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Ces bronzes respirer, ces fleuves suspendus,

En gros bouillons d'écume à grand bruit descendus,
Tomber, se prolonger dans des canaux superbes ;
Là s'épancher en nappe, ici monter en gerbes,
Et, dans l'air s'enflammant aux feux d'un soleil pur,
Pleuvoir en gouttes d'or, d'émeraude et d'azur?
Si j'égare mes pas dans ces bocages sombres,
Des Faunes, des Sylvains, en ont peuplé les ombres;
Et Diane et Vénus enchantent ce beau lieu ;

Tout bosquet est un temple, et tout marbre est un dieu :
Et Louis, respirant du fracas des conquêtes,

Semble avoir invité tout l'Olympe à ses fêtes.
C'est dans ces grands effets que l'art doit se montrer.
Mais l'esprit aisément se lasse d'admirer.
J'applaudis l'orateur dont les nobles pensées
Roulent pompeusement, avec soin cadencées :
Mais ce plaisir est court. Je quitte l'orateur
Pour chercher un ami qui me parle du cœur 13.
Du marbre, de l'airain, qu'un vain luxe prodigue
Des ornements de l'art l'œil bientôt se fatigue;
Mais les bois, mais les eaux, mais les ombrages frais,
Tout ce luxe innocent ne fatigue jamais.

Aimez donc des jardins la beauté naturelle ;
Dieu lui-même aux mortels en traça le modèle.
Regardez dans Milton 14, quand ses puissantes mains
Préparent un asile au premier des humains :
Le voyez-vous tracer des routes régulières,
Contraindre dans leur cours des ondes prisonnières ?
Le voyez-vous parer d'étrangers ornements
L'enfance de la terre et son premier printemps?
Sans contrainte, sans art, de ses douces prémices
La nature épuisa les plus pures délices.

Des plaines, des coteaux le mélange charmant,
Les ondes à leur choix errantes mollement,

Des sentiers sinueux les routes indécises,
Le désordre enchanteur, les piquantes surprises,
Des aspects où les yeux hésitaient à choisir,
Variaient, suspendaient, prolongeaient leur plaisir.
Sur l'émail velouté d'une fraîche verdure,
Mille arbres, de ces lieux ondoyante parure,
Charme de l'odorat, du goût et des regards,
Élégamment groupés, négligemment épars,
Se fuyaient, s'approchaient, quelquefois à leur vue
Ouvraient dans le lointain une scène imprévue;
Ou, tombant jusqu'à terre, et recourbant leurs bras,
Venaient d'un doux obstacle embarrasser leurs pas;
Ou pendaient sur leur tête en festons de verdure,
Et de fleurs, en passant, semaient leur chevelure.
Dirai-je ces forêts d'arbustes, d'arbrisseaux,
Entrelaçant en voûte, en alcôve, en berceaux,
Leurs bras voluptueux et leurs tiges fleuries?
C'est là que, les yeux pleins de tendres rêveries,
Ève à son jeune époux abandonna sa main,
Et rougit comme l'aube aux portes du matin.
Tout les félicitait dans toute la nature,
Le ciel par son éclat, l'onde par son murmure.
La terre en tressaillant ressentit leurs plaisirs ;
Zéphire aux antres verts redisait leurs soupirs,
Les arbres frémissaient, et la rose inclinée
Versait tous ses parfums sur le lit d'hyménée.
O bonheur ineffable! ô fortunés époux !
Heureux dans ses jardins, heureux qui, comme vous,
Vivrait loin des tourments où l'orgueil est en proie,
Riche de fruits, de fleurs, d'innocence et de joie !

Ah! si la paix des champs, si leurs heureux loisirs N'étaient pas le plus pur, le plus doux des plaisirs, D'où viendrait sur nos cœurs leur secrète puissance? Tout regrette ou chérit leur paisible innocence.

Le

sage

à son jardin destine ses vieux ans;
Un grand fuit son palais pour sa maison des champs;
Le poëte recherche un bosquet solitaire ;

A son triste bureau le marchand sédentaire,
Lassé de ses calculs, lassé de son comptoir,
D'avance se promet un champêtre manoir,
Rêve ses boulingrins, ses arbres, son bocage,
Et d'un verger futur se peint déjà l'image.
Que dis-je? au doux repos invitant de grands cœurs,
Un jardin quelquefois fut le prix des vainqueurs.
Là le terrible Mars, sans glaive, sans tonnerre,
Las de l'ensanglanter, fertilise la terre ;
Au lieu de ses soldats, il compte ses troupeaux;
Au chêne du bocage il suspend ses drapeaux :
Sur ses foudres éteints je vois s'asseoir Pomone;
Palès ceint en riant les lauriers de Bellone,
Et l'airain, désormais fatal aux daims légers,
A rendu les échos aux chansons des bergers.

