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cratie où les nobles lèveroient les tributs, tous les particuliers seroient à la discrétion des gens d'affaires; il n'y auroit point de tribunal supérieur qui les corrigeât. Ceux d'entre eux préposés pour ôter les abus aimeroient mieux jouir des abus. Les nobles seroient comme les princes des états despotiques, qui confisquent les biens de qui il leur plaît.

Bientôt les profits qu'on y feroit seroient regardés comme un patrimoine que l'avarice étendroit à sa fantaisie. On feroit tomber les fermes; on réduiroit à rien les revenus publics. C'est par là que quelques états, sans avoir reçu d'échec qu'on puisse remarquer, tombent dans une foiblesse dont les voisins sont surpris, et qui étonne les citoyens mêmes.

Il faut que les lois leur défendent aussi le commerce: des marchands si accrédités feroient toutes sortes de monopoles. Le commerce est la profession des gens égaux: et, parmi les états despotiques, les plus misérables sont ceux où le prince est marchand.

Les lois de Venise défendent aux nobles le

1 Amelot de La Houssaye, du gouvernement de Venise,

commerce, qui pourroit leur donner, menie innocemment, des richesses exorbitantes.

Les lois doivent employer les moyens les plus efficaces pour que les nobles rendent justice au peuple. Si elles n'ont point établi un tribun, il faut qu'elles soient un tribun elles-mêmes.

Toute sorte d'asile contre l'exécution des lois perd l'aristocratie; et la tyrannie en est tout près. Elles doivent mortifier, dans tous les temps, l'orgueil de la domination. Il faut qu'il y ait, pour un temps ou pour toujours, un magistrat qui fasse trembler les nobles, comme les éphores à Lacédémone, et les inquisiteurs d'état à Venise; magistratures qui ne sont soumises à aucunes formalités. Ce gouvernement a besoin de ressorts bien violents. Une bouche de pierre s'ouvre à tout délateur à Venise; vous diriez que c'est celle de la tyrannie.

Ces magistratures tyranniques, dans l'aristocratie, ont du rapport à la censure de la démo

partie III. La loi Claudia défendoit aux sénateurs d'avoir en mer aucun vaisseau qui tìnt plus de quarante muids. Tite Live, liv. XXI.

1 Les délateurs y jettent leurs billets.

cratie, qui, par sa nature, n'est pas moins indépendante. En effet les censeurs ne doivent point être recherchés sur les choses qu'ils ont faites pendant leur censure; il faut leur donner de la confiance, jamais du découragement. Les Romains étoient admirables; on pouvoit faire rendre à tous les magistrats raison de leur conduite, excepté

aux censeurs 2.

Deux choses sont pernicieuses dans l'aristocratie; la pauvreté extrême des nobles, et leurs richesses exorbitantes. Pour prévenir leur pauvreté, il faut sur-tout les obliger de bonne heure à payer leurs dettes. Pour modérer leurs richesses, il faut des dispositions sages et insensibles; non pas des confiscations, des lois agraires, des abolitions de dettes, qui font des maux infinis.

Les lois doivent ôter le droit d'aînesse entre les

1 Voyez Tite Live, liv. XLIX. Un censeur ne pouvoit pas même être troublé par un censeur : chacun faisoit sa note, sans prendre l'avis de son collègue; et, quand on fit autrement, la censure fut, pour ainsi dire, renversée.

2 A Athènes, les logistes, qui faisoient rendre compte à tous les magistrats, ne rendoient point compte eux

mêmes.

nobles; afin que, par le partage continuel des successions, les fortunes se remettent toujours dans l'égalité.

Il ne faut point de substitutions, de retraits lignagers, de majorats, d'adoptions. Tous les moyens inventés pour perpétuer la grandeur des familles dans les états monarchiques ne sauroient être d'usage dans l'aristocratie 2.

Quand les lois ont égalisé les familles il leur reste à maintenir l'union entre elles. Les différents des nobles doivent être promptement décidés : sans cela, les contestations entre les personnes deviennent des contestations entre les familles. Des arbitres peuvent terminer les procès, ou les empêcher de naître.

Enfin il ne faut point que les lois favorisent les distinctions que la vanité met entre les familles, sous prétexte qu'elles sont plus nobles ou plus anciennes cela doit être mis au rang des petitesses des particuliers.

1 Cela est ainsi établi à Venise. Amelot de La Houssaye, pag. 30 et 31.

2 Il semble que l'objet de quelques aristocraties soit moins de maintenir l'état que ce qu'elles appellent leur noblesse.

On n'a qu'à jeter les yeux sur Lacédémone, on verra comment les éphores surent mortifier les foiblesses des rois, celles des grands, et celles du peuple.

CHAPITRE IX.

Comment les lois sont relatives à leur principe dans la monarchie.

L'HONNEUR étant le principe de ce gouvernement, les lois doivent s'y rapporter.

Il faut qu'elles y travaillent à soutenir cette noblesse, dont l'honneur est pour ainsi dire l'enfant et le père.

Il faut qu'elles la rendent héréditaire; non pas pour être le terme entre le pouvoir du prince et la foiblesse du peuple, mais le lien de tous les deux.

Les substitutions, qui conservent les biens dans

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