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dans un temps où la marine s'eft fi fort perfectionnée; dans un temps où les arts fe communiquent; dans un temps où l'on corrige par l'art & les défauts de la nature & les défauts de l'art même ; on fent ces différences, que devoit-ce être dans la marine des anciens ?

Je ne faurois quitter ce fujet. Les navires des Indes étoient petits, & ceux des Grecs & des Romains, fi l'on en excepte ces machines que l'oftentation fit faire, étoient moins grands que les nôtres. Or, plus un navire eft petit, plus il eft en danger dans les gros temps.Telle tempête submerge un navire, qui ne feroit que le tourmenter s'il étoit plus grand. Plus un corps en furpaffe un autre en grandeur, plus la furface eft relativement petite; d'où il fuit que dans un petit navire il y a une moindre raison c'est-à-dire, une plus grande différence de la furface du navire au poids ou à la charge qu'il peut porter, que dans un grand. On fait que, par une pratique à peu près générale, on met dans un navire une charge d'un poids égal à celui de la moitié de l'eau qu'il pourroit contenir. Suppofons qu'un navire tînt huit centstonneaux d'eau; fa charge feroit de

quatre cents tonneaux; celle d'un navire qui ne tiendroit que quatre cents tonneaux d'eau, feroit de deux cents tonneaux. Ainfi la grandeur du premier navire feroit, au poids qu'ils porteroit, comme 8 eft à 4; & celle du second, comme 4 eft à 2. Suppofons que la furface du grand foit, à la furface du petit, comme 8 eft à 6; la furface (a) de celuici fera, à fon poids, comme 6 est à 2; tandis que la furface de celui-là ne fera, à fon poids, que comme 8 eft à 4; & les vents & les flots n'agiffant que fur la furface, le grand vaiffeau réfiftera plus par fon poids à leur impétuofité, que le petit.

CHAPITRE V II.
Du commerce des Grecs.

LES

Es premiers Grecs étoient tous pirates. Minos, qui avoit eu l'empire de la mer, n'avoit eu peut-être que de plus grands fuccès dans les brigandages: fon empire étoit borné aux environs de fon île. Mais lorsque les Grecs devinrent

(a) C'est-à-dire, pour comparer les grandeurs de même genre: l'action ou la prife du fluide fur le na vire, fera à la réfistance du même navire, comme, &cq

un grand peuple, les Athéniens obtinrent le véritable empire de la mer, parce que cette nation commerçante & victorieufe donna la loi au monarque (a) le plus puiffant d'alors, & abattitles forces maritimes de la Syrie, de l'île de Chypre & de la Phénicie.

Il faut que je parle de cet empire de la mer qu'eut Athenes. « Athenes, dit Xénophon (a), a l'empire de la mer: » mais comme l'Attique tient à la terre, » les ennemis la ravagent, tandis qu'elle » fait fes expéditions au loin. Les prin»cipaux laiffent détruire leurs terres, » & mettent leurs biens en fureté dans » quelqu'île: la populace qui n'a point » de terres, vit fans aucune inquiétude. » Mais fi les Athéniens habitoient une >> île, & avoient outre celal'empire de >> lamer, ils auroient le pouvoir de nuire » aux autres fans qu'on pût leur nuire, » tandis qu'ils feroient les maîtres de la » mer ». Vous diriez que Xénophon a voulu parler de l'Angleterre.

Athenes remplie de projets de gloire; Athenes qui augmentoit la jaloufie, au lieu d'augmenter l'influence; plus atten

(a) Le roi de Perfe. (b) De republ. Athen,

tive

tive à étendre fon empire maritime, qu'à en jouir; avec un tel gouvernement po litique, que le bas peuple fe diftribuoit les revenus publics, tandis que les riches. étoient dans l'oppreffion; ne fit point ce grand commerce que lui promettoient Te travail de fes mines, la multitude de fes esclaves, le nombre de fes gens de mer, fon autorité fur les villes Grecques, & plus que tout cela, les belles inftitutions de Solon. Son négoce fut prefque borné à la Grece & au PontEuxin, d'où elle tira fa fubfiftance.

Corinthe fut admirablement bien fi tuée: elle fépara deux mers, ouvrit & ferma le Péloponefe, & ouvrit & ferma la Grece. Elle fut une ville de la plus grande importance, dans un temps où le peuple Grec étoit un monde, & les villes Grecques des nations: elle fit un plus grand commerce qu'Athenes. Elle avoit un port pour recevoir les marchandifes d'Afie; elle en avoit un autre pour recevoir celles d'Italie; car comme il y avoit de grandes difficultés à tourner le promontoire Malée, où des vents (a) oppofés fe rencontrent & caufent des naufrages, on aimoit mieux (a) Voyez Strabon, liv. VIII, Tome II.

N

aller à Corinthe, & l'on pouvoit même faire paffer par terre les vaiffeaux d'une mer à l'autre. Dans aucune ville on ne porta fi loin les ouvrages de l'art. La religion acheva de corrompre ce que fon opulence lui avoit laiffé de moeurs. Elle érigea un temple à Vénus, où plus de mille courtifanes furent confacrées. C'eft de ce féminaire que fortirent la plupart de ces beautés célebres dont Athénée a ofé écrire l'histoire.

Il paroît que, du temps d'Homere, l'opulence de la Grece étoit à Rhodes, à Corinthe & à Orcomene. « Jupiter, » dit-il (a), aima les Rhodiens, & leur » donna de grandes richeffes ». Il donna à Corinthe (6) l'épithete de riche. De même, quand il veut parler des villes qui ont beaucoup d'or, il cite Orcomene (c), qu'il joint à Thebes d'Egypte. Rhodes & Corinthe conferverent leur puiffance, & Orcomene la perdit. La pofition d'Orcomene, près de l'Hellefpont, de la Propontide & du PontEuxin, fait naturellement penfer qu'elle tiroit fes richeffes d'un commerce fur les

(a) Iliade, liv. II.

(b) Ibid.

(c) Ibid. liv. I, v. 381. Voyez Strabon, liv. IX, P, 414, édition de 1649.

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