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de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié (1) ? Esprit des lois, XV, v

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La sévérité des peines convient mieux au gouvernement despotique, dont le principe est la terreur, qu'à la monarchie et à la république, qui ont pour ressorts l'honneur et la vertu.

Dans les États modérés, l'amour de la patrie, la honte et la crainte du blâme, sont des motifs réprimants qui peuvent arrêter bien des crimes. La plus grande peine d'une mauvaise action sera d'en être convaincu. Les lois civiles y corrigeront donc plus aisément, et n'auront pas besoin de tant de force.

Dans ces États, un bon législateur s'attachera moins à punir les crimes qu'à les prévenir; il s'appliquera plus à donner des mœurs qu'à infliger des supplices.

L'expérience a fait remarquer que, dans les pays où les peines sont douces, l'esprit du citoyen en est frappé comme il l'est ailleurs par les grandes.

Quelque inconvénient se fait-ii sentir dans un État, un gouvernement violent veut soudain le corriger, et, au lieu de songer à faire exécuter les anciennes lois, on établit une peine cruelle qui arrête le mal sur-le-champ. Mais on use le ressort du gouvernement: l'imagination se fait à cette grande peine, comme elle s'était faite à la moindre; et comme on diminue la crainte pour celle-ci, l'on est bientôt forcé d'établir l'autre dans tous les cas. Les vols sur les grands chemins étaient communs dans quelques États, on voulut les arrêter: on inventa le supplice de la roue, qui les suspendit pendant quelque temps. Depuis ce temps, on a volé comme auparavant sur les grands chemins.

De nos jours, la désertion fut très-fréquente: on établit la peine de mort contre les déserteurs, et la désertion n'est pas diminuée. La raison en est bien naturelle: un soldat, accoutumé tous les jours à exposer sa vie, en méprise ou se flatte d'en mépriser le danger. Il est tous les jours accoutumé à craindre la honte, il fallait donc laisser une peine qui faisait porter une flé

1. Montesquieu est le premier qui ait protesté, au dix-huitième siècle, contre l'esclavage, que Bossuet avait approuvé.

EXT. GR. PHILOS.

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trissure pendant la vie. On a prétendu augmenter la peine, et on l'a réellement diminuée (1).

Il ne faut point mener les hommes par les voies extrêmes: on doit être ménager des moyens que la nature nous donne pour les conduire. Qu'on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu'elle vient de l'impunité des crimes, et non pas de la modération des peines.

Suivons la nature qui a donné aux hommes la honte comme leur fléau, et que la plus grande partie de la peine soit l'infamie de la souffrir.

Que s'il se trouve des pays où la honte ne soit pas une suite du supplice, cela vient de la tyrannie qui a infligé les mêmes peines aux scélérats et aux gens de bien.

Et si vous en voyez d'autres où les hommes ne sont retenus que par des supplices cruels, comptez encore que cela vient, en grande partie, de la violence du gouvernement qui a employé ces supplices pour des fautes légères.

Il y a deux genres de corruption; l'un, lorsque le peuple n'observe pas les lois; l'autre, lorsqu'il est corrompu par les lois, mal incurable, parce qu'il est dans le remède même.

Esprit des lois, liv. VI, ch. ix, XII.

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La loi salique (2) ne permettait point la preuve par le combat singulier; la loi des Ripuaires el presque toutes celles des

1. La protestation de Montaigne contre la rigueur et l'absurdité des peines n'avait point trouvé d'écho au dix-septième siècle. Le code de Richelieu semble avoir été écrit avec du sang. Dans les fameuses ordonnances de Louis XIV, la peine de mort est prodiguée, et quelle riche variété de supplices! Heureux encore s'ils n'avaient fait que suivre la condamnation! Mais ils la précédaient, et l'innocent expiait, dans les tortures de la question, le crime de ne pouvoir avouer aucun crime. Madame de Sévigné parle, sur un ton de plaisanterie, des atroces vengeances du duc de Chaulnes, en Bretagne. Elle rit de ces paysans bretons qui ne se lassent pas de se faire pendre; elle appelle mème cette pendaison un divertissement et déclaré que tout est bien, pourvu qu'elle puisse errer sous ses grands arbres. La pitié, qu'une femme de cour n'a point connue, le philosophe du dix huitième siècle l'a ressentie. Montesquieu a réclamé l'abolition de la torture et l'institution du jury. Un de ses disciples, Beccaria, a mème demandé l'abolition de la peine de mort. C'est à Montesquieu et à son école que nous devons la sécurité dont nous jouissons, et ces lois qui respectent, jusque dans l'individu coupable, le carac tère de l'humanité.

