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Ici Pétrarque, à Laure exprimant son amour,
Voyait naître trop tard, mourir trop tôt le jour;
Retrouverai-je encor sur ces rocs solitaires
De leurs chiffres unis les tendres caractères?
Une grotte écartée avait frappé mes yeux;
Grotte sombre, dis-moi si tu les vis heureux !
M'écriais-je. Un vieux tronc bordait-il le rivage,
Laure avait reposé sous son antique ombrage :
Je redemandais Laure à l'écho du vallon,
Et l'écho n'avait point oublié ce doux nom.
Partout mes yeux cherchaient, voyaient Pétrarque et Laure,
Et par eux ces beaux lieux s'embellissaient encore.
Ah! si dans vos travaux est toujours respecté
Le lieu par un grand homme autrefois habité,
Combien doit l'être un sol embelli par lui-même!
Dans ces sites fameux c'est leur maître qu'on aime.
Eh! qui du Tusculum de l'orateur romain,
Du Tivoli si cher au Pindare latin,

Aurait osé changer la forme antique et pure?
Tout ornement l'altère, et l'art lui fait injure.
Loin donc l'audacieux qui, pour le corriger,
Profane un lieu célèbre en voulant le changer!
Le grand homme au tombeau se plaint de cet outrage,
Et les ans seuls ont droit d'embellir son ouvrage.
Gardez donc d'attenter à ces lieux révérés;

Leurs débris sont divins, leurs défauts sont sacrés.
Conservez leurs enclos, leurs jardins, leurs murailles :
Tel on laisse sa rouille au bronze de médailles.
Tel j'ai vu ce Twicknham dont Pope est créateur 5;
Le goût le défendit d'un art profanateur;

Et ses maîtres nouveaux, révérant sa mémoire,
Dans l'œuvre de ses mains ont respecté sa gloire.
Ciel! avec quel transport j'ai visité ce lieu,

Dont Mindipe est le maître, et dont Pope est le dieu!

Le plus humble réduit avait pour moi des charmes.
Le voilà ce musée où l'œil trempé de larmes,
De la tendre Héloïse il soupirait le nom;
Là sa muse évoquait Achille, Agamemnon,
Célébrait Dieu, le monde, et ses lois éternelles,
Ou les règles du goût, ou les cheveux des belles;
Je reconnais l'alcôve où jusqu'à son réveil
Les doux rêves du sage amusaient son sommeil ;
Voici le bois secret, voici l'obscure allée
Où s'échauffait sa verve, en beaux vers exhalée.
Approchez, contemplez ce monument pieux,
Où pleurait en silence un fils religieux :

Là repose sa mère; et des touffes plus sombres
Sur ce saint mausolée ont redoublé leurs ombres;
Là du Parnasse anglais le chantre favori

Se fit porter mourant sous son bosquet chéri ;
Et son œil, que déjà couvrait l'ombre éternelle,
Vint saluer encor la tombe maternelle.

Salut, saule fameux que ses mains ont planté !
Hélas! tes vieux rameaux dans leur caducité
En vain sur leurs appuis reposent leur vieillesse,
Un jour tu périras; ses vers vivront sans cesse.
Console-toi pourtant; celui qui, dans ses vers,
D'Homère, le premier, fit ouïr les concerts,
Bienfaiteur des jardins ainsi que du langage,
Le premier sur les eaux suspendit ton ombrage:
A peine le passant voit ce tronc respecté,
La rame est suspendue, et l'esquif arrêté;

Et même en s'éloignant, vers ce lieu qu'il adore
Ses regards prolongés se retournent encore.
Mon sort est plus heureux; par un secret amour
Près de ces bois sacrés j'ai fixé mon séjour.
Eh! comment résister au charme qui m'entraîne ?
Par plus d'un doux rapport mon penchant m'y ramène.

Le chantre d'Ilion fut embelli par toi;
Virgile, moins heureux, fut imité par moi,
Comme toi, je chéris ma noble indépendance,
Comme toi, des forêts je cherche le silence.
Aussi, dans ces bosquets par ta muse habités,
Viennent errer souvent mes regards enchantés :
J'y crois entendre encor ta voix mélodieuse;
J'interroge tes bois, ta grotte harmonieuse;
Je plonge sous sa voûte avec un saint effroi,
Et viens lui demander des vers dignes de toi.
Protège donc ma muse; et si ma main fidèle
Jadis à nos Français te montra pour modèle,
Inspire encor mes chants; c'est toi dont le flambeau
Guida l'art des jardins dans un chemin nouveau;
Ma voix t'en fait hommage, et dans ce lieu champêtre
Je viens t'offrir les fleurs que toi-même as fait naître.

