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au (a) Pégu, fut introduit chez le roi Quand celui-ci apprit qu'il n'y avoit point de roi à Venife, il fit un fi grand éclat de rire, qu'une toux le prit, & qu'il eut beaucoup de peine à parler à fes courtifans. Quel eft le légiflateur qui pourroit propofer le gouvernement populaire à des peuples pareils ?

CHAPITRE III.

De la tyrannie.

y a deux fortes de tyrannie; une réelle, qui confifte dans la violence du gouvernement; & une d'opinion, qui fe fait fentir lorfque ceux qui gouvernent établiffent des chofes qui choquent la maniere de penfer d'une nation.

Dion dit qu'Augufte voulut fe faire appeler Romulus; mais qu'ayant appris que le peuple craignoit qu'il ne voulût fe faire roi, il changea de deffein. Les premiers Romains ne voulurent point de roi, parce qu'ils n'en pouvoient

( a ) Il en a fait la defcription en 1596. Recueil des voyages qui ont fervi à l'établissement de la compagnie des Indes. Tom. III, part. I, p. 33.

fouffrir la puiffance: les Romains d'alors ne vouloient point de roi, pour n'en point fouffrir les manieres. Car, quoique Céfar, les triumvirs, Augufte, fuffent de véritables rois, ils avoient gardé tout l'extérieur de l'égalité, & leur vie privée contenoit une espece d'oppofition avec le fafte des rois d'alors: & quand ils ne vouloient point de roi, cela fignifioit qu'ils vouloient garder leurs manieres, & ne pas prendre celles des peuples d'Afrique & d'Orient.

Dion (a) nous dit que le peuple Romain étoit indigné contre Augufte, à caufe de certaines lois trop dures qu'il avoit faites mais que, fi-tôt qu'il eut fait revenir le comédien Pylade que les factions avoient chaffé de la ville, le mécontentement ceffa. Un peuple pareil fentoit plus vivement la tyrannie lorfqu'on chaffoit un baladin, que lorf qu'on lui ôtoit toutes fes lois.

(a) Liv. LIV, pag. 532.

CHAPITRE IV.

Ce que c'est que l'efprit général.

PLUS

LUSIEURS chofes gouvernent les hommes, le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des chofes paffées, les mœurs, les manieres; d'où il fe forme un efprit général qui en réfulte.

A mefure que, dans chaque nation, une de ces caufes agit avec plus de force, les autres lui cedent d'autant. La nature & le climat dominent prefque feuls fur les fauvages; les manieres gouvernent les Chinois; les lois tyrannifent le Japon; les moeurs donnoient autrefois le ton dans Lacédémone; les maximes du gouvernement & les mœurs anciennes le donnoient dans Rome.

CHAPITRE V.

Combien il faut être attentif à ne point changer l'efprit général d'une nation.

S'IL y avoit dans le monde une nation qui eût une humeur fociable, une ouverture de cœur, une joie dans la vie, un goût, une facilité à communiquer fes pensées; qui fût vive, agréable, enjouée, quelquefois imprudente, fouvent indifcrete; & qui eût avec cela du courage, de la générofité, de la franchife, un certain point d'honneur; il ne faudroit point chercher à gêner par des lois fes manieres, pour ne point gêner fes vertus. Si en général le caractere eft bon, qu'importe de quelques défauts qui s'y trouvent?

On y pourroit contenir les femmes, faire des lois pour corriger leurs moeurs & borner leur luxe: mais qui fait fi on n'y perdroit pas un certain goût, qui feroit la fource des richeffes de la nation, & une politeffe qui attire chez elle les étrangers?

C'eft au légiflateur à fuivre l'efprit de la nation, lorfqu'il n'eft pas contraire

aux principes du gouvernement; car nous ne faifons rien de mieux que ce que nous faifons librement, & en fuivant notre génie naturel.

Qu'on donne un efprit de pédanterié à une nation naturellement gaie, l'état n'y gagnera rien, ni pour le dedans, ni pour le dehors. Laiffez-lui faire les chofes frivoles férieufement, & gaiement les chofes férieufes.

CHAPITRE VI.

Qu'il ne faut pas tout corriger. U'ON nous laiffe comme nous fommes, difoit un gentilhomme d'une nation qui reffemble beaucoup à celle dont nous venons de donner une idée. La nature répare tout. Elle nous a donné une vivacité capable d'offenfer

&

propre à nous faire manquer à tous les égards; cette même vivacité est . corrigée par la politeffe qu'elle nous procure, en nous infpirant du goût pour le monde, & fur-tout & fur-tout pour

commerce des femmes.

le

Qu'on nous laiffe tels que nous fommes. Nos qualités indifcretes, jointes à

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