Tel est Bleinheim, Bleinheim la gloire de ses maîtres 15,
Plein des pompes de Mars et des pompes champêtres;
En vain ce nom fameux atteste nos revers:
Monument d'un grand homme, il a droit à mes vers.
Si des arts créateurs j'y cherche les prodiges,
Partout l'œil est charmé de leurs brillants prestiges,
Et l'on doute, à l'aspect de ces nobles travaux,
Qui doit frapper le plus, du peuple ou du héros.
Si j'y viens des vieux temps retrouver la mémoire,
Je songe, ô Rosamonde ! à ta touchante histoire 16;
De Rose, mieux que toi, qui mérita le nom ?
En vain de la beauté le ciel t'avait fait don;
Tendre et fragile fleur, flétrie en ton jeune âge,
Tu ne vécus qu'un jour, ce fut un jour d'orage.
Dans ce nouveau dédale, où te cacha Merlin,
Ta rivale en fureur pénètre, un fil en main;

DELILLE.

22

Et, livrant Rosamonde à sa rage inhumaine.
Ce qui servit l'amour fait triompher la haine.

Ah! malheureux objet et de haine et d'amour,
Tu n'es plus ; mais ton ombre habite ce séjour :
Chacun vient t'y chercher de tous les coins du monde ;
Chacun grossit de pleurs le puits de Rosamonde;
Ton nom remplit encor ce bosquet enchanté;
Et, pour comble de gloire, Addison t'a chanté.
Mais ces tendres amours et ce récit antique,
Qu'ont-ils de comparable au vou patriotique
Qui, gravé sur l'airain par un don glorieux,
Acquitta de Malbrough les faits victorieux ?

Adieu, Bleinheim: Chambord à son tour me rappelle, Chambord qu'obtint, pour prix de sa palme immortelle, Ce Saxon, ce héros adopté par mon roi, Par qui Bleinheim peut-être envia Fontenoi. Là ne s'élèvent point des tours si magnifiques, D'aussi riches palais, d'aussi vastes portiques : Mais sa gloire l'y suit ; mais à de feints combats Lui-même, en se jouant, conduit ses vieux soldats. Tels, au bord du Léthé, les héros du vieil âge De la guerre, dit-on, aiment toujours l'image; Et dans ces lieux de paix trouvant les champs de Mars, Dardent encor la lance et font voler des chars.

CHANT II.

Oh! si j'avais ce luth dont le charme autrefois
Entraînait sur l'Hémus les rochers et les bois,
Je le ferais parler; et sur les paysages

Les arbres tout à coup déploieraient leurs ombrages;
Le chêne, le tilleul, le cèdre et l'oranger,
En cadence viendraient dans mes champs se ranger.
Mais l'antique harmonie a perdu ses merveilles:
La lyre est sans pouvoir, les rochers sans oreilles
L'arbre reste immobile aux sons les plus flatteurs,
Et l'art et le travail sont les seuls enchanteurs.

Apprenez donc de l'art quel soin et quelle adresse
Prête aux arbres divers la grâce ou la richesse.

Par ses fruits, par ses fleurs, par son beau vêtement, L'arbre est de nos jardins le plus bel ornement:

Pour mieux plaire à nos yeux combien il prend de formes ! Là s'étendent ses bras, pompeusement informes;

Sa tige ailleurs s'élance avec légèreté;

Ici j'aime sa grâce, et là sa majesté ;

Il tremble au moindre souffle, ou contre la tempête
Roidit son tronc noueux et sa robuste tête;

Rude ou poli, baissant ou dressant ses rameaux,
Véritable Protée entre les végétaux,

Il change incessamment, pour orner la nature,
Sa taille, sa couleur, ses fruits et sa verdure.
Ces effets variés sont les trésors de l'art,
Que le goût lui défend d'employer au hasard.
Des divers plants encor la forme et l'étendue
Sous des aspects divers viennent charmer la vue.
Tantôt un bois profond, sauvage, ténébreux,

Épanche une ombre immense ; et tantôt, moins nombreux,

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