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J'égarai mes regards sur ce théâtre immense!
Combien je jouissais! soit que, l'onde en silence,
Mollement balancée, et roulant sans efforts,
D'une frange d'écume allât ceindre ses bords;
Soit que son vaste sein se gonflât de colère;
J'aimais à voir le flot, d'abord ride légère,
De loin blanchir, s'enfler, s'allonger et marcher,
Bondir tout écumant de rocher en rocher;
Tantôt se déployer comme un serpent flexible,
Tantôt, tel qu'un tonnerre, avec un bruit horrible,
Précipiter sa masse, et de ses tourbillons

Dans les rocs caverneux engloutir les bouillons.
Ce mouvement, ce bruit, cette mer turbulente,
Roulant, montant, tombant en montagne écumante,
Enivraient mon esprit, mon oreille, mes yeux,
Et le soir me trouvait immobile en ces lieux.

Donc, si ce grand spectacle entoure vos domaines,
Montrez, mais variez ces magnifiques scènes :
Ici que la mer brille à travers les rameaux ;
Là, dans l'enfoncement de ces profonds berceaux,
Comme au bout d'un long tube, une voûte la montre;
Au détour d'un bosquet ici l'œil la rencontre,

La perd encor; enfin la vue en liberté

Tout à coup la découvre en son immensité.

Sur ces aspects divers fixez l'œil qui s'égare ; Mais, il faut l'avouer, c'est d'une main avare Que les hommes, les arts, la nature et le temps, Sèment autour de nous de riches accidents.

O plaines de la Grèce ! ô champs de l'Ausonic!
Lieux toujours inspirants, toujours chers au génie ;
Que de fois, arrêté dans un bel horizon,

Le peintre voit, s'enflamme, et saisit son crayon ;
Dessine ces lointains, et ces mers, et ces îles,
Ces ports, ces monts brûlants et devenus fertiles;

Des laves de ces monts encor tout menaçants,
Sur des palais détruits d'autres palais naissants,
Et, dans ce long tourment de la terre et de l'onde,
Un nouveau monde éclos des débris du vieux monde !
Hélas! je n'ai point vu ce séjour enchanté,
Ces beaux lieux où Virgile a tant de fois chanté;
Mais j'en jure et Virgile et ses accords sublimes,
J'irai ! de l'Apennin je franchirai les cimes ;
J'irai, plein de son nom, plein de ses vers sacrés,
Les lire aux mêmes lieux qui les ont inspirés.

Vous, au lieu des beautés qu'étalent ces rivages,
N'avez-vous au dehors que de froids paysages,
Formez-vous au dedans un asile enchanteur :
Tel le sage dans lui sait trouver son bonheur.
A vos scènes donnez l'air piquant du mystère;
Que votre art les promette, et que l'œil les espère".
Promettre, c'est donner; espérer, c'est jouir.

D'un vain luxe non plus n'allez pas m'éblouir.
L'utile a sa beauté; gardez-vous de l'exclure.
La richesse du luxe appauvrit la nature :
Ses plants infructueux un moment flattent l'œil ;
Mais Vertumne et Palès, exilés par l'orgueil,
Maudissent ces bosquets et ces fleurs inutiles,
De leur fécond domaine usurpateurs stériles;
Bientôt le soc vengeur y revient sur leurs pas,
Et Cérès en triomphe a repris ses États.

Plantez donc pour cueillir. Que la grappe pendante, La pêche veloutée et la poire fondante,

Tapissant de vos murs l'insipide blancheur,
D'un suc délicieux vous offrent la fraîcheur;

Que sur l'oignon du Nil et sur la verte oseille

En globes de rubis descende la groseille;

Que l'arbre offre à vos mains la pomme au teint vermeil, Et l'abricot doré par les feux du soleil.

A côté de vos fleurs, aimez à voir éclore,
Et le chou panaché que la pourpre colore,
Et les navets sucrés que Freneuse a nourris,
Pour qui mon dur censeur m'accusa de mépris.

Ma muse aux dieux des champs ne fit point cette injure :
Hôte aimable des bois, ami de la nature,

L'art des vers orne tout, et ne dédaigne rien;

Tout plaît mis à sa place : aussi gardez-vous bien
D'imiter le faux goût qui mêle en son ouvrage
L'inculte, l'élégant, le peigné, le sauvage;

Que tout soit près de vous, fraîcheur, grâces, attraits;
Et qu'ailleurs, au hasard désordonnant ses traits,
La nature reprenne une marche plus fière.

Enfin, pour vous donner un conseil moins vulgaire,
Toujours l'art de planter ne dicte pas des lois
Pour les vergers du sage et les jardins des rois.

