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honteuse, si différente de celle qui paraît aux yeux des hommes, était publiée sur les toits, aussi connue que certaines actions d'éclat qui vous ont peut-être attiré l'estime publique, et passait avec elles jusqu'à la dernière postérité? O homme! telle est votre destinée dans vos passions, de n'être jamais de bonne foi avec vousmême. Non, mes frères, le monde lui-même, ce monde si corrompu, respecte la pudeur; il couvre d'une confusion éternelle ceux qui s'en écartent; il en fait le sujet de ses dérisions et de ses censures : il leur fait sentir, par des distinctions d'oubli et de mépris, l'indignité de leur conduite; c'est-à-dire que, malgré le rang que vous tenez dans le monde, chacun vous dégrade dans son esprit on vous dépouille de cette naissance, de ces titres, de cet éclat qui vous environne; on ne voit de vous que vous-même, c'est-à-dire la honte de vos penchants; plus vous êtes élevé, plus on vous rabaisse, plus vos faiblesses passent de bouche en bouche, et peut-être de siècle en siècle, dans les annales publiques; et votre ignominie croit à proportion de votre gloire: Secundum gloriam ejus multiplicata est ignominia ejus1.

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Il ne faut pas s'imaginer que la concupiscence de la chair consiste seulement dans les passions dont nous venons de parler c'est une racine empoisonnée qui

1. Mach., 1, 42.

étend ses branches sur tous les sens, et se répand dans tout le corps. La vue en est infectée, puisque c'est par les yeux que l'on commence à avaler le poison de l'amour sensuel....

Les oreilles en sont infectées, quand par de dangereux entretiens, et des chants remplis de mollesse, l'on allume ou l'on entretient les flammes de l'amour impur, et cette secrète disposition que nous avons aux joies sensuelles: car l'âme, une fois touchée de ces plaisirs, perd sa force, affaiblit sa raison, s'attache aux sens et au corps. Cette femme, qui dans les Proverbes vante les parfums qu'elle a répandus sur son lit, et la douce odeur qu'on respire dans sa chambre, pour conclure aussitôt après : « Enivrons-nous de plaisirs et jouissons des embrassements désirés 1,» montre assez par son discours à quoi mènent les bonnes senteurs, préparées pour affaiblir l'âme, l'attirer aux plaisirs des sens par quelque chose qui, ne semblant pas offenser directement la pudeur, s'y fait recevoir avec moins de crainte, la dispose néanmoins à se relâcher, et détourne son attention de ce qui doit faire son occupation naturelle.

Tous les plaisirs des sens s'excitent les uns les autres : l'âme qui en goûte un remonte aisément à la source qui les produit tous. Ainsi les plus innocents, si l'on n'est toujours sur ses gardes, préparent aux plus coupables; les plus petits font sentir la joie qu'on ressentirait dans les plus grands, et réveillent la concupiscence. Il y a même une mollesse et une délicatesse répandue dans tout le corps qui, faisant chercher un certain repos dans le sensible, le réveille et en entretient la vivacité. On aime son corps avec une attache qui fait oublier son âme et l'image de Dieu qu'elle porte

1. Prov., VII, 21,

empreinte dans son fond; on ne se peut rien refuser : un soin excessif de sa santé fait qu'on flatte le corps en tout; et tous ces divers sentiments sont autant de branches de la concupiscence de la chair.

Toute âme pudique fuit l'oisiveté, la nonchalance, la délicatesse, la trop grande sensibilité, les tendresses qui amollissent le coeur, tout ce qui flatte les sens, les nourritures exquises tout cela n'est que la pâture de la concupiscence de la chair, que saint Jean nous défend, et en entretient le feu1.

BOSSUET.

Traité de la concupiscence, ch. v.

