mamelons, étoient des pyramides, qui formoient par le bout comme de petits pinceaux. Il y a grande apparence que ces pyramides font le principal organe du goût. J'ai fait geler la moitié de cette langue; & j'ai trouvé, à la fimple vue, les mamelons confidérablement diminués; quelques rangs même de mamélons s'étoient enfoncés dans leurs gaines; j'en ai examiné le tiffu avec le microfcope, je n'ai plus vu de pyramides. A mefure que la langue s'eft dégelée, les mamelons, à la fimple vue, ont paru fe relever; &, au microscope, les petites houpes ont commencé à reparoître. Cette obfervation confirme ce que j'ai dit, que, dans les pays froids, les houpes nerveufes font moins épanouies: elles s'enfoncent dans leurs gaines, où elles font à couvert de l'action des objets extérieurs. Les fenfations font donc moins vives. Dans les pays froids, on aura peu de fenfibilité pour les plaifirs; elle fera plus grande dans les pays tempérés; dans les pays chauds, elle fera extrême. Comme on diftingue les climats par les degrés de latitude, on pourroit les diftinguer, pour ainfi dire, par les degrés de fenfibilité. J'ai vu les opéra d'Angleterre & d'Italie; ce font les mêmes pieces & les mêmes acteurs: mais la même mufique produit des effets fi différens fur les deux nations, l'une eft fi calme, & l'autre fi transportée, que cela paroît inconcevable. Il en fera de même de la douleur: elle eft excitée en nous par le déchirement de quelque fibre de notre corps. L'auteur de la nature a établi que cette douleur feroit plus forte, à mesure que le dérangement feroit plus grand: or il eft évident que les grands corps & les fibres groffieres des peuples du nord font moins capables de dérangement que les fibres délicates des peuples des pays chauds; l'ame y eft donc moins fenfible à la douleur. Il faut écorcher un Mofcovite, pour lui donner du fentiment. Avec cette délicateffe d'organes que l'on a dans les pays chauds, l'ame eft fouverainement émue par tout ce qui a du rapport à l'union des deux fexes; tout conduit à cet objet. Dans les climats du nord, à peine le phyfique de l'amour a-t-il la force de fe rendre bien fenfible; dans les climats tempérés, l'amour, accompagné de mille acceffoires, fe rend agréable par des chofes qui d'abord femblent être lui-même, & ne font pas encore lui; dans les climats plus chauds, on aime l'amour pour lui-même; il eft la caufe unique du bonheur, il eft la vie. Dans les pays du midi, une machine délicate, foible, mais fenfible, fe livre à un amour qui, dans un férail, naît & fe calme fans ceffe; ou bien à un amour qui, laiffant les femmes dans une plus grande indépendance, eft exposé à mille troubles. Dans les pays du nord, une machine faine & bien constituée, mais lourde, trouve fes plaifirs dans tout ce qui peut remettre les efprits en mouvement; la chaffe, les voyages, la guerre, le vin. Vous trouverez, dans les climats du nord, des peuples qui ont peu de vices, affez de vertus, beaucoup de fincérité & de franchife. Approchez des pays du midi, vous croirez vous éloigner de la morale même ; des paffions plus vives multiplieront les crimes; chacun cherchera à prendre fur les autres tous les avantages qui peuvent favorifer ces mêmes paffions. Dans les pays tempérés, vous verrez des peuples inconftans dans leurs manieres, dans leurs vices même, & dans leurs vertus : le climat n'y a pas une qualité affez déterminée pour les fixer eux-mêmes. La chaleur du climat peut être fi exceffive, que le corps y fera abfolument fans force. Pour lors, l'abattement paffera à l'efprit même ; aucune curiofité, aucune noble entreprise, aucun fentiment généreux; les inclinations y feront toutes paffives; la pareffe y fera le bonheur; la plupart des châtimens y feront moins difficiles à foutenir que l'action de l'ame; & la fervitude moins infupportable, que la force d'efprit qui eft néceffaire pour fe conduire foi-même. CHAPITRE II I. Contradiction dans les caracteres de certains peuples du midi. L ES Indiens (a) font naturellement fans courage; les enfans (b) même des Européens nés aux Indes, perdent (a) » Cent foldats d'Europe, dit Tavernier, n'auroient pas grand' peine à battre mille foldats Indiens «. (b) Les Perfans même qui s'établiffent aux Indes, " celui de leur climat. Mais comment accorder cela avec leurs actions atroces, leurs coutumes, leurs pénitences barbares? Les hommes s'y foumettent à des maux incroyables; les femmes s'y brûlent elles-mêmes: voilà bien de la force pour tant de foibleffe. La nature, qui a donné à ces peuples une foibleffe qui les rend timides, leur a donné auffi une imagination fi vive, que tout les frappe à l'excès. Cette même délicateffe d'organes qui leur fait craindre la mort, fert auffi à leur faire redouter mille chofes plus que la mort. C'eft la même fenfibilité qui leur fait fuir tous les périls, & les leur fait tous braver. Comme une bonne éducation eft plus néceffaire aux enfans, qu'à ceux dont l'efprit eft dans fa maturité; de même les peuples de ces climats ont plus befoin d'un législateur fage, que les peuples du nôtre. Plus on eft aifément & fortement frappé, plus il importe de l'être d'une maniere convenable, de ne recevoir pas des préjugés, & d'être conduit par la raifon. » prennent, à la troifieme génération, la nonchalance » & la lâcheté Indienne «. Voyez Bernier, fur le |