Page images
PDF
EPUB

Beugner

DE

L'ESPRIT

DES LOIS.

LIVRE XXII.

Des Lois, dans le rapport qu'elles
ont avec l'ufage de la monnoie.

CHAPITRE

PREMIER.

Raifon de l'ufage de la monnoie. +

ES peuples qui ont peu de marchandises pour le commerce, comme les fauvages, & les peuples policés qui n'en ont que de deux ou trois efpeces, négocient par échange. Ainfi les caravanes de Maures qui vont à Tombouctou, dans le fond de l'Afrique, troquer

Tome III.

A

+ Consulter pe tine dove vive, le Ch.21 Doctrines for du Livre 1o de Traite d'Economie politi tode llesage de Moñoger, the Ch.19 ar I.B. by. 2-Edit.. Dela natan Молоде Sur l'Esprit Loir par

ди

du fel contre de l'or, n'ont pas besoin de monnoie, Le Maure met fon fel dans un monceau; le Negre, fa poudre dans un autre s'il n'y a pas affez d'or, le Maure retranche de fon fel, ou le Negre ajoute de fon or, jusqu'à ce que les parties conviennent.

; parce

Mais lorsqu'un peuple trafique fur un très-grand nombre de marchandises, il faut néceffairement une monnoie; p qu'un métal facile à tranfporter épargne bien des frais, que l'on feroit obligé de faire fi l'on procédoit toujours par échange.

Toutes les nations ayant des befoins réciproques, il arrive fouvent que l'une yeut avoir un très-grand nombre de marchandises de l'autre, & celle-ci trèspeu des fiennes, tandis qu'à l'égard d'une autre nation, elle eft dans un cas contraire. Mais lorsque les nations ont une monnoie, & qu'elles procedent par vente & par achat, celles qui prennent plus de marchandifes fe foldent, ou payent l'excédent avec de l'argent: & il y a cette différence, que, dans le cas. de l'achat, le commerce fe fait à proportion des befoins de la nation qui demande le plus ; & que dans l'échange

le commerce fe fait feulement dans l'étendue des befoins de la nation qui demande le moins; fans quoi cette derniere feroit dans l'impoffibilité de folder fon compte.

CHAPITRE II.

De la nature de la monnoie.

LA

A monnoie est un figne qui repréfente la valeur de toutes les marchandifes. On prend quelque métal pour que le figne foit durable (a); qu'il fe confomme peu par l'ufage; & que, fans fe détruire, il foit capable de beaucoup de divifions. On choisit un métal précieux, pour que le figne puiffe aisément fe transporter. Un métal eft trèspropre à être une mefure commune, parce qu'on peut aifément le réduire au même titre. Chaque état y met fon empreinte, afin que la forme réponde du titre & du poids, & que l'on connoiffe l'un & l'autre par la feule infpection.

Les Athéniens n'ayant point l'ufage des métaux, se fervirent de boeufs (b); (a) Le fel, dont on fert en Abyffinie, a ce défaut, qu'il fe confomme continuellement.

(b) Hérodote, in Clio, nous dit que les Lydiens

vrai.

& les Romains de brebis : mais un bœuf
n'eft pas
la même chofe qu'un autre
bœuf, comme une piece de métal peut
être la même qu'une autre.

Clans Comme l'argent eft le figne des va-
par
leurs des marchandises, le papier eft un
figne de la valeur de l'argent; & lorf-
qu'il eft bon, il le repréfente tellement,
que, quant à l'effet, il n'y a point de
différence.

De même que l'argent eft un figne d'une chofe, & la repréfente; chaque chofe eft un figne de l'argent, & le repréfente: & l'état eft dans la profpérité, felon que, d'un côté, l'argent repréfente bien toutes chofes; & que, d'un autre, toutes chofes repréfentent bien l'argent, & qu'ils font fignes les uns des autres; c'est-à-dire, que, dans leur valeur relative, on peut avoir l'un fitôt que l'on a l'autre. Čela n'arrive jamais que dans un gouvernement modéré, mais n'arrive pas toujours dans un gouvernement modéré par exemple, files lois favorifent un débiteur injufte, les chofes qui lui appartiennent ne repré

trouverent l'art de battre la monnoie; les Grecs le prirent d'eux: les monnoies d'Athenes eurent pour empreinte leur ancien bœuf. J'ai vu une de ces mon noies dans le cabinet du Comte de Pembrocke,

fentent point l'argent, & n'en font point un figne. A l'égard du gouvernement defpotique, ce feroit un prodige files chofes y repréfentoient leur figne: la tyrannie & la méfiance font que tout le monde y enterre (a) fon argent: les chofes n'y représentent donc point l'argent.

Quelquefois les législateurs ont employé un tel art, que non-feulement les chofes repréfentoient l'argent par leur nature, mais qu'elles devenoient monnoie comme l'argent même. Céfar (b) dictateur, permit aux débiteurs de don ner en payement à leurs créanciers des fonds de terre au prix qu'ils valoient avant la guerre civile. Tibere (c) ordonna que ceux qui voudroient de l'argent, en auroient du tréfor public, en obligeant des fonds pour le double. Sous Céfar, les fonds de terre furent la monnoie qui paya toutes les dettes; fous Tibere, dix mille fefterces en fonds devinrent une monnoie commune, commę cinq mille fefterces en argent.

(a) C'eft un ancien ufage à Alger, que chaque pere de famille ait un tréfor enterré. Logier de Taffis, hiftoire du royaume d'Alger.`

(b) Voyez Céfar, de la guerre civile, liv. III. (c) Tacite, liv. VI.

« PreviousContinue »