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Il prépare en secret, par un art tout nouveau,
Un plaisir pour son cœur, pour ses yeux un tableau.
Un constructeur arrive, et soudain, ô merveille!
Une maison s'élève, à leur maison pareille.

Ses murs, vieillis par l'art, offrent même coup d'œil;
Semblable en est l'entrée, et semblable est le seuil.
C'est leur même buffet, c'est leur modeste table :
Nombre égal d'animaux a peuplé leur étable;
Et jusque dans leur cour un nombre égal d'oiseaux
Est perché sur les toits ou nage dans les eaux.
Seulement leur vieux coq, qu'avaient sauvé ses ailes,
Ne reconnaissait plus ses amantes nouvelles.
Le jour arrive enfin ; le couple infortuné

Vient, voit, doute s'il veille, et recule étonné :
De réduits en réduits leurs yeux charmés s'égarent.
Tel, si les grands objets aux petits se comparent,
Des Troyens, autrefois jetés sous d'autres cieux,
Ilion imité charmait encor les yeux;

Et du Xanthe sacré, sur un autre rivage,

Leurs cœurs avec transport reconnaissaient l'image : Tel le couple admirait son chaume accoutumé,

Et son armoire antique, et son âtre enfumé;

Et, comme ces remparts qu'Hector ne put défendre,
Leurs humbles murs aussi renaissaient de leur cendre.
De ses hochets perdus, son unique trésor,
Seul, leur plus jeune enfant se désolait encor;
On apaise ses cris. Cependant la chaumière

A repris du travail l'activité première ;
Les roseaux avec art s'enlacent aux roseaux;
J'entends tourner la roue et rouler les fuseaux.
Là l'heureux fondateur de l'heureuse peuplade
Aimait à diriger sa douce promenade;

Là de ses soins touchants il recevait le prix :
Sur leur bouche, à sa vue, errait un doux souris ;

Et l'accent du bonheur, de la reconnaissance,
Ainsi que leur hommage, était sa récompense.
Tant, de l'instant propice ardente à se saisir,
La bonté sait changer un désastre en plaisir !

CHANT II.

Maintenant, ô Pitié! redouble de courage! D'un sort plus rigoureux je vais peindre l'image. Au sein de ses amis, auprès de ses parents,

Les plaisirs sont plus doux, et les malheurs moins grands:
Quelle douleur résiste aux soins d'une famille,

Aux souris d'une épouse, aux larmes d'une fille ?
Je chante l'homme en proie à des maux plus cruels,
Qui, loin de ses amis et des toits paternels,
Perdant de ses foyers la douceur domestique,
Attend ou la justice ou la pitié publique.

Viens donc, ô ma déesse! entrons dans ce séjour
Où l'homme, dans les fers, languit privé du jour.
Hélas! tandis qu'auprès de leurs jeunes compagnes,
Dans les riches cités, dans les vertes campagnes,
Ses amis d'autrefois amusent leurs loisirs;
Lorsque, donnant à tous le signal des plaisirs,
L'airain retentissant et l'aiguille muette,
Du temps qui la conduit vagabonde interprète,
Marquant au laboureur la fin de ses travaux,
Aux mineurs harassés une trêve à leurs maux,
Appellent chaque soir la jeunesse folâtre
Aux délices du bal, aux pompes du théâtre,
Ou, d'un moment plus cher annonçant le retour,
De l'heure fortunée avertissent l'amour,

Le temps par la douleur lui mesure les heures.
Réduit pour seul plaisir, dans ces noires demeures,

A lire quelques mots où d'autres, avant lui,
Sur ces terribles murs ont tracé leur ennui,
Il est seul : dans un long et lugubre silence,
Pour lui le jour s'achève et le jour recommence ;
Pour lui plus de beaux jours, de ruisseaux, de gazon:
Cette voûte est son ciel, ces murs son horizon.
Son regard, élevé vers le flambeau céleste,
Vient mourir dans la nuit de son cachot funeste;
Rien n'égaye à ses yeux sa morne obscurité;
Ou si, par des barreaux avares de clarté,
Un faible jour se glisse en ces antres funèbres,
Il redouble pour lui les horreurs des ténèbres;
Et, le cœur consumé d'un respect sans espoir,
Il cherche la lumière, et gémit de la voir 1.

