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le droit qu'il a payé pour la marchandise On fent donc que plus le gouvernement eft modéré, que plus l'efprit de liberté regne, que plus les fortunes ont de fureté, plus il eft facile au marchand d'avancer à l'état, & de prêter au particulier des droits confidérables. En Angleterre, un marchand prête réellement à l'état cinquante ou foixante livres fterling à chaque tonneau de vin qu'il reçoit. Quel eft le marchand qui oferoit faire une chofe de cette efpece dans un pays gouverné comme la Turquie ? & quand il l'oferoit faire, comment le pourroit-il, avec une fortune fufpecte, incertaine, ruinée ?

CHAPITRE XV.

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Abus de la liberté.

Es grands avantages de la liberté ont fait que l'on a abufé de la liberté même. Parce que le gouvernement modéré a produit d'admirables effets, on a quitté cette modération : parce qu'on a tiré de grands tributs, on en a voulu tirer d'exceffifs: & méconnoiffant la main de la liberté qui faifoit ce préfent,

on s'eft adreffé à la fervitude qui refuse

tout.

La liberté a produit l'excès des tributs: mais l'effet de ces tributs exceffifs eft de produire à leur tour la fervitude; & l'effet de la fervitude, de produire la diminution des tributs.

Les monarques de l'Afie ne font guere d'édits que pour exempter chaque année de tributs quelque province de leur empire (a) les manifeftations de leur volonté font des bienfaits. Mais en Europe, les édits des princes affligent même avant qu'on les ait vus, parce qu'ils y parlent toujours de leurs befoins, & jamais des nôtres.

D'une impardonnable nonchalance, que les miniftres de ces pays-là tiennent du gouvernement & fouvent du climat, les peuples tirent cet avantage, qu'ils ne font point fans ceffe accablés par de nouvelles demandes. Les dépenfes n'y augmentent point, parce qu'on n'y fait point de projets nouveaux : & fi par hafard on y en fait, ce font des projets dont on voit la fin, & non des projets commencés. Ceux qui gouvernent l'état ne le tourmentent pas, parce qu'ils (e) C'est l'ufage des empereurs de la Chine.

ne fe tourmentent pas fans ceffe eux, mêmes. Mais, pour nous, il eft impoffible que nous ayons jamais de regles dans nos finances, parce que nous favons toujours que nous ferons quelque chofe, & jamais ce que nous ferons.

On n'appelle plus parmi nous un grand miniftre celui qui eft le fage difpenfateur des revenus publics; mais celui qui eft homme d'industrie, & qui trouve ce qu'on appelle des expédiens.

CHAPITRE XVI.

Des conquêtes des Mahometans.

Cqui donnerent lieu à cette étrange

E furent ces tributs (a) exceffifs

facilité que trouverent les Mahometans dans leurs conquêtes. Les peuples, au lieu de cette fuite continuelle de vexations que l'avarice fubtile des empereurs avoit imaginées, fe virent foumis à un tribut fimple, payé aifément, reçu de même; plus heureux d'obéir à une nation barbare qu'à un gouvernement

(a) Voyez, dans l'hiftoire, la grandeur, la bizarrerie, & même la folie de ces tributs. Anaftafe en imagina un pour felpirer l'aix ut quifque pro hauftu aëris penderet.

corrompu, dans lequel ils fouffroient tous les inconvéniens d'une liberté qu'ils n'avoient plus, avec toutes les horreurs d'une fervitude préfente.

CHAPITRE

XVII.

De l'augmentation des troupes.

UNE maladie nouvelle s'eft répandue

en Europe; elle a faifi nos princes,

& leur fait entretenir un nombre défordonné de troupes. Elle a fes redoublemens, & elle devient néceffairement contagieufe: car fi-tôt qu'un état augmente ce qu'il appelle fes troupes, les autres foudain augmentent les leurs; de façon qu'on ne gagne rien par-là, que la ruine commune. Chaque monarque tient fur pied toutes les armées qu'il pourroit avoir, fi fes peuples étoient en danger d'être exterminés; & on nomme paix cet état (a) d'effort de tous contre tous. Auffi l'Europe eft-elle fi ruinée, que les particuliers qui feroient dans la fituation où font les trois puif

(a) II eft vrai que c'eft cet état d'effort qui maintient principalement l'équilibre, parce qu'il éreinte les grandes puissances.

fances de cette partie du monde les plus opulentes, n'auroient pas de quoi vivre. Nous fommes pauvres avec les richeffes & le commerce de tout l'univers, & bientôt, à force d'avoir des foldats, nous n'aurons plus que des foldats, & nous ferons comme des Tartares (a).

Les grands princes, non contens d'acheter les troupes des plus petits cherchent de tous côtés à payer des alliances; c'est-à-dire, prefque toujours à perdre leur argent.

nus,

La fuite d'une telle fituation eft l'augmentation perpétuelle des tributs : & ce qui prévient tous les remedes à venir, on ne compte plus fur les revemais on fait la guerre avec fon capital. Il n'eft pas inoui de voir des états hypothéquer leur fonds pendant la paix même; & employer pour fe ruiner, des moyens qu'ils appellent extraordinaires, & qui le font fi fort le fils de famille le plus dérangé

que
les imagine à peine.

(a) Il ne faut pour cela, que faire valoir la nouvelle invention des milices établies dans prefque toute l'Europe, & les porter au même excès que l'on a fait Jes troupes réglées.

CHAPITRE

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