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confidérable en comparaifon de ceux qui reftoient. De plus, ces efclaves menés à la guerre par leur maître, ne faifoient pas un corps féparé; ils étoient dans l'armée, & reftoient, pour ainfi dire, dans la famille.

Q

CHAPITRE X V.

Continuation du même fujet.

UAND toute la nation eft guer-
riere, les efclaves armés font

encore moins à craindre.

Par la loi des Allemands, un esclave qui voloit (a) une chofe qui avoit été dépofée, étoit foumis à la peine qu'on auroit infligée à un homme libre : mais s'il l'enlevoit par viclence (b), il n'étoit obligé qu'à la reftitution de la chofe enlevée. Chez les Allemands, les actions qui avoient pour principe le courage & la force, n'étoient point odieufes. Ils fe fervoient de leurs efclaves dans C leurs guerres. Dans la plupart des républiques, on a toujours cherché à abattre le courage des efclaves: le peuple Alle

( a) Loi des Allemands, chap. V. §. 3. (b) Ibid, chap. V, §. 5, per virtutem.

mand, fûr de lui-même, fongeoit à augmenter l'audace des fiens; toujours armé, il ne craignoit rien d'eux; c'étoient des inftrumens de fes brigandages ou de fa gloire.

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tat modéré les dangers que l'on pourroit craindre de leur trop grand nombre. Les hommes s'accoutument à tout, & à la fervitude même, pourvu que le maître ne foit pas plus dur que la fervitude. Les Athéniens traitoient leurs efclaves avec une grande douceur: on ne voit point qu'ils aient troublé l'état à Athenes, comme ils ébranlerent celui de Lacédémone.

On ne voit point que les premiers - Romains aient eu des inquiétudes à l'occafion de leurs efclaves. Ce fut lorfqu'ils eurent perdu pour eux tous les fentimens de l'humanité, que l'on vit

naître ces guerres civiles, qu'on a com parées aux guerres Puniques (a).

Les nations fimples, & qui s'attachent elles-mêmes au travail, ont ordinairement plus de douceur pour leurs efclaves, que celles qui y ont renoncé. Les premiers Romains vivoient, travailloient & mangeoient avec leurs efclaves ils avoient pour eux beaucoup de douceur & d'équité; la plus grande peine qu'ils leur infligeafflent, étoit de les faire paffer devant leurs voifins avec un morceau de bois fourchu fur le dos Les mœurs fuffifoient pour maintenir la fidélité des efclaves; il ne falloit point de lois.

Mais, lorfque les Romains fe furent agrandis, que leurs efclaves ne furent plus les compagnons de leur travail, mais les inftrumens de leur luxe & de leur orgueil; comme il n'y avoit point de moeurs, on eut befoin de lois. Il en fallut même de terribles, pour établir la fureté de ces maîtres cruels, qui vivoient au milieu de leurs efclaves comme au milieu de leurs ennemis.

(a) "La Sicile, dit Florus, plus cruellement dé » vaftée par la guerre fervile, que par la guerre Punique «. Liv. III.

On fit le fénatus-confulte Sillanien, & d'autres lois (a) qui établirent que, lorfqu'un maître feroit tué, tous les efclaves qui étoient fous le même toît, ou dans un lieu affez près de la maison pour qu'on pût entendre la voix d'un homme, feroient fans diftinction condamnés à la mort. Ceux qui dans ce cas réfugioient un efclave pour le fauver, étoient punis comme meurtriers (b). Celui-là même à qui fon maître auroit ordonné (c) de le tuer, & qui lui auroit obéi, auroit été coupable: celui qui ne l'auroit point empêché de fe tuer lui-même, auroit été puni (d). Si un maître avoit été tué dans un voyage, on faifoit mourir (e) ceux qui étoient reftés avec lui, & ceux qui s'étoient enfuis. Toutes ces lois avoient lieu contre ceux-mêmes dont l'innocence étoit prouvée. Elles avoient pour objet de donner aux efclaves pour leur maître un refpect prodigieux. Elles

a) Voyez tout le titre de fenat. confult. Sillan. ff. (b) Leg. fi quis, §. 12, ff. de fenat. confult. Sillan.

(c) Quand Antoine commanda à Etos de le tuer, ce n'étoit point lui commander de le tuer, mais de fe tuer lui-même; puifque, s'il lui eût obéi, il auroit été puni comme meurtrier de fon maître.

(d) Leg. 1, §. 22, ff. de senat, confult, Sillan (c) Leg. 1, §. 31, ff, ibid.

n'étoient pas dépendantes du gouvernement civil, mais d'un vice ou d'une imperfection du gouvernement civil. Elles ne dérivoient point de l'équité des lois civiles, puifqu'elles étoient contraires aux principes des lois civiles. Elles étoient proprement fondées fur le principe de la guerre, à cela près que c'étoit dans le fein de l'état qu'étoient les ennemis. Le fénatus-confulte Sillanien dérivoit du droit des gens, qui veut qu'une fociété, même imparfaite, fe conferve.

C'est un malheur du gouvernement, lorfque la magiftrature fe voit contrainte de faire ainfi des lois cruelles. C'eft parce qu'on a rendu l'obéiffance difficile, que l'on eft obligé d'aggraver la peine de la défobéiffance, ou de foupçonner la fidélité. Un légiflateur prudent prévient le malheur de devenir un législateur terrible. C'est parce que les efclaves ne purent avoir chez les Romains de confiance dans la loi, que la loi ne put avoir de confiance

en eux.

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