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dans cette nation, il y auroit plus d'ef prit que de goût.

Comme on feroit toujours occupé de fes intérêts, on n'auroit point cette politeffe qui eft fondée fur l'oifiveté; & réellement on n'en auroit pas le temps.

L'époque de la politeffe des Romains eft la même que celle de l'établiffement du pouvoir arbitraire. Le gouvernement abfolu produit l'oifiveté ; & l'oifiveté fait naître la politeffe.

Plus il y a de gens dans une nation qui ont befoin d'avoir des ménagemens entr'eux & de ne pas déplaire, plus il y a de politeffe. Mais c'eft plus la politeffe des mœurs que celle des manieres, qui doit nous diftinguer des peuples barbares.

Dans une nation où tout homme à fa maniere prendroit part à l'administra tion de l'état, les femmes ne devroient guere vivre avec les hommes. Elles feroient donc modeftes, c'est-à-dire, timides: cette timidité feroit leur vertu, tandis que les hommes fans galanterie fe jetteroient dans une débauche qui leur laifferoit toute leur liberté & leur loifir.

Les lois n'y étant pas faites pour un particulier plus que pour un autre, chacun fe regarderoit comme monarque ; &

les hommes, dans cette nation, feroient plutôt des confédérés, que des concitoyens.

Si le climat avoit donné à bien des gens un efprit inquiet & des vues étendues, dans un pays où la constitution donneroit à tout le monde une part au gouvernement & des intérêts politiques, on parleroit beaucoup de politique; on verroit des gens qui pafferoient leur vie à calculer des événemens, qui, vu la nature des chofes & le caprice de la fortune, c'est-à-dire des hommes, ne font guere foumis au calcul.

Dans une nation libre, il est très-fouvent indifférent que les particuliers raifonnent bien ou mal; il fuffit qu'ils raifonnent: de là fort la liberté qui garantit des effets de ces mêmes raifonnemens.

De même, dans un gouvernement defpotique, il est également pernicieux qu'on raisonne bien ou mal; il fuffit qu'on raifonne, pour que le principe du gouvernement foit choqué.

Bien des gens qui ne fe foucieroient de plaire à perfonne, s'abandonneroient à leur humeur; la plupart, avec de l'efprit, feroient tourmentés par leur efprit même: dans le dédain ou le dégoût de

toutes chofes, ils feroient malheureux avec tant de fujets de ne l'être pas.

Aucun citoyen ne craignant aucun citoyen, cette nation feroit fiere; car la fierté des rois n'eft fondée que fur leur indépendance.

Les nations libres font fuperbes, les autres peuvent plus aifément être

vaines.

Mais ces hommes fi fiers vivant beaucoup avec eux-mêmes, fe trouveroient fouvent au milieu de gens inconnus; ils feroient timides, & l'on verroit en eux la plupart du temps un mélange bizarre de mauvaise honte & de fierté.

Le caractere de la nation paroîtroit fur-tout dans leurs ouvrages d'esprit, dans lefquels on verroit des gens recueillis, & qui auroient penfé tout feuls.

La fociété nous apprend à fentir les ridicules; la retraite nous rend plus propres à fentir les vices. Leurs écrits fatiriques feroient fanglans; & l'on verroit bien des Juvenals chez eux, avant d'avoir trouvé un Horace.

Dans les monarchies extrêmement abfolues, les hiftoriens trahiffent la vérité, parce qu'ils n'ont pas la liberté de la dire dans les états extrêmement

libres, ils trahiffent la vérité à cause de leur liberté même, qui produifant toujours des divisions, chacun devient auffi efclave des préjugés de fa faction, qu'il le feroit d'un defpote.

Leurs poëtes auroient plus fouvent cette rudeffe originale de l'invention, qu'une certaine délicateffe que donne le goût; on y trouveroit quelque chofe qui approcheroit plus de la force de Michel-Ange, que de la grace de Ra phaël.

LIVRE X X.

Des Lois, dans le rapport qu'elles ont avec le Commerce, confidéré dans fa nature & fes diftinc

tions.

Docuit quæ maximus Atlas.
VIRGIL. Eneid.

L

CHAPITRE PREMIER.

Du Commerce.

Es matieres qui fuivent demanderoient d'être traitées avec plus d'étendue; mais la nature de cet ouvrage ne le permet pas. Je voudrois couler fur une riviere tranquille, je fuis entraîné par un torrent.

Le commerce guérit des préjugés deftructeurs: & c'eft prefque une regle générale, que par-tout où il y a des moeurs douces, il y a du commerce; & que par-tout où il y a du commerce, y a des mœurs douces.

il

Qu'on ne s'étonne donc point fi nos

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