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On a beaucoup parlé d'une loi d'Angleterre (a), qui permettoit à une fille de fept ans de fe choisir un mari. Cette loi étoit révoltante de deux manieres: elle n'avoit aucun égard au temps de la maturité que la nature a donné à l'efprit, ni au temps de la maturité qu'elle à donné au corps.

Un pere pouvoit, chez les Romains, obliger fa fille à répudier (b) fon mari quoiqu'il eût lui-même confenti au mariage. Mais il eft contre la nature que le divorce foit mis entre les mains d'un tiers.

Si le divorce eft conforme à la nature, il ne l'eft que lorsque les deux parties, ou au moins une d'elles, y confentent; & lorfque ni l'une ni l'autre n'y confentent, c'est un monftre que le divorce. Enfin, la faculté du divorce ne peut être donnée qu'à ceux qui ont les incommodités du mariage, & qui fentent le moment où ils ont intérêt de les faire ceffer.

(a) M. Bayle, dans fa critique de l'hiftoire du Calvinifme, parle de cette loi, p. 293.

(b) Voyez la loi 5, au code de repudiis & judicio de moribus fublato.

CHAPITRE

IV.

Continuation du même fujet.

GO

ONDEBAUD (a) roi de Bourgogne, vouloit que fi la femme ou le fils de celui qui avoit volé, ne révéloit pas le crime, ils fuffent réduits en efclavage. Cette loi étoit contre la nature. Comment une femme pouvoit-elle être accufatrice de fon mari? Comment un fils pouvoit-il être accufateur de fon pere? Pour venger une action criminelle, il en ordonnoit une plus criminelle encore.

La loi (b) de Receffuinde permettoit aux enfans de la femme adultere, ou à ceux de fon mari, de l'accufer, & de mettre à la queftion les efclaves de la maifon. Loi inique, qui, pour conferver les mœurs, renverfoit la nature d'où tirent leur origine les mœurs.

Nous voyons avec plaifir fur nos théâtres un jeune héros montrer autant d'horreur pour découvrir le crime de fa belle-mere, qu'il en avoit eu pour le crime même il ofe à peine, dans fa (a) La loi des Bourguignons, tit. 41.

:

(b) Dans le code des Wifigoths, liv. III, tit. 4 5.13.

furprife, accufé, jugé, condamné, profcrit & couvert d'infamie, faire quelques réflexions fur le sang abominable dont Phedre eft fortie : il abandonne ce qu'il a de plus cher, & l'objet le plus tendre, tout ce qui parle à fon cœur, tout ce qui peut l'indigner, pour aller fe livrer à la vengeance des dieux qu'il n'a point méritée. Ce font les accens de la nature qui caufent ce plaifir; c'eft la plus douce de toutes les voix.

CHAPITRE V.

Cas où l'on peut juger par les principes du droit civil, en modifiant les principes du droit naturel.

ΝΕ

UNE loi d'Athenes obligeoit (4) les

enfans de nourrir leurs peres tombés dans l'indigence; elle exceptoit ceux qui étoient nés (6) d'une courtifane, ceux dont le pere avoit expofé la pudicité par un trafic infame, ceux à qui (c) il n'avoit point donné de métier pour gagner leur vie.

(a) Sous peine d'infamie; une autre, sous peine de prifon.

(b) Plutarque, vie de Solon.

(c) Plutarque, vie de Solon ; & Gallien, in exhorti ad Art, ch. vill

La loi confidéroit que, dans le dans le premier cas, le pere fe trouvant incertain, il avoit rendu précaire fon obligation naturelle : que, dans le fecond, il avoit flétri la vie qu'il avoit donnée; & que le plus grand mal qu'il pût faire à fes enfans, il l'avoit fait, en les privant de leur caractere: que dans le troifieme il leur avoit rendu infupportable une vie qu'ils trouvoient tant de difficulté à foutenir. La loi n'envisageoit plus le pere & le fils que comme deux citoyens, ne ftatuoit plus que fur des vues politiques & civiles; elle confidéroit que, dans une bonne république, il faut fur-tout des moeurs. Je crois bien que la loi de Solon étoit bonne dans les deux premiers cas, foit celui où la nature laiffe ignorer au fils quel eft fon pere, foit celui où elle femble même lui ordonner de le méconnoître : mais on ne fauroit l'approuver dans le troifieme, où le pere n'avoit violé qu'un réglement civil.

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Que l'ordre des fucceffions dépend des principes du droit politique ou civil, & non pas des principes du droit naturel.

LA

A loi Voconienne ne permettoit point d'inftituer une femme héritiere, pas même fa fille unique. Il n'y eut jamais, dit Saint Auguftin (a), une. loi plus injufte. Une formule de (b) Marculfe traite d'impie la coutume qui prive les filles de la fucceffion de leurs peres. Juftinien (c) appelle barbare le droit de fuccéder des mâles, au préjudice des filles. Ces idées font venues de ce que l'on a regardé le droit que les enfans ont de fuccéder à leurs peres, comme une conféquence de la loi naturelle ; ce qui n'eft pas.

La loi naturelle ordonne aux peres de nourrir leurs enfans; mais elle n'oblige pas de les faire héritiers. Le partage des biens, les lois fur ce partage, les fucceffions après la mort de celui qui a eu ce partage; tout cela ne peut avoir été (a) De civitate Dei, liv. III. (b) Liv. II, chap. XII. (Novelle 21.

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