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Ariftote (a) veut prouver qu'il y a dés efclaves par nature, & ce qu'il dit ne le prouve guere. Je crois que, s'il y en a de tels, ce font ceux dont je viens de parler.

Mais comme tous les hommes naiffent égaux, il faut dire que l'efclavage eft contre la nature, quoique dans certains pays il foit fondé fur une raifon naturelle; & il faut bien diftinguer ces pays d'avec ceux où les raifons naturelles même les rejettent, comme les pays d'Europe où il a été fi heureusement aboli.

Plutarque nous dit, dans la vie de Numa, que, du temps de Saturne, il n'y avoit ni maître ni esclave. Dans nos climats, le chriftianisme a ramené cet âge.

CHAPITRE

VIII.

Inutilité de l'esclavage parmi nous.

L faut donc borner la fervitude naturelle à de certains pays particuliers de la terre. Dans tous les autres, il me femble que, quelque pénibles que foient

(a) Politique, liv. I, ch. 1.

les

les travaux que la fociété y exige, on peut tout faire avec des hommes libres.

Ce qui me fait penser ainfi, c'est qu'avant que le chriftianifme eût aboli en Europe la fervitude civile, on regardoit les travaux des mines comme fi pénibles, qu'on croyoit qu'ils ne pouvoient être faits que par des efclaves ou par des criminels. Mais on fait qu'aujourd'hui les hommes qui y font employés (a) vivent heureux. On a, par de petits privileges, encouragé cette profeffion; on a joint à l'augmentation du travail celle du gain, & on eft parvenu à leur faire aimer leur condition plus que toute autre qu'ils euffent pu prendre.

Il n'y a point de travail fi pénible qu'on ne puiffe proportionner à la force de celui qui le fait, pourvu que ce foit la raison & non pas l'avarice qui le regle. On peut, par la commodité des machines que l'art invente ou applique, fuppléer au travail forcé qu'ailleurs on fait faire aux efclaves. Les mines des Turcs, dans le bannat de Témefwar, étoient plus riches que celles de Hongrie ; & elles ne

(a) On peut fe faire inftruire de ce qui fe paffe à cet égard dans les mines du Hartz dans la baffe Allemagne, & dans celles de Hongrie.

produifoient pas tant, parce qu'ils n'imaginoient jamais que les bras de leurs efclaves.

Je ne fais fi c'eft l'efprit ou le cœur qui me dicte cet article-ci. Il n'y a peutêtre pas de climat fur la terre où l'on ne pût engager au travail des hommes libres. Parce que les lois étoient mal-faites, on a trouvé des hommes pareffeux; parce que ces hommes étoient paref feux, on les a mis dans l'efclavage.

CHAPITRE

IX.

Des nations chez lefquelles la liberté civile eft généralement établie.

O

N entend dire tous les jours, qu'il feroit bon que parmi nous il y eût des efclaves.

Mais, pour bien juger de ceci, il ne faut pas examiner s'ils feroient utiles à la petite partie riche & voluptueufe de chaque nation; fans doute qu'ils lui feroient utiles. Mais, prenant un autre point de vue, je ne crois pas qu'aucun de ceux qui la compofent voulût tirer au fort, pour favoir qui devroit former la partie de la nation qui feroit libre, &

celle qui feroit efclave. Ceux qui parlent le plus pour l'efclavage, l'auroient le plus en horreur, & les hommes les plus miférables en auroient horreur de même. Le cri pour l'efclavage eft donc le cri du luxe & de la volupté, & non pas celui de l'amour de la félicité publique. Qui peut douter que chaque homme, en particulier, ne fût très-content d'être le maître des biens, de l'honneur & de la vie des autres ; & que toutes fes paffions ne fe réveillaffent d'abord à cette idée? Dans ces chofes, voulez-vous favoir fi les défirs de chacun font légitimes? examinez les défirs de tous.

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L y a deux fortes de fervitudes, la réelle & la perfonnelle. La réelle est celle qui attache l'efclave au fonds de terre. C'eft ainfi qu'étoient les efclaves chez les Germains, au rapport de Tacite (a). Ils n'avoient point d'office dans la maifon; ils rendoient à leur maître une certaine quantité de blé, de (a) De moribus Germanorum.

bétail ou d'étoffe: l'objet de leur esclavage n'alloit pas plus loin. Cette efpece de fervitude eft encore établie en Hongrie, en Boheme, & dans plufieurs endroits de la baffe-Allemagne.

La fervitude perfonnelle regarde le miniftere de la maifon, & fe rapporte plus à la perfonne du maître.

L'abus extrême de l'efclavage eft lorfqu'il eft en même temps perfonnel & réel. Telle étoit la fervitude des Ilotes chez les Lacédémoniens; ils étoient foumis à tous les travaux hors de la maison, & à toutes fortes d'infultes dans la maifon: cette ilotie eft contre la nature des chofes. Les peuples fimples n'ont qu'un efclavage réel (a), parce que leurs femmes & leurs enfans font les travaux domeftiques. Les peuples voluptueux ont un efclavage perfonnel, parce que le luxe demande le fervice des efclaves dans la maifon. Or l'ilotie joint dans les mêmes perfonnes l'efclavage établi chez les peuples voluptueux, & celui qui eft établi chez les peuples fimples,

(a) » Vous ne pourriez (dit Tacite, fur les mœurs » des Germains) diftinguer le maître de l'esclave, par » les délices de la vie “

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