CHANT IV.

Non, je ne puis quitter le spectale des champs.
Eh! qui dédaignerait ce sujet de mes chants?
Il inspirait Virgile, il séduisait Homère :
Homère, qui d'Achille a chanté la colère,
Qui nous peint la terreur attelant ses coursiers,
Le vol sifflant des dards, le choc des boucliers,
Le trident de Neptune ébranlant les murailles,
Se plaît à rappeler, au milieu des batailles,
Les bois, les prés, les champs; et de ces frais tableaux
Les riantes couleurs délassent ses pinceaux.

Et lorsque pour Achille il prépare des armes,
S'il y grave d'abord les siéges, les alarmes,
Le vainqueur tout poudreux, le vaincu tout sanglant,
Sa main trace bientôt, d'un burin consolant,

La vigne, les troupeaux, les bois, les pâturages :
Le héros se revêt de ces douces images,
Part, et porte à travers les affreux bataillons
L'innocente vendange et les riches moissons.
Chantre divin, je laisse à tes muses altières
Le soin de diriger ces phalanges guerrières ;
Diriger les jardins est mon paisible emploi.
Déjà le sol docile a reconnu ma loi ;

Des gazons l'ont couvert; et, de sa main vermeille,
Flore sur leur tapis a versé sa corbeille;

Des bois ont couronné les rochers et les eaux.
Maintenant, pour jouir de ces brillants tableaux,
Dans ces champs découverts, sous ces obscures voûtes,
D'agréables sentiers vont me frayer des routes.
Des scènes à ma voix naîtront de toutes parts;
Pour les orner enfin j'y conduirai les arts;
Et le ciseau divin, la noble architecture,
Vont de ces lieux charmants achever la parure.
Les sentiers, de nos pas guides ingénieux,
Doivent, en les montrant, nous embellir ces lieux.
Dans vos jardins naissants je défends qu'on les trace.
Dans vos plants achevés l'œil choisit mieux leur place;
Vers les plus beaux aspects sachez les diriger.
Voyez, lorsque vous-même, aux yeux de l'étranger,
Vous montrez vos travaux, votre art avec adresse
Va chercher ce qui plaît, évite ce qui blesse,
Lui découvre en passant des sites enchantés,
Lui réserve au retour de nouvelles beautés,
De surprise en surprise et l'amuse et l'entraîne,
D'une scène qui fuit fait naître une autre scène;
Et toujours remplissant ou piquant son désir,
Souvent, pour l'augmenter, diffère son plaisir.
Eh bien, que vos sentiers vous imitent vous-même.
Dans leurs formes encor fuyez tout vain système,

Enfant du mauvais goût, par la mode adopté.
La mode règne aux champs ainsi qu'à la cité.
Quand de leur symétrique et pompeuse ordonnance
Les jardins d'Italie eurent charmé la France,
Tout de cet art brillant fut prompt à s'éblouir :
Pas un arbre au cordeau n'osa désobéir;
Tout s'aligna partout; en deux rangs étalées
S'allongèrent sans fin d'éternelles allées.
Autre temps, autre goût. Enfin le parc anglais
D'une beauté plus libre avertit le Français ;
Dès lors on ne vit plus que lignes ondoyantes,
Que sentiers tortueux, que routes tournoyantes.
Lassé d'errer, en vain le terme est devant moi :
Il faut encore errer, serpenter malgré soi,
Et, maudissant vingt fois votre importune adresse,
Suivre sans cesse un but qui recule sans cesse.
Évitez ces excès; tout excès dure peu.

De ces sentiers divers chaque genre a son lieu;
L'un conduit aux aspects dont la grandeur frappante
De loin fixe mes yeux et nourrit mon attente;
L'autre m'égarera dans ces réduits secrets
Qu'un art mystérieux semble voiler exprès :
Mais rendez naturel ce dédale factice.

Qu'il ait l'air du besoin, et non pas du caprice ;
Que divers accidents rencontrés dans son cours,
Les bois, les eaux, le sol commandent ces détours.
Dans leur forme j'exige une heureuse souplesse ;
Des longs alignements si je haiş la tristesse,
Je hais bien plus encor le cours embarrassé
D'un sentier qui, pareil à ce serpent blessé,
En replis convulsifs sans cesse s'entrelace,
De détours redoublés m'inquiète, me lasse,
Et, sans variété, brusque et capricieux,
Tourmente et le terrain, et mes pas, et mes yeux.

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