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Voguaient à pleine voile, et de l'onde docile
Fendaient d'un cours heureux les bouillons écumaus
Quand la fière Junon, de ses ressentimens

Nourrissant dans son cœur la blessure immortelle,

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« Quoi! Sur moi, les Troyens l'emporteraient, dit-elle ! » Et de ces fugitifs le misérable roi

» Pourrait dans l'Italie aborder malgré moi!

» Le Destin, me dit-on, s'oppose à ma demande :
» Junon doit obéir quand le Destin commande.
» Pergame impunément a donc pu m'outrager?
» Seule entre tous les Dieux je ne puis me venger?
» O fureur! Quoi! Pallas, une simple déesse,
» A bien pu foudroyer les vaisseaux de la Grèce;

» Soldats, chefs, matelots, tout périt sous ses yeux : Pourquoi ? Pour quelques torts d'un jeune furieux.

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» Elle-même, tonnant du milieu des nuages,

>> Bouleversa les mers, déchaîna les orages, >> Dans un noir tourbillon saisit l'infortuné >> Qui vomissait des feux de son flanc sillonné, » Et de son corps, lancé sur des roches perçantes, » Attacha les lambeaux à leurs pointes sanglantes! » Et moi, qui marche égale au souverain des cieux, » Moi, l'épouse, la sœur du plus puissant des Dieux, » Armant contre un seul peuple et le ciel et la terre, » Vainement je me lasse à lui livrer la guerre! » Suis-je encore Junon? Et qui d'un vain encens >> Fera fumer encor mes autels impuissans? » En prononçant ces mots, la déesse en furie Vers ces antres, d'Éole orageuse patrie, Précipite son char. Là, sous de vastes monts, Le Dieu tient enchaînés dans leurs gouffres profonds Les vents tumultueux, les tempêtes bruyantes; S'agitant de fureur dans leurs prisons tremblantes Пs luttent en grondant, ils s'indignent du frein.

Circum claustra fremunt. Celsâ sedet Æolus arce 9
Sceptra tenens, mollitque animos, et temperat iras.
Ni faciat, maria, ac terras, cœlumque profundum,
Quippe ferant rapidi secum, verrantque per auras.
Sed pater omnipotens speluncis abdidit atris,
Hoc metuens mollemque et montes insuper altos
Imposuit; regemque dedit, qui fœdere certo
Et premere, et laxas sciret dare jussus habenas.
Ad quem tum Juno supplex his vocibus usa est :

Eole (namque tibi divûm pater atque hominum rex Et mulcere dedit fluctus, et tollere vento), Gens inimica mihi Tyrrhenum navigat æquor, Ilium in Italiam portans, victosque penates : Incute vim ventis, submersasque obrue puppes; Aut age diversos, et disjice corpora ponto. Sunt mihi bis septem præstanti corpore Nymphiæ, Quarum, quæ formâ pulcherrima, Deïopeiam Connubio jungam stabili, propriamque dicabo ; Omnes ut tecum meritis pro talibus annos Exigat, et pulchrâ faciat te prole parentem.

Eolus hæc contra: Tuus, o regina, quid optes Explorare labor; mihi jussa capessere fas est. Tu mihi quodcumque hoc regni, tu sceptra Jovemque Concilias; tu das epulis accumbere divûm, Nimborumque facis tempestatumque potentem.

Hæc ubi dicta, cavum conversâ cuspide montem

Au haut de son rocher, assis le sceptre en main,
Éole leur commande; il maîtrise, il tempère
Du peuple impétueux l'indocile colère :

S'ils n'étaient retenus, soudain cieux, terre, mers,
Devant eux rouleraient emportés dans les airs.
Aussi, pour réprimer leur fougue vagabonde,
Jupiter leur creusa cette prison profonde,
Entassa des rochers sur cet affreux séjour,
Et leur donna pour maître un roi qui, tour-à-tour
Irritant par son ordre, ou calmant leurs haleines,
Sut tantôt resserrer, tantôt lâcher les rênes.
Devant lui la déesse abaissant sa hauteur,