2. Cette loi portait que celui contre qui on formait une demande ou une

peuples barbares la recevaient. Il me paraît que la loi du combat était une suite naturelle et le remède de la loi qui établissait les preuves négatives. Quand on faisait une demande, et qu'on voyait qu'elle allait être injustement éludée par un serment, que restait-il à un guerrier qui se voyait sur le point d'être confondu, qu'à demander raison du tort qu'on lui faisait et de l'offre même du parjure? La loi salique, qui n'admettait point l'usage des preuves négatives, n'avait pas besoin de la preuve par le combat et ne la recevait pas; mais la loi des Ripuaires et celle des autres peuples barbares qui admettaient l'usage des preuves négatives furent forcés d'établir la preuve par le combat...

La preuve par le combat singulier avait quelque raison fondée sur l'expérience. Dans une nation uniquement guerrière, la poltronnerie suppose d'autres vices: elle prouve qu'on a résisté à l'éducation qu'on a reçue, et que l'on n'a pas été sensible à l'honneur, ni conduit par les principes qui ont gouverné les autres hommes; elle fait voir qu'on ne craint point leur mépris, et qu'on ne fait point cas de leur estime: pour peu qu'on soit bien né, on n'y manquera pas ordinairement de l'adresse qui doit s'allier avec la force, ni de la force qui doit concourir avec le courage; parce que, faisant cas de l'honneur, on se sera toute sa vie exercé à des choses sans lesquelles on ne peut l'obtenir. De plus, dans une nation guerrière où la force, le courage et la prouesse sont en honneur, les crimes véritablement odieux sont ceux qui naissent de la fourberie, de la finesse et de la ruse, c'est-à-dire de la poltronnerie.

Je dis donc que dans les circonstances des temps où la preuve par le combat et la preuve par le fer chaud et l'eau bouillante furent en usage, il y eut un tel accord de ces lois avec les mœurs, que ces lois produisirent moins d'injustices qu'elles ne furent injustes; que les effets furent plus innocents que leurs causes; qu'elles choquèrent plus l'équité qu'elles n'en violèrent les droits; qu'elles furent plus déraisonnables que tyranniques...

Déjà, je vois naître et se former les articles particuliers de notre point d'honneur. L'accusateur commençait par déclarer devant le juge qu'un tel avait commis une telle action; et celui-ci répon

accusation pourrait se justifier en jurant, avec un certain nombre de témoins, qu'il n'avait point fait ce qu'on lui imputait. Le nombre des témoins qui devaient jurer augmentait selon l'importance de la chose; il allait quelquefois jusqu'à soixante-douze. Voy. Montesquieu, Esprit des lois, liv. XXVII, chap. XIII.

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dait qu'il en avait menti; sur cela le juge ordonnait le duel. La maxime s'établit donc que, lorsqu'on avait reçu un démenti, il fallait se battre.

Quand un homme avait déclaré qu'il combattrait, il ne pouvait plus s'en départir; et s'il le faisait, il était condamné à une peine. De là suivit cette règle que, quand un homme s'était engagé par sa parole, l'honneur ne lui permettait plus de la rétracter.

Les gentilshommes se battaient entre eux à cheval et avec leurs armes, et les vilains se battaient à pied et avec le bâton. De là, il suivit que le bâton était l'instrument des outrages, parce qu'un homme qui en avait été battu avait été traité comme un vilain.

Il n'y avait que les vilains qui combattissent à visage découvert; ainsi, il n'y avait qu'eux qui pussent recevoir des coups sur la face. Un soufflet devint une injure qui devait être lavée par le sang, parce qu'un homme qui l'avait reçu avait été traité comme un vilain.

