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L'orgueil et la vanité ont un rapport remarquable : c'est de précéder l'amour et de lui survivre, parce que l'amour ne fait que des pertes, et que tout est recette pour l'orgueil et la vanité.

RIVAROL.

De l'Homme intellectuel et moral.

24. La vaine gloire.

Nous appelons vaine la gloire qu'on se donne, ou pour ce qui n'est pas en nous, ou pour ce qui est en nous, mais non pas à nous, ou pour ce qui est en nous et à nous, mais qui ne merite pas qu'on s'en glorifie. La noblesse de la race, la faveur des grands, l'honneur populaire, ce sont choses qui ne sont pas en nous, mais ou en nos predecesseurs, ou en l'estime d'autruy. Il y en a qui se rendent fiers et morgans1, pour estre sur un bon cheval, pour avoir un pennache en leur chapeau, pour estre habillez somptueusement. Mais qui ne voit cette folie? car s'il y a de la gloire pour cela, elle est pour le cheval, pour l'oyseau et pour le tailleur. Et quelle lascheté de courage est-ce d'emprunter son estime d'un cheval, d'une plume, d'un goderon?? Les autres se prisent et regardent pour des moustaches relevées, pour une barbe bien peignée, pour des cheveux crespez, pour des mains douillettes, pour sçavoir danser, joüer, chanter; mais ne sont-ils pas lasches de courage, de vouloir enchérir leur valeur et donner du surcroist à leur réputation par des choses si frivoles et folastres? Les autres

1. Même sens que notre mot morgue.

2. Goderon, aujourd'hui godron, moulure qui se fait aux bords de la vaisselle d'argent.

pour un peu de science veulent estre honorez et respectez du monde, comme si chacun devoit aller à l'escole chez eux et les tenir pour maistres : c'est pourquoy on les appelle pedans. Les autres se pavonnent sur la consideration de leur beauté, et croyent que tout le monde les muguette: tout cela est extremement vain, sot et impertinent et la gloire qu'on prend de si foibles sujets s'appelle vaine, sotte et frivole.

On connoist le vray bien comme le vray baume: on fait l'essay du baume en le distillant dedans l'eau : car s'il va au fond et qu'il prenne le dessous, il est jugé pour estre du plus fin et precieux : ainsi pour connoistre si un homme est vrayment sage, sçavant, genereux, noble, il faut voir si ses biens tendent à l'humilité, modestie et soubmission, car alors ce seront des vrays biens; mais s'ils surnagent, et qu'ils vueillent paroistre, ce seront des biens d'autant moins veritables qu'ils seront plus apparens. Les perles qui sont conceuës ou nourries au vent et au bruit des tonnerres, n'ont que l'escorce de perle et sont vuides de substance, et ainsi les vertus et belles qualitez des hommes qui sont receuës et nourries en l'orgueil, en la ventance et en la vanité, n'ont qu'une simple apparence du bien, sans suc, sans moüelle et sans solidité.

Les honneurs, les rangs, les dignitez sont comme le saffran, qui se porte mieux et vient plus abondamment d'estre foulé aux pieds. Ce n'est plus honneur d'estre beau quand on s'en regarde; la beauté pour avoir bonne grâce doit estre negligée : la science nous déshonnore quand elle nous enfle, et qu'elle degenere en pedanterie.

Si nous sommes poinctilleux pour les rangs, pour les seances, pour les tiltres, outre que nous exposons nos

1. Les courtise.

qualitez à l'examen, à l'enqueste et à la contradiction, nous les rendons viles et abjettes; car l'honneur qui est beau estant receu en don, devient vilain quand il est exigé, recherché et demandé1.

SAINT FRANÇOIS DE SALES.
Introduction à la vie dévote, III, 4,

25. La fausse modestie.

Nous ne manquons pas de gens qui croient être modestes, et qui le croient de bonne foi; ils le paraissent

1. Cf. BOSSUET, Sermon sur l'honneur: «Or, parmi ces vices puérils, il n'y a personne qui ne voie que le plus puéril de tous, c'est l'honneur que nous mettons dans les choses vaines et cette facilité de nous y laisser éblouir. D'où nait dans les hommes une telle erreur, qu'ils aiment mieux se distinguer par la pompe extérieure que par la vie, et par les ornements de la vanité que par la beauté des mœurs? D'où vient que celui qui se ravilit par ses vices au-dessous des derniers esclaves, croit assez conserver son rang et soutenir sa dignité par un équipage' magnifique, et que, pendant qu'il se néglige lui-même jusqu'au point de ne se parer d'aucune vertu, il pense être assez orné quand il assemble 2, pour ainsi dire, autour de lui ce que la nature a de plus rare : « comme si c'était là, dit saint Augustin", le souverain bien et la richesse de l'homme, que tout ce qu'il a soit riche et précieux, excepté lui-même. » Ainsi l'homme, petit en soi et honteux de sa petitesse, travaille à s'accroître et à se multiplier dans ses titres, dans ses possessions, dans ses vanités : tant de fois comte, tant de fois seigneur, possesseur de tant de richesses, maitre de tant de personnes, ministre de tant de conseils, et ainsi du reste: toutefois, qu'il se multiplie tant qu'il lui plaira, il ne faut toujours pour l'abattre qu'une seule mort. Mais, mes frères, il n'y pense pas; et dans cet accroissement infini que sa vanité s'imagine, il ne s'avise jamais de se mesurer à son cercueil, qui seul néanmoins le mesure au juste. »><

1. «Se dit du train, de la suite, des hardes. » Acad., 1694.

