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qui la garantît des invafions; & fa marine feroit fupérieure à celle de toutes les autres puiffances; qui, ayant besoin d'employer leurs finances pour la guerre de terre, n'en auroient plus affez pour la guerre de mer.

L'empire de la mer a toujours donné aux peuples qui l'ont poffédé, une fierté naturelle; parce que, fe fentant capables d'infulter par-tout, ils croient que leur pouvoir n'a pas plus de bornes que l'océan.

Cette nation pourroit avoir une gran de influence dans les affaires de fes voifins. Car, comme elle n'emploieroit pas fa puiffance à conquérir, on rechercheroit plus fon amitié, & l'on craindroit plus fa haine, que l'inconftance de fon gouvernement & fon agitation inté rieure ne fembleroit le promettre.

Ainfi ce feroit le deftin de la puiffance exécutrice, d'être prefque toujours inquiétée au-dedans, & refpectée audehors.

S'il arrivoit que cette nation devînt en quelques occafions le centre des négociations de l'Europe, elle y porteroit un peu plus de probité & de bonne foi que les autres, parce que ses ministres

étant fouvent obligés de juftifier leur conduite devant un confeil populaire, leurs négociations ne pourrroient être fecrettes, & ils feroient forcés d'être à cet égard un peu plus honnêtes gens.

De plus, comme ils feroient en quelque façon garans des événemens qu'une conduite détournée pourroit faire naître, le plus sûr pour eux feroit de prendre le plus droit chemin.

Si les nobles avoient eu dans de certains temps un pouvoir immodéré dans la nation, & que le monarque eût trouvé le moyen de les abaiffer en élevant le peuple; le point de l'extrême fervitude auroit été entre le moment de l'abaiffement des grands, & celui où le peuple auroit commencé à fentir fon pouvoir.

Il pourroit être que cette nation ayant été autrefois foumife à un pouvoir arbitraire, en auroit en plufieurs occafions confervé le ftyle; de maniere que, fur le fond d'un gouvernement libre, on verroit fouvent la forme d'un gouvernement abfolu.

A l'égard de la religion, comme dans cet état chaque citoyen auroit favolonté propre, & feroit par conféquent conduit

par

fes propres lumieres, ou fes fantaifies; il arriveroit, ou que chacun auroit beaucoup d'indifférence pour toutes fortes de religions de quelqu'efpece qu'elles fuffent, moyennant quoi tout le monde feroit porté à embrasser la religion dominante; ou que l'on feroit zélé pour la religion en général, moyennant quoi les fectes fe multiplieroient.

Il ne feroit pas impoffible qu'il y eût dans cette nation des gens qui n'auroient point de religion, & qui ne voudroient pas cependant fouffrir qu'on les obligeât à changer celle qu'ils auroient s'ils en avoient une: car ils fentiroient d'abord, que la vie & les biens ne font pas plus à eux que leur maniere de penfer; & que qui veut ravir l'un, peut encore mieux ôter l'autre.

Si parmi les différentes religions il y en avoit une à l'établiffement de laquelle on eût tenté de parvenir par la voie de l'esclavage, elle y feroit odieufe; parce que, comme nous jugeons des chofes par les liaisons & les acceffoires que nous y mettons, celle-ci ne fe préfenteroit jamais à l'efprit avec l'idée de liberté.

Les lois contre ceux qui profefferoient cette religion, ne feroient point fangui

naires; car la liberté n'imagine point ces fortes de peines: mais elles feroient fi réprimantes, qu'elles feroient tout le mal qui peut fe faire de fang-froid.

Il pourroit arriver de mille manieres, que le clergé auroit fi peu de crédit, que les autres citoyens en auroient davantage. Ainfi, au lieu de fe féparer, il aimeroit mieux fupporter les mêmes charges que les laïques, & ne faire à cet égard qu'un même corps: mais comme il chercheroit toujours à s'attirer le respect du peuple, il fe diftingueroit par une vie plus retirée, une conduite plus réfervée, & des mours plus pures.

Ce clergé ne pouvant protéger la reli gion ni être protégé par elle, fans force pour contraindre, chercheroit à perfua der: on verroit fortir de fa plume de très-bons ouvrages, pour prouver la révélation & la providence du grand Être.

Il pourroit arriver qu'on éluderoit fes affemblées, & qu'on ne voudroit pas lui permettre de corriger fes abus mêmes; & que, par un délire de la liberté, on aimeroit mieux laiffer fa réforme imparfai te, que de fouffrir qu'il fût réformateur.

Les dignités faifant partie de la constitution fondamentale, feroient plus fixes

qu'ailleurs mais d'un autre côté, les grands, dans ce pays de liberté, s'approcheroient plus du peuple; les rangs feroient donc plus féparés, & les perfonnes plus confondues.

Ceux qui gouvernent ayant une puiffance qui fe remonte, pour ainfi dire, & fe refait tous les jours, auroient plus d'égards pour ceux qui leur font utiles, que pour ceux qui les divertiffent: ainfi on y verroit peu de courtifans, de flatteurs, de complaifans, enfin de toutes ces fortes de gens qui font payer aux grands le vide même de leur efprit.

On n'y estimeroit guere les hommes par des talens ou des attributs frivoles, mais par des qualités réelles; & de ce genre il n'y en a que deux, les richeffes & le mérite perfonnel.

Il y auroit un luxe folide, fondé, non pas fur le rafinement de la vanité, mais fur celui des befoins réels; & l'on ne chercheroit guere dans les chofes que les plaifirs que la nature y a mis.

On y jouiroit d'un grand fuperflu, & cependant les chofes frivoles y feroient profcrites: ainfi plufieurs ayant plus de bien que d'occafions de dépenfe, l'emploieroient d'une maniere bizarre: &

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