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d'un autre. Ce sentiment est plus naturel que généreux, reprit Mme de Maintenon; car révéler un secret qu'on vous a confié est une trahison, une bassesse, une infamie, et si vous dites le vôtre, ce n'est qu'une imprudence qui ne porte d'ordinaire préjudice à personne; votre secret est à vous, vous êtes maitresse de le dire à qui il vous plait; si vous le placez mal, tant pis pour vous c'est une indiscrétion; mais le secret qu'on vous a confié est un dépôt qui doit être sacré et dont Vous ne pouvez disposer; c'est pourquoi toutes les règles du christianisme et de l'honneur vous imposent la nécessité de ne le pas violer; mais il est de la prudence de ne vous pas engager au secret avant de savoir si vous pouvez, en conscience, ne pas déclarer ce qu'on veut vous donner sous le secret.

«Voici un petit détail des plus communes indiscrétions qu'il faut tàcher d'éviter avec soin, si l'on ne veut pas être fort désagréable en société :

« Choisir la place la plus commode; prendre ce qu'il y a de meilleur sur la table; interrompre ceux qui parlent; parler trop haut; montrer par quelque air du visage que ce que l'on dit vous fâche ou vous ennuie, et qu'on le trouve trop long; parler de soi, de ses sentiments, de ses aventures, de sa naissance, de sa famille, de ses répugnances, de ses inclinations, de sa santé, de ses maladies; non point que l'on ne puisse faire quelquefois quelques-unes de ces choses-là, mais il faut que cela soit rare; dire dans ce que l'on raconte des circonstances inutiles: allonger ce que l'on dit, au lieu de le raccourcir; ne pas montrer d'attention à ce que l'on nous dit; parler bas à l'oreille devant quelques personnes à qui l'on doit du respect; parler ou faire du bruit à un spectacle, en cérémonie; parler de quelque défaut devant ceux qui l'ont; parler pour

parler, sans qu'il y ait de l'utilité ou du plaisir pour les autres; rire immodérément; se mettre devant le jour de quelqu'un qui travaille ou qui fait quelque autre chose; s'approcher de trop près de quelqu'un qu'on respecte; ne pas écouter une lecture où l'on se trouve; ne pas attendre la fin d'une histoire qui nous ennuie; se trop presser de dire ce qu'on vient d'apprendre ; montrer qu'on savait ce qu'on veut dire; se servir de ce qui est aux autres ; parler trop vivement; hasarder de gåter ce qui est aux autres; montrer qu'on voit et qu'on entend ce qu'on veut vous cacher; écouter quelqu'un qui parle bas; dépenser librement ce qui n'est point à nous; faire des questions inutiles; montrer qu'on sait un secret; quand quelque chose devient public, montrer qu'on le savait; montrer qu'on devine ce qu'on ne nous veut pas dire; s'avancer trop; ne pas craindre de faire attendre; ne pas craindre d'incommoder les autres; emprunter trop facilement; garder trop longtemps ce qu'on emprunte; lire les lettres qu'on trouve ; ne pas ménager ses domestiques sur leur travail, sur leurs pas, sur leur repos; présumer de ses forces, et pour le corps et pour l'esprit ; se pousser trop par des austérités qui ne sont pas de notre état, sans prévoir que nous manquons ensuite à ce qui en est : parler de sa conscience à ceux qui n'en sont pas chargés; parler trop de ses confesseurs; vouloir que les autres pensent et agissent comme nous; répondre trop facilement des autres; porter son jugement facilement, soit des choses, soit des personnes; agir et parler sans réflexion; assurer ce qu'on n'a pas vu; parler avec décision; demander à une dame quel âge elle a; regarder par-dessus l'épaule ce qu'elle lit ou ce qu'elle écrit; rire de ce qu'on n'entend point; rire des façons des étrangers qui nous paraissent si singu

lières, ou de leur langage quand ils ne parlent pas bien le français. >>

MME DE MAINTENON.

Instructions à la classe verte1, 1716.

1. Les classes de Saint-Cyr étaient distinguées par la couleur du ruban.

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Si la personne morale m'est sacrée, ce n'est pas parce qu'elle est en moi, c'est parce qu'elle est la personne morale; elle est respectable en soi; elle le sera donc partout où nous la rencontrerons1.

Elle l'est en vous comme en moi et au même titre. Relativement à moi elle m'imposait un devoir; en vous elle devient le fondement d'un droit, et m'impose par là un devoir nouveau relativement à vous.

Je vous dois la vérité comme je me la dois à moi-même ; car la vérité est la loi de votre raison comme de la mienne. Sans doute il doit y avoir une mesure dans la communication de la vérité tous n'en sont pas capables au même moment et au même degré; il faut la leur proportionner pour qu'ils la puissent recevoir; mais enfin la vérité est le bien propre de l'intelligence; et c'est pour moi un devoir étroit de respecter le développement de votre esprit, de ne point arrêter et même de favoriser sa marche vers la vérité.

Je dois aussi respecter votre liberté. Je n'ai pas même toujours le droit de vous empêcher de faire une faute.

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1. C'est la doctrine de Kant qui donne du devoir cette formule : Agis de telle sorte que tu traites toujours l'humanité soit dans ta personne, soit dans la personne d'autrui, comme une fin, et que tu ne t'en serves jamais comme d'un moyen ».

La liberté est si sainte que, même alors qu'elle s'égare, elle mérite encore jusqu'à un certain point d'ètre ménagée. On a souvent tort de vouloir trop prévenir le mal que Dieu lui-même permet. On peut abêtir les àmes à force de les vouloir épurer.

Je vous dois respecter dans vos affections qui font partie de vous-mêmes; et de toutes les affections il n'y en a pas de plus saintes que celles de la famille. Il y a en nous un besoin de nous répandre hors de nous sans cependant nous disperser, de nous établir pour ainsi dire dans quelques âmes par une affection régulière et consacrée c'est à ce besoin que répond la famille. L'amour des hommes est quelque chose de bien général. La famille, c'est presque encore l'individu et ce n'est pas seulement l'individu : elle ne nous demande que d'aimer autant que nous-même ce qui est presque nous-même. Elle attache les uns aux autres, par des liens doux et puissants, le père, la mère, l'enfant; elle donne à celui-ci un secours assuré dans l'amour de ses parents, à ceux-là un espoir, une joie, une vie nouvelle dans leur enfant. Attenter au droit conjugal ou paternel, c'est attenter à la personne dans ce qu'elle a peut-être de plus sacré.

Je dois respect à vos biens, car ils sont le fruit de votre travail, je dois respect à votre travail qui est votre liberté même en exercice; et, si vos biens viennent d'un héritage, je dois respect encore à la libre volonté qui vous les a transmis.

Le respect des droits d'autrui s'appelle la justice : toute violation d'un droit quelconque est une injustice.

Toute injustice est une entreprise sur notre personne : retrancher le moindre de nos droits, c'est diminuer notre personne morale, c'est, par cet endroit du moins, nous rabaisser à l'état d'une chose.

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