2. Sens d'amasser.

3 De civilate Dei, 111, 1.

même à ne regarder que la superficie de cela. Mais examinez-les d'un peu près. Celui-ci ne se loue point, par exemple; n'ayez pas peur qu'il se vante d'avoir la moindre qualité; il n'oserait presque dire qu'il est honnête homme; il ne se sert là-dessus que de phrases mitigées, et encore les bégaie-t-il; il est bon, il est généreux, serviable, franc, simple, il est tout cela, sans en avoir jamais dit un mot. Oh! c'est qu'il vous trompe; il l'a dit, et il le dit toujours, car toujours il vous fait remarquer qu'il ne le dit point.

En voici un qui rougit quand vous le louez; vous l'embarrassez tant, qu'il ne sait que vous répondre, il perd contenance. Oh! celui-là est modeste. Non; c'est qu'il a tant d'amour-propre, qu'il en est timide et inquiet; vous le louez en compagnie, tout le monde le regarde, et il n'aime pas à voir l'attention de tout le monde fixée sur lui; il est en peine, pendant que vous le louez, de ce que les autres en pensent; il a peur qu'on ne l'épluche en ce moment-là, et qu'il n'y perde; il a peur qu'on ne croie qu'il prend plaisir à ce que vous dites, et que cela n'indispose la vanité des autres contre lui. Trouvez le moyen de lui persuader que tout le monde est aussi charmé de l'entendre louer qu'il le serait lui-même; et vous verrez s'il sera embarrassé; il vous aidera à dire, il se livrera à vous comme un enfant, il vous dira: «Mettez encore cela et puis encore cela. » Ainsi ce n'est pas votre éloge qu'il craint, il le savourerait mieux qu'un autre; mais c'est l'esprit injuste et dédaigneux de ceux qui écoutent. Appelez-vous cela modestie? Je connais un homme qui, bien loin de se louer, se ravale presque toujours; il combat tant qu'il peut la bonne opinion que vous avez de lui. Eût-il fait l'action la plus louable, il ne tiendra pas à lui que vous ne la regardiez comme une bagatelle; il n'y songeait pas quand il l'a faite, il ne savait pas qu'il

faisait si bien; et si vous insistez, il la critique, il lui trouve des défauts, il vous les prouve de tout son cœur, et c'est parce que vous êtes prévenu en sa faveur que vous ne les voyez pas. Que voulez-vous de plus beau? Ah! le fripon! il sait bien qu'il ne vous persuadera pas, et il ne prend pas le chemin d'y réussir. Vous l'avez cru vrai dans tout ce qu'il disait; eh bien! son coup est fait, vous voilà pris. De quel mérite ne vous paraîtra pas un homme qui, tout estimable qu'il est, ne sait pas qu'il l'est, et ne croit pas l'être? Peut-on se défendre d'admirer cela? Non, à ce qu'il a cru. Aussi vous attendait-il là, et vous y êtes.

Je m'ennuierais de compter les faux modestes de cette espèce, ils sont sans nombre; il n'y a que de cela dans la vie; et comme dit mon livre, la modestie réelle et vraie n'est peut-être qu'un masque parmi les hommes. Il est vrai qu'il y a tel masque qu'il est difficile de ne pas prendre pour un visage. Il y en a aussi quantité de si grossiers qu'on les devine tout d'un coup; et ceux-là, je leur pardonne volontiers, à cause qu'ils me font rire, ou qu'ils me font pitié.

Je connais de bonnes gens très plaisants, par exemple; c'est que sachant le cas qu'on fait de ceux qui ne se louent point, ils ont là-dessus fait leur plan; ils ont dit : « Je serai modeste; allons, cela est arrêté »; et ils le sont. Ce n'est pas là tout; c'est que si alors vous ne leur disiez point qu'ils le sont, ils vous le diraient eux-mêmes; et si vous le dites le premier, ils en conviennent de tout leur cœur; ils vous rapportent des exemples de leur modestie; ils vous marquent les temps, les lieux, les actions, avec une satisfaction et une naïveté pleines d'innocence. Ensuite ils concluent, ils disent : « C'est vrai, mon défaut n'est pas d'être vain. » Et pour preuve, c'est qu'ils en font vanité, de n'être pas vains. Aussi ces

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