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vôtre, et me mettant dans la même disposition où je souhaite que vous entriez, je vous demande donc : si Jésus-Christ paraissait dans ce temple, au milieu de cette assemblée, la plus auguste de l'univers, pour nous juger, pour faire le terrible discernement des boucs et des brebis, croyez-vous que le plus grand nombre de tout ce que nous sommes ici fût placé à la droite? croyez-vous que les choses du moins fussent égales? croyez-vous qu'il s'y trouvât seulement dix justes, que le Seigneur ne put trouver autrefois en cinq villes tout entières? Je vous le demande, vous l'ignorez, je l'ignore moi-même ; vous seul, ô mon Dieu! connaissez ceux qui vous appartiennent mais si nous ne connaissons pas ceux qui lui appartiennent, nous savons du moins que les pécheurs ne lui appartiennent pas. Or, qui sont les fidèles ici assemblés? les titres et les dignités ne doivent être comptés pour rien; vous en serez dépouillés devant Jésus-Christ qui sont-ils ? beaucoup de pécheurs qui ne veulent pas se convertir; encore plus qui le voudraient, mais qui diffèrent leur conversion; plusieurs autres qui ne se convertissent jamais que pour retomber; enfin un grand nombre qui croient n'avoir pas besoin de conversion voilà le parti des réprouvés. Retranchez ces quatre sortes de pécheurs de cette assemblée sainte; car ils en seront retranchés au grand jour : paraissez maintenant, justes; où êtes-vous? restes d'Israël, passez à la droite: froment de Jésus-Christ, démêlez-vous de cette paille destinée au feu. O Dieu! où sont vos élus? et que restet-il pour votre partage?

MASSILLON.

Sermon sur le petit nombre des élus.

LIVRE II

LA MORALE INDIVIDUELLE

CHAPITRE I

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

1.

Comment l'homme peut avoir des devoirs envers lui-même.

Au premier abord, il est étrange que l'homme ait des devoirs envers lui-mème. L'homme étant libre s'appartient. Ce qui est le plus à moi, c'est moi-même : voilà la première propriété et le fondement de toutes les autres. Or l'essence de la propriété n'est-elle pas d'être à la disposition du propriétaire, et par conséquent ne puis-je faire de moi ce qu'il me plaît 1?

Mais, de ce que l'homme est libre, de ce qu'il n'appartient qu'à lui-même, il ne faut pas conclure qu'il a sur lui-même tout pouvoir. De cela seul qu'il est doué de liberté, comme aussi d'intelligence, je conclus ou dois

1. C'est ce qu'on exprime par l'axiome: Volenti non fit injuria. Je ne fais de tort qu'à moi-même, dit-on encore, avec la pensée que cela constitue une excuse.

conclure qu'il ne peut sans faillir dégrader sa liberté, pas plus que son intelligence. C'est un coupable usage de la liberté que de l'abdiquer. Nous l'avons dit : la liberté n'est pas seulement sacrée aux autres, elle l'est à elle-même. La soumettre au joug de la passion au lieu de l'accroître sous la libérale discipline du devoir, c'est avilir en nous ce qui mérite notre respect comme celui des autres. L'homme n'est pas une chose1, et par conséquent il ne peut pas se traiter comme une chose.

Si j'ai des devoirs envers moi-même, ce n'est pas précisément envers moi comme individu, c'est envers la liberté et l'intelligence qui font de moi une personne morale. Il faut bien distinguer en nous ce qui nous est particulier de ce qui appartient à l'humanité. Chacun de nous contient en lui la nature humaine avec tous ses éléments essentiels; et de plus, tous ces éléments y sont d'une certaine manière qui n'est pas la même dans deux hommes différents. Ces particularités font l'individu, mais non pas la personne; et la personne seule en nous est respectable et sacrée, parce qu'elle seule représente l'humanité.

Cette obligation imposée à la personne morale de se respecter elle-même, ce n'est pas moi qui l'ai établie : je ne puis donc pas la détruire. Le respect de moi-même est-il fondé sur une de ces conventions arbitraires qui cessent d'être quand les parties contractantes y renoncent librement? Les deux contractants sont-ils ici moi et moi-même? Non, il y a un des contractants qui n'est pas moi, à savoir l'humanité, la personne morale. Il n'y a mème ici ni convention ni contrat. Par cela seul que la personne morale est en nous, nous sommes obligés envers elle, sans convention d'aucune sorte, sans contrat

1. La distinction de la personne et de la chose tient une grande place en morale.

qui se puisse résilier, et par la nature même des choses. De là vient que l'obligation est absolue1.

V. COUSIN.

Cours de l'Histoire de la philosophie, t. II 2. (Perrin et Cie, éditeurs.)

2.

Contre le suicide.

I t'est donc permis de cesser de vivre? Je voudrais bien savoir si tu as commencé. Quoi! fus-tu placé sur la terre pour n'y rien faire? Le ciel ne t'imposa-t-il point avec la vie une tâche pour a remplir? Si tu as fait ta journée avant le soir, repose-toi le reste du jour, tu le peux; mais voyons ton ouvrage. Quelle réponse tiens-tu prête au juge suprême qui te demandera compte de ton temps? Parle, que lui diras-tu? Malheureux' trouve-moi ce juste qui se vante d'avoir assez vécu; que j'apprenne de lui comment il faut avoir porté la vie pour être en droit de la quitter?

Tu comptes les maux de l'humanité; tu ne rougis pas d'épuiser ces lieux communs cent fois rebattus, et tu dis: La vie est un mal. Mais regarde, cherche dans l'ordre des choses si tu y trouves quelques biens qui ne soient point mêlés de maux. Est-ce donc à dire qu'il n'y ait aucun bien dans l'univers? et peux-tu confondre ce qui est mal par sa nature avec ce qui ne souffre le mal que par accident?

Tu t'ennuies de vivre, et tu dis: La vie est un mal. Tôt ou tard tu seras consolé, et tu diras: La vie est un bien. Tu diras plus vrai sans mieux raisonner : car rien n'aura changé que toi. Change donc dès aujourd'hui;

1. Le même V. Cousin a écrit ailleurs : « Quand tout à coup nous serions jetés dans une ile déserte, le devoir nous y suivrait encore. 2. Lagrange et Didier, 1846.

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