passer pour autant de copies nouvelles. Ce sont ces nombreuses épreuves, dont les dernières détruisoient toutes les précédentes, qui ont retardé une édition dont le public m'a reproché le délai, tandis que je m'épuisois pour me rendre digne de ses suffrages. Malgré tous ces soins, et quatre années de retraite et de travail, je suis bien éloigné de penser que ma traduction soit dans l'état de perfection où elle pourroit être. Je ne dis rien d'un cruel procédé tenu à mon égard, dans le temps que j'étois le plus occupé de mon ou vrage. Je ne me suis point abaissé à me jus-` tifier, et j'ai dédaigné de réfuter un bruit follement injurieux. Indignement accusé, j'ai marché au Capitole. Je vais maintenant rendre un compte plus particulier de la méthode que j'ai jugé à propos de suivre dans cette traduction. Je me suis proposé de rendre tous les vers de Virgile le plus littéralement que le génie de la langue françoise a pu le permettre. J'ai tâché de ne jamais supprimer ni travestir ses expressions figurées, et j'ai soigneusement évité de les réduire au sens propre, comme ont fait jusqu'ici la plupart des traducteurs des anciens poètes, qui par là ont fait disparoître toute la poésie de leurs originaux, dont ils n'ont présenté que les squelettes. Cependant j'ai été obligé quelquefois d'avoir recours à des figures équivalentes, parce que chaque langue a ses images et ses métaphores, comme chaque nation a ses lois et ses usages. Mais lorsque j'ai cru qu'une figure de la langue latine pourroit avoir de la force ou de la grace dans la nôtre, je me suis abstenu de lui substituer une autre figure, et je n'ai eu garde de réduire l'image à l'idée nue, quoique rien ne soit plus ordinaire dans toutes les traductions. J'ai donc été assez hardi pour adopter quelques-unes de ces figures en usage chez les Romains, et j'ai tâché de les ajuster à notre goût, dans la pensée que ces sortes de nouveautés étoient de bien plus solides enrichissemens pour notre langue que cette foule inutile de termes nouveaux et précieux que le bel esprit moderne s'est efforcé d'introduire parmi nous. Malgré ces principes, dont dépend l'exactitude et la force d'une traduction, je crains bien d'avoir été infidèle à moi-même et à mon auteur, faute de courage ou d'attention, et d'avoir plus d'une fois péché du côté de l'exactitude littérale, dont un traducteur ne doit jamais s'écarter, autant qu'il est possible, en prenant cette exactitude au sens que j'expliquerai dans le discours suivant. Il y a peu d'auteurs qui aient plus besoin de commentaires que Virgile, par rapport à la mythologie, à la géographie, à l'histoire ancienne, et aux usages des peuples dont il fait mention. Son style exige aussi quelques notes grammaticales, dont je n'ai employé qu'un petit nombre, étant ennemi des minuties de grammaire et de toutes sortes de notes enfantines, telles qu'il y en a plusieurs dans le Virgile du P. de la Rue et dans l'Horace du P. Sanadon. Outre les éclaircissemens que j'ai crus nécessaires par rapport aux endroits obscurs de mon auteur et à la manière dont je les ai rendus, je me suis encore proposé d'être utile au public d'une autre façon, et princi-. palement à la jeunesse. Pour cet effet, 1°. je rappelle dans mes remarques quelques morceaux remarquables des auteurs anciens et modernes qui ont ou traité les mêmes sujets, ou employé les mêmes pensées que Virgile. J'ai cru que ces citations, qui sont en petit nombre, ne déplairoient point, et serviroient à orner l'esprit des jeunes gens. 2°. Dans la |