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DEPUIS cinquante ans l'art de traduire a fait de grands progrès en France. On apprécie maintenant à leur juste valeur les traductions des Dacier, des Perrot d'Ablancourt, des Desfontaines, si vantées dans leur temps on a senti qu'une lourde fidélité ou une élégance infidèle étaient également éloignées du but que doit se proposer

un traducteur. Il est désormais reconnu en principe qu'il ne suffit pas de bien comprendre un auteur pour le bien rendre; que ce n'est pas même assez de bien connaitre la langue étrangère contre laquelle on lutte et l'idiome maternel dans lequel on écrit; mais qu'il faut encore dans le traducteur une sagacité, une force, une chaleur de conception presque égale à celle du génie dont il se pénètre,

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que

pour ne faire qu'un avec lui, en sorte le don de la création soit le seul avantage qui distingue l'auteur traduit de son interprète (*).

On est donc d'accord sur les principes généraux de la traduction ; mais il se présente encore un problème à résoudre. Faut-il traduire les poëtes en vers ou en prose? La réponse, selon nous, n'est point douteuse pour tout homme doué du sentiment de l'harmonie poétique. Oui, il faut traduire les poëtes en vers; mais pour y réussir, c'est peu que de connaître le mécanisme de la versification; il faut avoir reçu du ciel cette influence secrète dont parle Boileau; il faut être doué de cette inspiration divine, de ce brûlant enthousiasme, sans lesquels il n'est point de bon poëte, sans lesquels il n'est point de bon traducteur d'un poëte. D'après les qualités que vous exigez dans une traduction en

(*) Marmontel, Élémens de littératúre.

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des

vers, il n'y aurait, nous dira-t-on, que hommes d'un talent supérieur qui osassent entreprendre une tâche aussi difficile. Qu'en résulterait-il ? Nous aurions, sans doute, peu de traductions en vers, mais elles seraient excellentes.

La question nous semble donc devoir être reproduite dans des termes tout différens. Est-il possible de bien traduire les poëtes en prose? Or, cette question se réduit à celle-ci : Est-il possible d'étre poëte en prose? Assurément cela est possible; et pour le prouver il suffirait de citer le Télémaque et les Martyrs, dont la prose étincelle de toutes les beautés, de toutes les richesses de la poésie. :

Mais à l'appui de notre opinion, nous croyons devoir rapporter celle d'un critique célèbre. Le P. Sanadon, dans la Préface de sa traduction d'Horace, s'exprime ainsi à ce sujet : « C'est une re<< marque judicieuse que l'on a faite après Aristote, Denys d'Halicarnasse et Stra« bon, que l'Epopée est indépendante de

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la versification, et que, comme on peut

faire des vers sans poésie, on peut « aussi être poëte sans faire des vers. « Ce qui fait la poésie, ce n'est pas le << nombre fixe et la cadence réglée des

syllabes; c'est la vivacité de la fiction, << la magnificence des figures, la hardiesse << des inversions, la beauté et la variété << des images; c'est je ne sais quel tour heureux de pensées et d'expressions que «< la nature seule peut donner. Or, tout << cela peut se trouver dans une traduc<< tion en prose, au lieu qu'une traduction << en vers ne saurait manquer de sacrifier << souvent l'essentiel à l'accessoire, et d'al« térer les pensées et les expressions de l'auteur, pour conserver les grâces de << la versification. >>

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De ce raisonnement on doit conclure que, si une traduction en prose peut souvent égaler en poésie une traduction en vers, elle la surpassera toujours en exactitude: c'est aussi le sentiment de l'abbé Desfontaines que nous citerons ici, non

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