Il est des lieux publics où le peuple s'assemble, Charmé de voir, d'errer et de jouir ensemble; Tant l'instinct social dans ses nobles désirs Veut, comme ses travaux, partager ses plaisirs! Là nos libres regards ne souffrent point d'obstacle. Ils veulent embrasser tout ce riche spectacle ; Ces panaches flottants, ces perles, ces rubis, L'orgueil de la coiffure et l'éclat des habits; Ces voiles, ces tissus, ces étoffes brillantes, Et leurs reflets changeants, et leurs pompes mouvantes. Tels, si dans ces jardins où la fable autrefois

A caché des héros, des belles et des rois,

Dans la tige des lis, des œillets et des roses,

Les dieux mettaient un terme à leurs métamorphoses,
Tout à coup nous verrions, par un contraire effet,
S'animer, se mouvoir l'hyacinthe et l'œillet,
Le lis en blancs atours, la jonquille dorée,
Et la tulipe errante en robe bigarrée.

Tels nous plaisent ces lieux: aux champs élysiens
Tel Paris réunit ses nombreux citoyens;

Au retour du printemps, tels viennent se confondre
Au parc de Kensington les fiers enfants de Londre;
Vaste et brillante scène, où chacun est acteur,
Amusant, amusé, spectacle et spectateur.

Muse, quitte un instant les rives paternelles;
Revole vers ces lieux que tu pris pour modèles :
Chante ce Kensington qui retrace à la fois
Et la main de Le Nôtre et les parcs de nos rois,
Où dans toute sa pompe un grand peuple s'étale.
A peine l'alouette, à la voix matinale,

A du printemps dans l'air gazouillé le retour,
Soudain, du long ennui de ce pompeux séjour,
Où la vie est souffrante, où des foyers sans nombre,
Mêlant aux noirs brouillards leur vapeur lente et sombre,
Par ces canaux fumeux élancés dans les airs,
S'en vont noircir le ciel de la nuit des enfers,

Tout sort: de Kensington tout cherche la montagne;
La splendeur de la ville étonne la campagne;
Tout ce peuple paré, tout ce brillant concours,
Le luxe du commerce et le faste des cours;
Les harnais éclatants, ces coursiers dont l'audace
Du barbe généreux trahit la noble race,
Mouillant le frein d'écume, inquiets, haletants,
Pleins des feux du jeune âge et des feux du printemps;
Le hardi cavalier qui, plus prompt que la foudre,
Part, vole, et disparaît dans des torrents de poudre ;
Les rapides wiskis, les magnifiques chars ;
Ces essaims de beautés, dont les groupes épars,
Tels que dans l'Élysée, à travers les bocages,
Ces fantômes légers glissent sous les ombrages,
D'un long et blanc tissu rasent le vert gazon;
L'enfant, emblème heureux de la jeune saison,

Qui, gai comme Zéphire et frais comme l'Aurore,
Des roses du printemps en jouant se colore;
Le vieillard, dont le cœur se sent épanouir
Et d'un beau jour encor se hâte de jouir;
La jeunesse en sa fleur, et la santé riante,
Et la convalescence à la marche tremblante,
Qui, pâle et faible encor, vient sous un ciel vermeil,
Pour la première fois, saluer le soleil.

Quel tableau varié ! Je vois sous ces ombrages
Tous les états unis, tous les rangs, tous les âges.
Ici marche, entouré d'un murmure d'amour,
Ou l'orateur célèbre, ou le héros du jour :
Là c'est le noble chef d'une illustre famille;
Une mère superbe et sa modeste fille,

Qui, mêlant à la grâce un trouble intéressant,
Semble rougir de plaire et plaît en rougissant;
Tandis que, tressaillant dans l'âme maternelle,
L'orgueil jouit tout bas d'être éclipsé par elle :
Plus loin, un digne Anglais, bon père, heureux époux,
Chargé de son enfant, et fier d'un poids si doux,
Le dispute aux baisers d'une mère chérie,

Et semble avec orgueil l'offrir à la patrie.

Voyez ce couple aimable enfoncé dans ces bois; Là tous deux ont aimé pour la première fois, Et se montrent la place où, dans son trouble extrême, L'un d'eux, en palpitant, prononça : Je vous aime. Là deux bons vieux amis vont discourant entre eux ; Ailleurs un étourdi, qu'emporte un char poudreux, Jette, en courant, un mot que la rapide roue Laisse bientôt loin d'elle, et dont Zéphyr se joue. On se cherche, on se mêle, on se croise au hasard; On s'envoie un salut, un sourire, un regard; Cependant, à travers le tourbillon qui roule, Plus d'un grave penseur, isolé dans la foule,

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