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CHAPITRE XVIII.
Force de la fuperftition.

I

S'

ce que les relations nous difent est vrai, la conftitution d'un peuple de la Louifianne, nommé les Natchés, déroge à ceci. Leur chef (a) difpofe des biens de tous fes fujets, & les fait travailler à fa fantaifie; ils ne peuvent lui refuser leur tête ; il eft comme le grandfeigneur. Lorfque l'héritier préfomptif vient à naître, on lui donne tous les enfans à la mamelle, pour le fervir pendant fa vie. Vous diriez que c'eft le grand Séfoftris. Ce chef eft traité dans fa cabane avec les cérémonies qu'on feroit à un empereur du Japon ou de la Chine.

Les préjugés de la fuperftition font fupérieurs à tous les autres préjugés, & fes raifons à toutes les autres raifons. Ainfi, quoique les peuples fauvages ne connoiffent point naturellement le defpotifme, ce peuple-ci le connoît. Ils adorent le foleil: & fi leur chef n'avoit pas imaginé qu'il étoit le frere du foleil, ils n'auroient trouvé en lui qu'un miférable comme eux.

(a) Lettres édif, vingtieme recueil

CHAPITRE XIX.

De la liberté des Arabes, & de la fervitude des Tartares.

L

ES Arabes & les Tartares font des peuples pafteurs. Les Arabes fe trouvent dans les cas généraux dont nous avons parlé, & font libres; au lieu que les Tartares ( peuple le plus fingu lier de la terre) fe trouvent dans l'efclavage politique (a). J'ai déjà donné (b) quelques raifons de ce dernier fait: en voici de nouvelles.

Ils n'ont point de villes, ils n'ont point de forêts, ils ont peu de marais leurs rivieres font prefque toujours gla cées, ils habitent une immenfe plaine, ils ont des pâturages & des troupeaux, & par conféquent des biens: mais ils n'ont aucune efpece de retraite ni de défenfe. Si-tôt qu'un kan eft vaincu, on ui coupe la tête (c); on traite de la

(a) Lorfqu'on proclame un kan, tout le peuple 'écrie: Que fa parole lui ferve de glaive. (b) Liv. XVII, chap. v.

(c) Ainfi il ne faut pas être étonné fi Mirivéis, s'étant rendu maître d'Ifpahan, fit tuer tous les princes du fang

même maniere fes enfans; & tous fes fujets appartiennent au vainqueur. On ne les condamne pas à un esclavage civil; ils feroient à charge à une nation fimple, qui n'a point de terres à cultiver, & n'a befoin d'aucun fervice domeftique. Ils augmentent donc la nation. Mais au lieu de l'efclavage civil, on conçoit que l'esclavage politique a dû s'introduire.

En effet, dans un pays où les diverfes hordes fe font continuellement la guerre, & fe conquierent fans ceffe les unes les autres; dans un pays où, par la mort du chef, le corps politique de chaque horde vaincue eft toujours détruit, la nation en général ne peut guere être libre car il n'y en a pas une feule partie qui ne doive avoir été un trèsgrand nombre de fois fubjuguée.

Les peuples vaincus peuvent conferver quelque liberté, lorfque, par la force de leur fituation, ils font en état de faire des traités après leur défaite. Mais les Tartares, toujours fans défenfe, vaincus une fois, n'ont jamais pu faire des conditions.

J'ai dit, au chapitre II, que les habitans des plaines cultivées n'étoient

guere libres : des circonftances font que les Tartares, habitant une terre inculte font dans le même cas.

CHAPITRE XX.

Du droit des gens des Tartares. ES Tartares paroiffent entre eux doux & humains, & ils font des conquérans très-cruels: ils paffent au fil de l'épée les habitans des villes qu'ils prennent; ils croient leur faire grace, lorfqu'ils les vendent ou les diftribuent à leurs foldats. Ils ont détruit l'Afie depuis les Indes jufqu'a la Méditerranée; tout le pays qui forme l'orient de la Perfe en eft resté désert.

Voici ce qui me paroît avoir produit un pareil droit des gens. Ces peuples n'avoient point de villes; toutes leurs guerres fe faifoient avec promptitude & avec impétuofité. Quand ils efpéroient de vaincre, ils combattoient; ils augmentoient l'armée des plus forts, quand ils ne l'efpéroient pas. Ayec de pareilles coutumes, ils trouvoient, qu'il étoit contre leur droit des gens, qu'une ville qui ne pouvoit leur réfifter, les arrêtât.

Ils ne regardoient pas les villes comme une affemblée d'habitans, mais comme des lieux propres à fe fouftraire à leur puiffance. Ils n'avoient aucun art pour les affiéger, & ils s'expofoient beaucoup en les affiégeant; ils vengeoient par le fang tout celui qu'ils venoient de répandre.

qu'

CHAPITRE XX I.

Loi civile des Tartares.

E pere du Halde dit que, chez les

des mâles qui eft l'héritier: par la raifon qu'à mefure que les aînés font en état de mener la vie paftorale, ils fortent de la maifon avec une certaine quantité de bétail que le pere leur donne, & vont former une nouvelle habitation. Le dernier des mâles, qui refte dans la maison avec fon pere, eft donc fon héritier naturel.

J'ai ouï dire qu'une pareille coutume étoit obfervée dans quelques petits diftricts d'Angleterre : & on la trouve encore en Bretagne, dans le duché de Rohan, où elle a lieu pour les rotures.

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