13. La gourmandise.

Cliton n'a jamais eu en toute sa vie que deux affaires, qui est de diner le matin et de souper le soir : il ne semble né que pour la digestion. Il n'a de même qu'un entretien il dit les entrées qui ont été servies au dernier repas où il s'est trouvé; il dit combien il y a eu de potages, et quels potages; il place ensuite le rôt et les entremets; il se souvient exactement de quels plats on a relevé 2 le premier service; il n'oublie pas les horsd'œuvre, le fruit et les assiettes 3; il nomme tous les vins et toutes les liqueurs dont il a bu il possède le langage des cuisines autant qu'il peut s'étendre, et il me fait envie de manger à une bonne table où il ne soit

1. Il faudrait rapprocher de ceci toute la prédication de saint Jérôme.

2. Accompagné, escorté.

3. Les assiettes volantes, que l'on mettait entre les plats, et qui contenaient les entrées, les ragoûts, les entremets, etc.

point. Il a surtout un palais sûr, qui ne prend point le change, et il ne s'est jamais vu exposé à l'horrible inconvénient de manger un mauvais ragoût ou de boire d'un vin médiocre. C'est un personnage illustre dans son genre, et qui a porté le talent de se bien nourrir jusques où il pouvait aller. On ne reverra plus un homme qui mange tant et qui mange si bien; aussi est-il l'arbitre des bons morceaux, et il n'est guère permis d'avoir du goût pour ce qu'il désapprouve. Mais il n'est plus : il s'est fait du moins porter à table jusqu'au dernier soupir. Il donnait à manger le jour qu'il est mort. Quelque part où il soit, il mange; et s'il revient au monde, c'est pour manger.

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L'avare n'amasse que pour amasser ce n'est pas pour fournir à ses besoins; il se les refuse son argent lui est plus précieux que sa santé, que sa vie, que son salut, que lui-même; toutes ses actions, toutes ses vues, toutes ses affections ne se rapportent qu'à cet indigne objet. Personne ne s'y trompe; et il ne prend aucun soin de dérober aux yeux du public le misérable penchant dont il est possédé; car tel est le caractère de cette honteuse passion, de se manifester de tous les côtés, de ne faire au dehors aucune démarche qui ne soit marquée de ce maudit caractère, et de n'être un mystère que pour celui seul qui en est possédé. Toutes les autres passions sauvent du moins les apparences, on les cache aux yeux du public: une imprudence, un abandon de Dieu peut quelquefois les dévoiler; mais le coupable

cherche, autant qu'il est en soi, les ténèbres; mais pour la passion de l'avarice, on ne se la cache qu'à soi-même : loin de prendre des précautions pour la dérober aux yeux du public, tout l'annonce, tout la montre à découvert; on la porte écrite dans son langage, dans ses actions, dans toute sa conduite, et, pour ainsi dire, sur son front.

L'âge et les réflexions guérissent d'ordinaire les autres passions, au lieu que celle-ci semble se ranimer et reprendre de nouvelles forces dans la vicillesse. Plus on avance vers ce moment fatal où tout cet amas sordide doit disparaître et nous être enlevé, plus on s'y attache: plus la mort approche, plus on couve des yeux son misérable trésor; plus on le regarde comme une précaution nécessaire pour un avenir chimérique. Ainsi l'àge rajeunit, pour ainsi dire, cette indigne passion les. années, les maladies, les réflexions, tout l'enfonce plus profondément dans l'âme, et elle se nourrit et s'enflamme par les remèdes mêmes qui guérissent et éteignent toutes les autres. On a vu des avares, dans une décrépitude où à peine leur restait-il assez de force pour soutenir un cadavre tout prêt à retomber en pourriture, ne conserver, dans la défaillance totale des facultés de leur âme, le reste de sensibilité, et, pour ainsi dire, de signe de vie, que pour cette indigne passion; elle seule se soutenir, se ranimer sur les débris de tout le reste; le dernier soupir être encore pour elle; les inquiétudes des derniers moments la regarder encore et l'infortuné qui meurt jeter encore des regards mourants qui vont s'éteindre sur un argent que la mort lui arrache, mais dont elle n'a pu arracher l'amour de son cœur.

MASSILLON.
Discours synodaux.

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