Toutefois, en ces lieux plus d'une cause amène Les malheureux captifs gémissant dans leur chaîne. D'un créancier cruel jouet infortuné,

L'un dans ce noir séjour soupire emprisonné.
Ah ! rendez-le à son fils, à sa femme chérie !
Votre luxe d'un jour peut suffire à sa vie :

Dieu vous voit; le malheur vous bénit; et ses vœux
Du fond de son cachot vont retentir aux cieux.
Non loin est un mortel que la mélancolie,

Ou l'affreux désespoir, a frappé de folie.
Pouvez-vous, sans pitié pour son malheur affreux,
Comme un vil criminel traiter un malheureux ?
S'il est infortuné, faut-il être barbares?

Il est, qui le croirait? de ces parents avares
Qui, par les longs ennuis d'une triste prison,
Achèvent d'étouffer un reste de raison,
Dont la feinte pitié, qu'un lâche intérêt souille,
D'un parent relégué s'assure la dépouille;
Et de leur sang qui crie étouffant la douleur,
Calcule la misère et jouit du malheur.

Ah! si le ciel a mis la pitié dans votre âme
Pour ces infortunés ma muse la réclame.
Adoucissons leur sort, traitons avec bonté
Ces malheureux bannis de la société ;

De ces mânes, exclus des scènes de la vie,
Laissons errer en paix la libre fantaisie;
Par de durs traitements ne l'effarouchons pas;
Que des objets riants se montrent sur leurs pas;
Entourons-les de fleurs; que le cours des fontaines
Roule, nouveau Léthé, l'heureux oubli des peines;
Et dans des prés fleuris, sous des ombrages verts,
Offrons-leur l'Élysée, et non pas les enfers.

Le crime même enfin a des droits sur notre âme ;
Souvent, pour expier un attentat infâme,
Des pensers généreux le funeste abandon,
Pour remonter vers eux, n'attend que le pardon;
Et le vice, épuré par un remords sublime,
A nos cœurs étonnés sait arracher l'estime.
Relevez, s'il se peut, son courage abattu :
Le remords quelquefois fait mieux que la vertu.
Eh! qui ne connaît pas le consolant spectacle
Qu'étale des bandits ce vaste réceptacle,
Cette Botany-Bay, sentine d'Albion 2,
Où le vol, la rapine et la sédition

En foule sont vomis, et, purgeant l'Angleterre,
Dans leur exil lointain vont féconder la terre.

Là l'indulgente loi de sujets dangereux
Fait d'habiles colons, des citoyens heureux,
Sourit au repentir, excite l'industrie,
Leur rend la liberté, des mœurs, une patrie.
Je vois de toutes parts les marais desséchés ;
Les déserts embellis et les bois défrichés.
Imitez cet exemple : à leur prison stérile
Enlevez ces brigands, rendez leur peine utile;

Et, qu'arrachant aux fers le remords vertueux,
Le pardon change en biens des maux infructueux.
Ou, s'il faut par sa mort que le crime s'expie,
Ah! préparez son cœur sur cette tête impie
Que la grâce divine épanche ses trésors,

Et sauve au moins son âme, en nous livrant son corps.
Dieu lui-même en pitié prend déjà la victime ;
Dieu chérit la vertu, mais mourut pour le crime:
Par la terre proscrit, son refuge est au ciel.
Quels qu'ils soient, n'allez pas stérilement cruel,
Dans le fatal séjour où la loi les exile,
Aggraver leurs malheurs d'un malheur inutile,
Rendre leurs fers plus lourds, et sans nécessité
Joindre la solitude à la captivité.

Dans ce triste abandon, où lui-même s'abhorre
Par ses pensers cruels le malheur se dévore.
Ah! laissez arriver ses chers consolateurs,

Et que des pleurs du moins répondent à ses pleurs!
La justice est coupable alors qu'elle est cruelle.

Ton âme le connut, ce noble et tendre zèle,
Howard! dont le nom seul console les prisons.
Qu'on ne me vante plus les malheurs vagabonds
De ce roi voyageur, père de Télémaque,
Cherchant pendant dix ans son invisible Ithaque.
Avec un but plus noble, un cœur plus courageux,
Sur les monts escarpés, sur les flots orageux,
Dans les sables brûlants, vers la zone inféconde,
Où languit la nature aux limites du monde,
Aux lieux où du croissant on adore les lois,
Aux lieux où triompha l'étendard de la croix,
Partout où l'on connaît le malheur et les larmes,
Suivant d'un doux penchant les invincibles charmes,
Le magnanime Howard parcourt trente climats.
Est-ce la gloire ou l'or qui conduisent ses pas?

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