Disons donc que nos pères étaient extrêmement sensibles aux affronts; mais que les affronts d'une espèce particulière, de recevoir des coups d'un certain instrument sur une certaine partie du corps, et donnés d'une certaine manière, ne leur étaient pas encore connus. Tout cela était compris dans l'affront d'être battu; et dans ce cas, la grandeur des excès faisait la grandeur des outrages. Esprit des lois, liv. XXVIII, ch. xiv, xvii, xx.

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VOLTAIRE.

Arouet de Voltaire naquit à Paris en 1694. Élève des jésuites au collége Louis-le-Grand, il eut pour maître le P. Porée. Page, puis clerc de procureur, le jeune Arouet s'occupait surtout de poésie. Une satire sur Louis XIV qui lui fut faussement attribuée le fit mettre à la Bastille. I[ commença en prison la Henriade. On sait comment une vengeance du chevalier de Rohan le fit enfermer une seconde fois, et comment il fut exilé au sortir de sa prison, en 1726. Bien accueilli en Angleterre, Voltaire y prépara ses Lettres philosophiques, qui ne parurent que plus tard, en 1735, par l'infidélité d'un libraire, et qui furent brûlées par la main du bourreau. Madame du Chastelet lui ayant offert une retraite à Cirey en Champagne, il s'y livra à l'étude publia les Eléments de la philosophie de Newton. En 1750, il accepta les offres du roi de Prusse et partit pour Berlin. Après son retour en France, trois ans plus tard, il publia son Siècle de Louis XIV et son Essai sur les mœurs et l'esprit des nations. Il inséra aussi beaucoup d'études de philosophie dans le Dictionnaire philosophique. Il se fixa à Ferney en 1758, et fit son dernier voyage à Paris en 1778. Il y mourut le 30 mai de la même année.

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Si une horloge n'est pas faite pour montrer l'heure, j'avouerai alors que les causes finales ne sont que des chimères; et je trouverai fort bon qu'on m'appelle cause-finalier, c'est-à-dire un imbécile.

Toutes les pièces de la machine de ce monde semblent pourtant faites l'une pour l'autre. Quelques philosophes affectent de se moquer des causes finales rejetées par Épicure et Lucrèce. C'est plutôt, ce me semble, d'Épicure et de Lucrèce qu'il faudrait se moquer. Ils vous disent que l'œil n'est point fait pour voir, mais qu'on s'en est servi pour cet usage quand on s'est aperçu que les yeux y pouvaient servir. Selon eux, la bouche n'est point faite pour parler, pour manger, l'estomac pour digérer, le cœur pour recevoir le sang des veines et l'envoyer dans les artères, les pieds pour marcher, les oreilles pour entendre. Ces gens-là cependant avouaient que les tailleurs leur faisaient des habits pour les vêtir, et les maçons des maisons pour les loger; et ils osaient nier à la nature, au grand Être, à l'Intelligence universelle, ce qu'ils accordaient tous à leurs moindres ouvriers.

Il ne faut pas sans doute abuser des causes finales. Nous avons remarqué qu'en vain M. le Prieur, dans le Spectacle de la nature, prétend que les marées sont données à l'Océan pour que les vaisseaux entrent plus aisément dans les ports, et pour empêcher que l'eau de la mer ne se corrompe. En vain dirait-il que les jambes sont faites pour être bottées, et les nez pour porter des lunettes.

Pour qu'on puisse s'assurer de la fin véritable pour laquelle une cause agit, il faut que cet effet soit de tous les temps et de tous les lieux. Il n'y a pas eu des vaisseaux en tout temps et sur toutes les mers; aussi l'on ne peut pas dire que l'Océan ait été fait pour les vaisseaux. On sent combien il serait ridicule de prétendre que la nature eût travaillé de tout temps pour s'ajuster aux inventions de nos arts arbitraires, qui tous ont paru si tard; mais il est bien évident que si les nez n'ont pas été faits pour les besicles, ils l'ont été pour l'odorat, et qu'il y a des nez depuis qu'il y a des hommes. De même les mains n'ayant pas été données en faveur des gantiers, elles sont visiblement destinées à tous les usages que le métacarpe et les phalanges de nos doigts,

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