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gné de nos jours un moyen admirable de l'arrêter on forme une ligne de troupes autour du pays infecté, qui empêche toute communication,

Les Turcs (4) qui n'ont à cet égard aucune police, voient les Chrétiens dans la même ville, échapper au danger, & eux feuls périr; ils achetent les habits des peftiférés, s'en vêtiffent, & vont leur train. La doctrine d'un deftin rigide qui regle tout, fait du magiftrat un fpectateur tranquille : il penfe que Dieu a déjà tout fait, & que lui n'a rien à faire,

CHAPITRE XII. Des lois contre ceux qui fe tuent (b) eux

mêmes.

Ous ne voyons point, dans les hif

Nou toires, que les Romains fe fiffent

mourir fans fujet : mais les Anglois fe tuent fans qu'on puiffe imaginer aucune raifon qui les y détermine; ils fe tuent dans le fein même du bonheur. Cette

(a) Ricaut, de l'empire Ottoman, p. 284.

(b) L'action de ceux qui fe tuent eux-mêmes, eft contraire à la loi naturelle, & à la religion révélée,

action, chez les Romains, étoit l'effet de l'éducation; elle tenoit à leurs manieres de penfer & à leurs coutumes: chez les Anglois, elle eft l'effet d'une maladie (a); elle tient à l'état phyfique de lå machine, & eft indépendante de toute autre caufe.

Il y a apparence que c'eft un défaut de filtration du fuc nerveux: la machine dont les forces motrices fe trouvent à tout moment fans action, eft laffe d'elle-même; l'ame ne fent point de douleur, mais une certaine difficulté de l'existence. La douleur est un mal local, qui nous porte au défir de voir ceffer cette douleur; le poids de la vie eft un mal qui n'a point de lieu particulier, & qui nous porte au défir de voir finir cette vie.

Il eft clair que les lois civiles de quelques pays, ont eu des raifons pour flétrir l'homicide de foi-même: mais en Angleterre, on ne peut pas plus le punir qu'on ne punit les effets de la démence.

(a) Elle pourroit bien être compliquée avec le fcorbut; qui, fur-tout dans quelques pays, rend un homme bizarre & infupportable à lui-même. Voyage de François Pyrard, partie II, chap. XXI.

CHAPITRE X II I.

Effets qui résultent du climat d'Angle

D

terre.

ANS une nation à qui une maladie du climat affecte tellement l'ame qu elle pourroit porter le dégoût de toutes chofes jufqu'à celui de la vie ; on voit bien que le gouvernement qui conviendroit le mieux à des gens à qui tout feroit infupportable, feroit celui où ils ne pourroient pas fe prendre à un feul de ce qui cauferoit leurs chagrins; & où les lois gouvernant plutôt que les hommes, il faudroit, pour changer l'état, les renverfer elles-mêmes.

Que fi la même nation avoit encore reçu du climat un certain caractere d'impatience, qui ne lui permît pas de fouffrir long-temps les mêmes chofes; on voit bien que le gouvernement dont nous venons de parler, feroit encore le plus convenable.

Ce caractere d'impatience n'eft pas grand par lui-même : mais il peut le devenir beaucoup, quand il eft joint avec le courage.

Il eft différent de la légéreté, qui fait que l'on entreprend fans fujet, & que l'on abandonne de même; il approche plus de l'opiniâtreté, parce qu'il vient d'un fentiment des maux, fi vif, qu'il ne s'affoiblit pas même par l'habitude de les fouffrir.

Ce caractere dans une nation libre, feroit très-propre à déconcerter les projets de la tyrannie (a), qui eft toujours lente & foible dans fes commencemens, comme elle eft prompte & vive dans fa fin; qui ne montre d'abord qu'une main pour fecourir, & opprime enfuite une infinité de bras.

La fervitude commence toujours par le fommeil. Mais un peuple qui n'a de repos dans aucune fituation, qui fe tâte fans ceffe, & trouve tous les endroits douloureux, ne pourroit guere s'endormir.

La politique eft une lime fourde, qui ufe & qui parvient lentement à fa fin. Or, les hommes dont nous venons de parler, ne pourroient foutenir les len teurs, les détails, le fang - froid des

(a) Je prends ici ce mot pour le deffein de renverfer le pouvoir établi, & fur-tout la démocratie. C'eft la fignification que lui donnoient les Grecs & les Romains.

négociations; ils y réuffiroient fouvent moins que toute autre nation; & ils perdroient, par leurs traités, ce qu'ils auroient obtenu par leurs armes.

CHAPITRE XIV.

Autres effets du climat.

NOS peres,

les anciens Germains, habitoient un climat où les paffions étoient très-calmes. Leurs lois ne trouvoient dans les chofes que ce qu'elles voyoient, & n'imaginoient rien de plus. Et comme elles jugeoient des infultes faites aux hommes par la grandeur des bleffures, elles ne mettoient pas plus de raffinement dans les offenfes faites aux femmes. La loi (a) des Allemands eft là-deffus fort finguliere. Si l'on découvre une femme à la tête, on payera une amende de fix fous, autant fi c'eft à la jambe jufqu'au genou; le double depuis le genou. Il femble que la loi mefuroit la grandeur des outrages faits à la perfonne des femmes, comme on mefure une figure de géométrie ; elle ne puniffoit point le crime de l'ima (a) Chap. LVIII, §. 1 & 2.

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