« Roi des vents, lui dit-elle, avec un air flatteur, « Vous, à qui mon époux, le souverain du monde, » Permit et d'apaiser et de soulever l'onde ! » Un peuple que je hais, et qui, malgré Junon, >> Ose aux champs des Latins transporter Ilion, » Avec ses dieux vaincus fend les mers d'Étrurie : » Commandez à vos vents de servir ma furie; >> Dispersez sur les mers ou noyez leurs vaisseaux, » Et de leurs corps épars couvrez au loin les eaux. » Douze jeunes beautés ornent ma cour brillante; » Deïope, la plus jeune et la plus séduisante, » Unie à vos destins par les nœuds les plus doux, » Acquittera les soins que j'exige de vous; » Et d'Éole à jamais la compagne fidèle,

» Un jour lui donnera des enfans dignes d'elle. » « Reine, répond Éole, ordonnez, j'obéis :

» A la table des dieux, par vous je suis assis;

>

» Par vous j'ai la faveur du souverain du monde,

» Et je 'commande en maître aux puissances de l'onde. »

Il ait, et, du revers de son sceptre divin,

Impulit in latus: ac venti, velut agmine facto, Quà data porta, ruunt et terras turbine perflant. Incubuêre mari, totumque a sedibus imis

Unà Eurusque Notusque ruunt, creberque procellis Africus ; et vastos volvunt ad littora fluctus. Insequitur clamorque virûm, stridorque rudentum. Eripiunt subito nubes cœlumque diemque Teucrorum ex oculis : ponto nox incubat atra. Intonuêre poli, et crebris micat ignibus æther : Præsentemque viris intentant omnia mortem.

Extemplo Æneæ solvuntur frigore membra :
Ingemit, et, duplices tendens ad sidera palmas,
Talia voce refert: O terque quaterque beati
Queis ante ora patrum, Trojæ sub moenibus altis,
Contigit oppetere ! O Danaûm fortíssime gentis
Tydide, mene Iliacis occumbere campis

Non potuisse, tuâque animam hanc effundere dextrâ
Sævus ubi acidæ telo jacet Hector, ubi ingens
Sarpedon, ubi tot Simoïs correpta sub undis
Scuta virum galeasque et fortia corpora volvit !

Talia jactanti stridens Aquilone procella Velum adversa ferit, fluctusque ad sidera tollit. Franguntur remi: tum prora avertit, et undis Dat latus; insequitur cumulo præruptus aquæ mons. Hi summo in fluctu pendent, his unda dehiscens Terram inter fluctus aperit. furit æstus arenis. Tres Notus abreptas in saxa latentia torquet : Saxa vocant Itali mediis in fluctibus arás,

quæ

Du mont frappe les flancs : ils s'ouvrent, et soudain
En tourbillons bruyans l'essaim fougueux s'élance,
Trouble l'air, sur les eaux fond avec violence.
Le rapide Zephire, et les fiers Aquilous,

Et les vents de l'Afrique, en naufrages féconds,
Tous bouleversent l'onde, et des mers turbulentes
Roulent les vastes flots sur leurs rives tremblantes.
On entend des nochers les tristes hurlemens,
Et des cables froissés les affreux sifflemens;
Sur la face des eaux s'étend la nuit profonde;
Le jour fuit, l'éclair brille, et le tonnerre gronde;
Et la terre et le ciel, et la foudre et les flots,
Tout présente la mort aux pâles matelots.
Enée, à cet aspect frissonne d'épouvante.
Levant au ciel ses yeux et sa voix suppliante,

« Heureux, trois fois heureux, ô vous qui, sous nos tours, » Aux yeux de vos parens, terminâtes vos jours!

» O des Grecs le plus brave et le plus formidable,
» Fils de Tydée, hélas! Sous ton bras redoutable,
» Dans les champs d'Ilion, les armes à la main,

Que n'ai-je pu finir mon malheureux destin? › Dans ces champs où d'Achille Hector devint la proie, > Où le grand Sarpédon périt aux yeux de Troie, » Où le Xanthe effrayé roule encor dans ses flots » Les casques et les dards, et les corps des héros! » Il dit, l'orage affreux, qu'anime encore Borée, Siffle et frappe la voile à grand bruit déchirée ; Les rames en éclats échappent au rameur; Le vaisseau tourne au gré des vagues en fureur, Et présente le flanc au flot qui le tourmente.

Soudain, amoncelée en montagne écumante, L'onde bondit : les uns, sur la cime des flots Demeurent suspendus; d'autres, au fond des eaux, Roulent, épouvantés de découvrir la terre.

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