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CALOMNIE DANS LE CRIME DE LESE-MAJESTÉ.

Il faut rendre justice aux Césars; ils n'imaginèrent pas les premiers les tristes lois qu'ils firent. C'est Sylla1 qui leur apprit qu'il ne falloit point punir les calomniateurs. Bientôt on alla jusqu'à les récompenser 2.

1. Sylla fit une loi de majesté, dont il est parlé dans les Oraisons de Cicéron, pro Cluentio, art. 3; in Pisonem, art. 21; deuxième contre Verrès, art. 5; épîtres familières, liv. III, lettre 11. César et Auguste les insérèrent dans les lois Julies; d'autres y ajoutèrent. (M.)

2. Et quo quis distinctior accusator, eo magis honores assequebatur, ac veluti sacrosanctus erat. Tacite, Ann., IV, c. xxxvI. (M.)

DE LA RÉVÉLATION DES CONSPIRATIONS.

« Quand ton frère, ou ton fils, ou ta fille, ou ta femme bien-aimée, ou ton ami, qui est comme ton âme, te diront en secret: Allons à d'autres dieux, tu les lapideras: d'abord ta main sera sur lui, ensuite celle de tout le peuple 1. » Cette loi du Deutéronome ne peut être une loi civile chez la plupart des peuples que nous connoissons, parce qu'elle y ouvriroit la porte à tous les crimes.

La loi qui ordonne dans plusieurs États, sous peine de la vie, de révéler les conspirations auxquelles même on n'a pas trempé, n'est guère moins dure3. Lorsqu'on la porte dans le gouvernement monarchique, il est trèsconvenable de la restreindre.

Elle n'y doit être appliquée, dans toute sa sévérité, qu'au crime de lèse-majesté au premier chef. Dans ces États, il est très-important de ne point confondre les dif

férents chefs de ce crime.

Au Japon, où les lois renversent toutes les idées de la raison humaine, le crime de non-révélation s'applique aux cas les plus ordinaires.

1. La phrase: d'abord ta main, etc., n'est ni dans A ni dans B.

2. Chap. XIII, vers. 6, 7, 8 et 9. (M.) A. B. disent par erreur : du Lévitique.

3. C'est en vertu de cette loi que De Thou fut condamné à mort, comme complice de la conspiration de Cinq-Mars. Sup., c. VIII.

4. V. sup., ch. Ix, note finale.

1

Une relation nous parle de deux demoiselles qui furent enfermées jusqu'à la mort dans un coffre hérissé de pointes ; l'une, pour avoir eu quelque intrigue de galanterie; l'autre, pour ne l'avoir pas révélée.

1. Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, p. 423, liv. V, part. II. (M.)

COMBIEN IL EST DANGEREUX DANS LES RÉPUBLIQUES DE TROP PUNIR LE CRIME DE LÈSE-MAJESTÉ.

Quand une république est parvenue à détruire ceux qui vouloient la renverser, il faut se hâter de mettre fin aux vengeances, aux peines et aux récompenses mêmes.

On ne peut faire de grandes punitions, et par conséquent de grands changements, sans mettre dans les mains de quelques citoyens un grand pouvoir. Il vaut donc mieux, dans ce cas, pardonner beaucoup que punir beaucoup; exiler peu qu'exiler beaucoup; laisser les biens que multiplier les confiscations. Sous prétexte de la vengeance de la république, on établiroit la tyrannie des vengeurs. Il n'est pas question de détruire celui qui domine, mais la domination. Il faut rentrer le plus tôt que l'on peut dans ce train ordinaire du gouvernement, où les lois protégent tout, et ne s'arment contre personne1.

Les Grecs ne mirent point de bornes aux vengeances qu'ils prirent des tyrans ou de ceux qu'ils soupçonnèrent de l'être. Ils firent mourir les enfants', quelquefois cinq

1. A. B. mettent ici le paragraphe : On trouve dans Appien l'édit et la formule des proscriptions. Vous diriez, etc., qui dans les dernières éditions est placé plus bas.

2. A. Ils en firent mourir les enfants.

3. Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, liv. VIII. (M.)

des plus proches parents1. Ils chassèrent une infinité de familles. Leurs républiques en furent ébranlées; l'exil ou le retour des exilés furent toujours des époques qui marquèrent le changement de la constitution.

Les Romains furent plus sages. Lorsque Cassius fut condamné pour avoir aspiré à la tyrannie, on mit en question si l'on feroit mourir ses enfants: ils ne furent condamnés à aucune peine. « Ceux qui ont voulu, dit Denys d'Halicarnasse, changer cette loi à la fin de la guerre des Marses et de la guerre civile, et exclure des charges les enfants des proscrits par Sylla, sont bien criminels. »

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On voit dans les guerres de Marius et de Sylla jusqu'à quel point les âmes chez les Romains s'étoient peu à peu dépravées. Des choses si funestes firent croire qu'on ne les reverroit plus. Mais sous les triumvirs on voulut être plus cruel et le paroître moins on est désolé de voir les sophismes qu'employa la cruauté. On trouve dans Appien la formule des proscriptions. Vous diriez qu'on n'y a d'autre objet que le bien de la république, tant on y parle de sang-froid, tant on y montre d'avantages, tant les moyens que l'on prend sont préférables à d'autres, tant les riches seront en sûreté, tant le bas peuple sera tranquille, tant on craint de mettre en danger la vie des citoyens, tant on veut apaiser les soldats, tant enfin on sera heureux 5.

1. Tyranno occiso, quinque ejus proximos cognatione, magistratus necato. Cicéron, de Inventione, lib. II, c. xxix. (M.)

2. Liv. VIII, p. 547. (M.)

3. Ce paragraphe et le suivant ont été ajoutés aux dernières éditions, sauf les phrases: On trouve dans Appien, etc., jusqu'à la fin de l'alinéa. 4. Des guerres civiles, liv. IV. (M.)

5. Quod felix faustumque sit. (M.) A. B. « Tant on veut apaiser les soldats; horrible exemple qui fait voir combien les grandes punitions sont près

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