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navigation, dont l'objet étoit de faire des découvertes plus avant vers le midi! Il ne prit prefque aucune connoiffance. du continent. L'étendue des côtes qu'il fuivit, fut de vingt-fix jours de navi gation, & il fut obligé de revenir faute de vivres. Il paroît que les Carthaginois ne firent aucun ufage de cette entreprise d'Hannon. Scylax (a) dit qu'au-delà de Cerné, la mer n'eft pas navigable (b), parce qu'elle y eft baffe, pleine de limon & d'herbes marines: effectivement il y en a beaucoup dans ces parages (c). Les marchands Carthaginois dont parle Scylax, pouvoient trouver des obftacles qu'Hannon qui avoit foixante navires de cinquante rames chacun, avoit vaincus. Les difficultés font relatives; & de plus, on ne doit pas confondre une entreprise qui a la hardieffe & la témérité pour objet, avec ce qui est l'effet d'une conduite ordinaire.

(4) Voyez fon Périple, article de Carthage. (bj Voyez Hérodote, in Melpomene, sur les obstacles que Satafpe trouva.

(c(Voyez les cartes & les relations, le premier volume des voyages qui ont fervi à l'établiffement de la compagnie des Indes, part. I. pag. 201. Cette herbe couvre tellement la furface de la mer, qu'on a de la peine à voir l'eau ; & les vaiffeaux ne peuvent paffer au travers que par un vent frais.

C'est un beau morceau de l'antiquité que la relation d'Hannon: le même homme qui a exécuté, a écrit, il ne met aucune oftentation dans fes récits. Les grands capitaines écrivent leurs actions avec fimplicité, parce qu'ils font plus glorieux de ce qu'ils ont fait, que de ce qu'ils ont dit.

Les chofes font comme le ftyle. Il ne donne point dans le merveilleux: tout ce qu'il dit du climat, du terrain, des mœurs, des manieres des habitans, fe rapporte à ce qu'on voit aujourd'hui dans cette côte d'Afrique; il femble que c'est le journal d'un de nos navi gateurs.

Hannon remarqua (a) fur sa flotte, que le jour il régnoit dans le continent un vafte filence; que la nuit on entendoit les fons de divers inftrumens de mufique; & qu'on voyoit par-tout des feux, les uns plus grands, les autres moindres. Nos relations confirment ceci: on y trouve que le jour ces fauvages, pour éviter l'ardeur du foleil, fe retirent dans les forêts; que la nuit ils

(a) Pline nous dit la même chofe en parlant du mont Atlas: Noctibus micare crebris ignibus, tibiarum cantu timpanorumque fonitu firepere, neminem interdiù cerai,

font de grands feux pour écarter les bêtes féroces; & qu'ils aiment paffionnément la danfe & les inftrumens de mufique.

comme

Hannon nous décrit un volcan avec tous les phénomenes que fait voir aujourd'hui le Véfuve; & le récit qu'il fait de ces deux femmes velues, qui fe laifferent plutôt tuer que de fuivre les Carthaginois, & dont il fit porter les peaux à Carthage, n'est n'eft pas, on l'a dit, hors de vraisemblance. Cette relation eft d'autant plus précieufe, qu'elle eft un monument Punique; & c'est parce qu'elle eft un monument Punique, qu'elle a été regardée comme fabuleufe. Car les Romains conferverent leur haine contre les Carthaginois, même après les avoir détruits. Mais ce ne fut que la victoire qui décida s'il falloit dire, la foi Punique, ou la foi Romaine.

Des modernes (a) ont fuivi ce préjugé. Que font devenues, difent-ils, les villes qu'Hannon nous décrit, & dont, même du temps de Pline, il ne restoit pas le moindre veftige? Le merveilleux

(a) M. Dodwel: voyez sa dissertation fur le Périple 'Hannon,

feroit qu'il en fût refté. Etoit-ce Corinthe ou Athenes qu'Hannon alloit bâtir fur ces côtes? Il laiffoit, dans les endroits propres au commerce, des familles Carthaginoifes; & à la hâte, il les mettoit en fureté contre les hommes sauvages & les bêtes féroces. Les calamités des Carthaginois firent ceffer la navigation d'Afrique, il fallut bien que ces familles périffent, ou devinffent fauvages. Je dis plus: quand les ruines de ces villes fubfifteroient encore, qui eft-ce qui auroit été en faire la découverte dans les bois & dans les marais? On trouve pourtant dans Scylax & dans Polybe, que les Carthaginois avoient de grands établiffemens fur ces côtes. Voilà les veftiges, des villes d'Hannon; il n'y en a point d'autres , parce qu'à peine y en a-t-il d'autres de Carthage même.

Les Carthaginois étoient fur le che min des richeffes: Et s'ils avoient été jufqu'au quatrieme degré de latitude nord, & au quinzieme de longitude, ils auroient découvert la côte d'Or & les côtes voisines. Ils y auroient fait un commerce de toute autre importance. que celui qu'on y fait aujourd'hui, que F'Amérique femble avoir avili les richef

fes de tous les autres pays: ils y auroient trouvé des trésors qui ne pouvoient être enlevés par les Romains.

On a dit des chofes bien furprenan→ tes des richeffes de l'Espagne. Si l'on en croit Ariftote (a), les Phéniciens, qui aborderent à Tartefe, y trouverent tant d'argent que leurs navires ne pouvoient le contenir, & ils firent faire de ce mé tal leurs plus vils uftenfiles. Les Carthaginois, au rapport de Diodore (b), trouverent tant d'or & d'argent dans les Pyrénées, qu'ils en mirent aux ancres de leurs navires. Il ne faut point faire de fond fur ces récits populaires : voici des faits précis.

On voit, dans un fragment de Polybe cité par Strabon (c), que les mines d'argent qui étoient à la fource du Bétis où quarante mille hommes étoient employés, donnoient au peuple Romain vingt-cinq mille drachmes par jour: cela peut faire environ cinq millions de livres par an, à cinquante francs le marc. On appelloit les montagnes où étoient ces mines, les montagnes d'argent (d); ce

(4) Des chofes merveilleufes.

(b) Liv. VI.

(c) Liv. III.

(d) Mons argentarius.

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