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Liv. XV. CHAP. VIII. 73 les travaux que la fociété y exige, on peut tout faire avec des hommes libres.

Ce qui me fait penfer ainfi, c'eft qu'avant que le chriftianifme eût aboli en Europe la fervitude civile, on regardoit les travaux des mines comme fi pénibles, qu'on croyoit qu'ils ne pouvoient être faits que par des efclaves ou par des criminels. Mais on fait qu'aujourd'hui les hommes qui y font employés (a) vivent heureux. On a par de petits privileges encouragé cette profeffion; on a joint à l'augmentation du travail celle du gain, & on eft parvenu à leur faire aimer leur condition plus que toute autre qu'ils euffent pu prendre.

Il n'y a point de travail fi pénible qu'on ne puiffe proportionner à la force de celui qui le fait, pourvu que ce foit la raifon & non pas l'avarice qui le regie. Onpeut, par la commodité des machines que l'art invente ou applique, fuppléer au travail forcé qu'ailleurs on fait faire aux efclaves. Les mines des Turcs, dans le bannat de Témefwar, étoient plus riches que celles de Hongrie ; & elles ne

(a) On peut fe faire inftruire de ce qui fe paffe à cet égard dans les mines du Hartz dans la basse Allemagne, & dans celles de Hongrie.

Tome II.

D

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produifoient pas tant, parce qu'ils n'imaginoient jamais que les bras de leurs efclaves.

Je ne fais fi c'eft l'efprit ou le cœur qui me dicte cet article ci. Il n'y a peutêtre pas de climat fur la terre où l'on ne pût engager au travail des hommes libres. Parce que les lois étoient mal faites, on a trouvé des hommes pareffeux; parce que ces hommes étoient paresfeux, on les a mis dans l'esclavage.

CHAPITRE

IX.

Des nations chez lesquelles la liberté civile eft généralement établie.

ON entend dire tous les jours, qu'il

feroit bon que parmi nous il y

eût des efclaves.

Mais, pour bien juger de ceci, il ne faut pas examiner s'ils feroient utiles à la petite partie riche & voluptueufe de chaque nation; fans doute qu'ils lui feroient utiles mais prenant un autre point de vue, je ne crois pas qu'aucun de ceux qui la compofent voulût tirer au fort, pour favoir qui devroit former la partie de la nation qui feroit libre, &

celle qui feroit efclave. Ceux qui parlent le plus pour l'efclavage, l'auroient le plus en horreur, & les hommes les plus miférables en auroient horreur de même. Le cri pour l'efclavage eft donc le cri du luxe & de la volupté, & non pas celui de l'amour de la félicité publique. Qui peut douter que chaque homme, en particulier, ne fût très-content d'être le maître des biens, de l'honneur & de la vie des autres; & que toutes fes paffions ne fe réveillaffent d'abord à cette idée? Dans ces hoses, voulez-vous favoir fi les défirs de chacun font légiti mes? examinez les défirs de tous.

CHAPITRE X.

Diverfes efpeces d'esclavage.

L y a deux fortes de fervitude, la réelle & la perfonnelle. La réelle, eft celle qui attache l'efclavage aux fonds de terre. C'eft ainfi qu'étoient les esclaves chez les Germains, au rapport de Tacite (a). Ils n'avoient point d'office dans la maison; ils rendoient à leur maître une certaine quantité de blé, de bétail (a) De moribus Germanorum.

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ou d'étoffe : l'objet de leur efclavage n'alloit pas plus loin. Cette efpece de fervitude eft encore établie en Hongrie, en Boheme, & dans plufieurs endroits de la baffe-Allemagne.

La fervitude perfonnelle regarde le ministere de la maifon, & fe rapporte plus à la perfonne du maître.

L'abus extrême de l'efclavage eft lorfqu'il eft en même temps perfonnel & réel. Telle étoit la fervitude des Ilotes chez les Lacédémoniens; ils étoient fou, mis à tous les travaux hors de la maison, & à toutes fortes d'infultes dans la maifon: cette ilotie eft contre la nature des chofes. Les peuples fimples n'ont qu'un efclavage réel (a), parce que leurs femmes & leurs enfans font les travaux domeftiques. Les peuples voluptueux ont un efclavage perfonnel, parce que le luxe demande le fervice des efclaves dans la maifon. Or l'ilotie joint dans les mêmes perfonnes l'efciavage établi chez les peuples voluptueux, & celui qui eft établi chez les peuples fimples.

(a) Vous ne pourriez, (dit Tacite, fur les mœurs des Germains, diftinguer le maître de l'efclave, par les délices de la vie.

CHAPITRE

XI.

Ce que les lois doivent faire par rapport d

MA

l'esclavage.

AIS de quelque nature que foit l'efclavage, il faut que les lois civiles cherchent à en ôter, d'un côté les abus, & de l'autre les dangers.

CHAPITRE XII.
Abus de l'esclavage.

DANS on

ANS les états Mahometans (a), on

& des biens des femmes efclaves, mais encore de ce qu'on appelle leur vertu ou leur honneur. C'est un des malheurs de ces pays, que la plus grande partie de la nation n'y foit faite que pour fervir à la volupté de l'autre. Cette fervitude eft récompenfée par la pareffe dont on fait jouir de pareils efclaves : ce qui eft enl'état un nouveau malheur. C'est cette pareffe qui rend les férails

core pour

(a) Voyez Chardin, voyage de Perfe.

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