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CHAPITRE

II.

Combien, pour les meilleures lois, il eft néceffaire que les efprits foient préparés.

R IEN ne parut plus infupportable aux Germains (a) que le tribunal de Varus. Celui que Juftinien érigea (b) chez les Laziens, pour faire le procès au meurtrier de leur Roi, leur parut une chofe horrible & barbare. Mithridate (c) haranguant contre les Romains, leur reproche fur-tout les formalités (d) de leur juftice. Les Parthes ne purent fupporter ce Roi, qui ayant été élevé à Rome, fe rendit affable (e) & acceffible à tout le monde. La liberté même paru infupportable à des peuples qui 'étoient pas accoutumés à en jouir. C'eft ainfi qu'un air pur eft quelquefois nuifible à ceux qui ont vécu dans des pays marécageux.

Un Vénitien nommé Balbi, étant

(a) Ils coupoient la langue aux avocats, & difoient : Vipere, ceffe de fiffler. Tacite.

(b) Agathias, liv. IV.

(c) Juftin, liv. XXXVIII. (d) Calumnias litium. Ibid.

(e) Prompti aditus, nova comitas, ingnota Parthiɛ virtutes, nova vitia. Tacite.

au (a) Pégu, fut introduit chez le roi. Quand celui-ci apprit qu'il n'y avoit point de roi à Venife, il fit un fi grand éclat de rire, qu'une toux le prit, & qu'il eut beaucoup de peine à parler à Les courtifans. Quel est le législateur qui pourroit propofer le gouvernement po pulaire à des peuples pareils?

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CHAPITRE II I.
De la tyrannie.

Ly a deux fortes de tyrannie; une réelle, qui confifte dans la violence du gouvernement; & une d'opinion qui fe fait fentir lorfque ceux qui gouvernent établiffent des chofes qui cho quent la maniere de penfer d'une na

tion.

Dion dit qu'Augufte voulut fe faire appeler Romulus; mais qu'ayant appris que le peuple craignoit qu'il ne voulût fe faire roi, il changea de deffein. Les premiers Romains ne voulurent point de roi , parce qu'ils n'en pouvoient

(a) Il en a fait la defcription en 1596. Recueil des voyages qui ont fervi à l'établissement de la compagnie des Indes, Tom. III. part. I. p. 33.

fouffrir la puiffance : les Romains d'a lors ne vouloient point de roi, pour n'en point fouffrir les manieres. Car, quoique Céfar, les Triumvirs, Augufte, fuffent de véritables rois, ils avoient gardé tout l'extérieur de l'égalité, & leur vie privée contenoit une efpece d'oppofition avec le fafte des rois d'alors: & quand ils ne vouloient point de roi, cela fignifioit qu'ils vouloient garder leurs manieres, & ne pas prendre celles des peuples d'Afrique &

d'Orient.

Dion (a) nous dit que le peuple Romain étoit indigné contre Augufte, à caufe de certaines lois trop dures qu'il avoit faites: mais que fi-tôt qu'il eut fait revenir le comédien Pylade que les factions avoient chaffé de la ville, le mécontentement ceffa. Un peuple pareil fentoit plus vivement la tyrannie lorfqu'on chaffoit un baladin, que lorf qu'on lui ôtoit toutes fes lois.

(a) Liv. LIV. pag 532.

CHAPITRE IV.

Ce que c'est que l'efprit général.

PLUSIEU

LUSIEURS chofes gouvernent les hommes, le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des chofes paffées, les mœurs, les manieres; d'où il fe forme un efprit général qui en réfulte.

A mesure que dans chaque nation une de ces caufes agit avec plus de force les autres lui cedent d'autant. La nature & le climat dominent prefque feuls fur les fauvages; les manieres gouvernent les Chinois; les lois tyrannisent le Japon; les mœurs donnoient autrefois le ton dans Lacédémone; les maximes du gouvernement & les mœurs anciennes le donnoient dans Rome,

CHAPITRE V.

Combien il faut être attentif à ne point changer l'esprit général d'une nation.

S'il y avoit dans le monde une na

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tion qui eût une humeur fociable une ouverture de coeur, une joie dans la vie, un goût, une facilité à communiquer fes penfées, qui fût vive, agréable, enjouée, quelquefois imprudente, fouvent indifcrete; & qui eût avec cela du courage, de la générofité, de la franchife, un certain point d'honneur; il ne faudroit point chercher à gêner par des lois fes manieres, pour ne point gêner fes vertus. Si en général le caractere eft bon, qu'importe de quelques défauts qui s'y trouvent?

On y pourroit contenir les femmes, faire des lois pour corriger leurs mœurs & borner leur luxe : mais qui fait fi on n'y perdroit pas un certain goût, qui feroit la fource des richeffes de la nation, & une politesse qui attire chez elle les étrangers?

C'est au législateur à fuivre l'efprit de la nation, lorsqu'il n'est pas contraire

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