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Tous les deux étendus, à l'abri des chaleurs
Foulaient un vert gazon, paré de mille fleurs.
Grâce aux soins journaliers de leurs doux exercices,
Leur soif a ses plaisirs, leur faim a ses délices:
Simple était leur festin; les arbres complaisants
Eux-mêmes de leurs fruits leur offraient les présents;
Et, s'inclinant vers eux, les branches tributaires
Font hommage à leur roi de ces dons volontaires.
Quand leur faim a vécu de ce riche trésor,
Dans le sein parfumé de leur écorce d'or

Leur soif puise une eau pure; et, par un double usage,
Le même fruit contient leur coupe et leur breuvage.
De ce charmant
pas absents,
Agréables souris, propos divertissants!

repas vous n'étiez

Ni vous, du doux hymen légitimes tendresses,
Dont ce lieu solitaire enhardit les caresses!
Du souverain du monde innombrables vassaux,
Autour d'eux folâtraient les divers animaux ;
Alors sujets heureux, soumis sans esclavage,
Qui depuis, s'enfonçant dans la forêt sauvage,
Dans le creux des rochers, dans le fond des déserts,
Craignent et font trembler le roi de l'univers.
Devant eux déployant sa gaîté caressante,
Le lion tient l'agneau dans sa griffe innocente;
Ensemble se jouaient, confusément épars,
Le lynx aux yeux perçants, les ours, les léopards;

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Le lourd éléphant même à leur plaire s'empresse,
Montre tantôt sa force, et tantôt son adresse
Et, de sa trompe agile épuisant tous les jeux,
En roule tour à tour et déroule les noeuds.
Tandis qu'aux pieds de l'homme, helas! sans défiance,
D'un air insidieux se glissant en silence,
Sans être soupçonné, le perfide serpent

Se traîne en longs anneaux, et s'avance en rampant:
D'autres dorment couchés sur la fraîche verdure,
Et d'un air indolent ruminent leur pâture.
Cependant par degrés s'obscurcissaient les airs;
Le soleil fatigué descendait dans les mers;
Et l'étoile du soir à la nuit taciturne
Revient prêter les feux de sa lampe nocturne.
Immobile long-temps, l'archange ténébreux
Enfin laisse éclater ses accents douloureux :

«Puissances de l'enfer, voilà donc cette race » A qui notre oppresseur a promis notre place! » O rage! ils sont heureux, et nous sommes proscrits! » Plus je les considère, et plus je suis surpris. » Assemblage nouveau de lumière et de fange, » Voisins de la matière, ils approchent de l'ange. » Moi-même, en les voyant si semblables à nous, » Je sens que ma pitié balance mon courroux, » Tant sur eux l'Éternel a répandu de grâce. » Oh! si tu prévoyais le sort qui te menace!

» Hâte-toi, couple aimable, hâte-toi de jouir » Plaisirs, honneurs, repos, tout va s'évanouir; » Oui, bientôt tes douleurs égaleront ta joie : » Tremble, le malheur vient et demande sa proie. » Comment a pu de Dieu la funeste bonté » Joindre à tant de grandeur tant de fragilité?

» En vain ce Dieu pour toi fit un ciel sur la terre, » C'est Satan, oui, c'est moi qui t'apporte la guerre. » Ah! celui qui pour toi créa ces nouveaux lieux » Contre un tel ennemi dut les protéger mieux; » Le voilà près de vous. Mais, que dis-je? la haine, » O couple infortuné! n'est pas ce qui m'amène; » Non, le triste abandon qui m'intéresse à toi » M'inspire une pitié que Dieu n'eut pas pour moi. » Je viens à mes destins unir votre fortune;

» Nos droits seront communs, notre cause commune; >> Vous vivrez avec moi, je veux vivre avec vous. » Je ne vous promets point ce paradis si doux, » Ces vergers odorants et ce jardin fertile;

» Toutefois tel qu'il est acceptez mon asile:

» Tel qu'il me fut donné je vous l'offre à mon tour. » Bientôt, pour vous conduire à ma nombreuse cour, »Des princes et des rois vont vous servir d'escorte, » Et pour vous les enfers élargiront leur porte. » Ce n'est point cet espace étroit et limité; » Vous, vos fils, leurs enfants et leur postérité,

» Habiterez à l'aise en mes vastes domaines.

» Si les plaisirs y sont moins nombreux que les peines, » Accusez-en le Dieu qui força ma fureur

» A. vous punir des maux dont lui seul est l'auteur. » Oui, j'ai pitié de vous, je plains votre innocence, » Mais la raison d'état emporte la balance:

» Mes affronts à venger, un monde à conquérir,
» Ont endurci ce cœur tout prêt à s'attendrir:
» J'embrasse malgré moi ce que l'honneur demande,
» Et la pitié se tait quand la gloire commande. »
Ainsi Satan s'armait, pour des crimes si grands,
De la nécessité, l'excuse des tyrans.

Aussitôt de son poste il descend, il se glisse
Parmi les animaux, dont le joyeux caprice
Folâtre innocemment sous les ombrages frais.
De chacun tour à tour il emprunte les traits;
Sous ces traits imposteurs, qu'avec art il emploie,
Il vient, sans être vu, reconnaître sa proie;
Près des époux marchant par d'obliques détours,
Il vient étudier leurs gestes, leurs discours;
Tantôt du fier lion prend l'épaisse crinière,
Les yeux etincelants et la démarche altière;
Tantôt ressemble au tigre adroit et furieux,
Qui, de deux jeunes faons suivant de loin les jeux,
Se tapit, se relève, et d'espace en espace
Avançant par degré, choisit enfin la place

D'où le traître allongeant deux griffes à la fois,
Tous les deux les enlève et s'enfuit dans les bois.
Cependant sous ces traits quand Satan se déguise,
A sa chère compagne à ses côtés assise

Adam ouvre son coeur; et l'auteur de ses maux
Prête une oreille avide à ces accents nouveaux :

<< Toi par qui ces beaux lieux s'embellissent encore;
» Toi, le premier bienfait de ce Dieu que j'adore,
» Sans doute à son pouvoir s'égale sa bonté,
» Dit-il; eh! de ce Dieu qu'avions-nous mérité?
» Qu'a-t-il besoin de nous, lui dont la main féconde
» Nous tira de la poudre, et nous donna le monde?
» Et, pour tant de bienfaits, qu'exige-t-il de nous?
» Dans ce riche jardin, dont les fruits sont si doux,
» Près de l'arbre de vie est l'arbre de science;
» Tous, lui seul excepté, sont en notre puissance:
» Chère Ève, tu le vois : de la vie à la mort
» L'espace n'est pas long. Contents de notre sort,
» Gardons-nous d'irriter la colère céleste.
» Si nous osons toucher à cet arbre funeste,
» La mort en est le prix, et, je ne sais pourquoi,
» Ce nom seul de la mort me pénètre d'effroi.

» Ah! lorsque nous régnons sur tout ce qui respire,
» Quand l'air, la terre et l'eau sont par lui notre empire,
» Chère Ève, pourrions-nous méconnaître ses dons?
>> Obéissons au Dieu par qui nous commandons;

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