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capital, au lieu de les regarder comme le signe d'un crime capital.

Les empereurs Théodose, Arcadius et Honorius, écrivirent à Ruffin, préfet du prétoire : « Si quelqu'un parle mal de notre personne ou de notre gouvernement, nous ne voulons point le punir: s'il a parlé par légèreté, il faut le mépriser; si c'est par folie, il faut le plaindre; si c'est une injure, il faut lui pardonner. Ainsi, laissant les choses dans leur entier, vous nous en donnerez connoissance, afin que nous jugions des paroles par les personnes, et que nous pesions bien si nous devons les soumettre au jugement, ou les négliger.

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1. Si id ex levitate processerit, contemnendum est; si ex insania, miseratione dignissimum; si ab injuria, remittendum. Leg. unicâ, Cod. si quis imperat. maled. (M.)

DES ÉCRITS.

Les écrits contiennent quelque chose de plus permanent que les paroles1; mais, lorsqu'ils ne préparent pas au crime de lèse-majesté, ils ne sont point une matière du crime de lèse-majesté.

Auguste et Tibère y attachèrent pourtant la peine de ce crime; Auguste, à l'occasion de certains écrits faits contre des hommes et des femmes illustres; Tibère, à cause de ceux qu'il crut faits contre lui. Rien ne fut plus fatal à la liberté romaine. Crémutius Cordus fut accusé, parce que, dans ses annales, il avoit appelé Cassius le dernier des Romains".

Les écrits satiriques ne sont guère connus dans les États despotiques, où l'abattement d'un côté et l'ignorance de l'autre ne donnent ni le talent ni la volonté d'en faire. Dans la démocratie on ne les empêche pas, par la raison même qui dans le gouvernement d'un seul les fait défendre. Comme ils sont ordinairement composés contre des gens puissants, ils flattent dans la démocratie la mali

1. Scribere est agere, dit un adage cité par Blackstone, IV, 6. 2. Tacite, Annales, liv. I, c. LXXII. Cela continua sous les règnes suivants. Voyez la loi première au code de famosis libellis. (M.)

3. Tacite, Annales, liv. IV, c. xxxiv. (M.)

gnité du peuple qui gouverne. Dans la monarchie1 on les défend; mais on en fait plutôt un sujet de police que de crime. Ils peuvent amuser la malignité générale, consoler les mécontents, diminuer l'envie contre les places, donner au peuple la patience de souffrir, et le faire rire de ses souffrances.

L'aristocratie est le gouvernement qui proscrit le plus les ouvrages satiriques. Les magistrats y sont de petits souverains qui ne sont pas assez grands pour mépriser les injures. Si dans la monarchie quelque trait va contre le monarque, il est si haut que le trait n'arrive point jusqu'à lui. Un seigneur aristocratique en est percé de part en part. Aussi les décemvirs, qui formoient une aristocratie, punirent-ils de mort les écrits satiriques 2.

1. Lisez toujours : en France. Oui, en général, on faisait des écrits plutôt un sujet de police que de crime, ce qui n'empêchait pas qu'à l'occasion on ne pendît le libraire, et qu'on ne mît l'écrivain à la Bastille.

2. La loi des Douze Tables. (M.)

VIOLATION DE LA PUDEUR DANS LA PUNITION

DES CRIMES.

Il y a des règles de pudeur observées chez presque toutes les nations du monde : il seroit absurde de les violer dans la punition des crimes, qui doit toujours avoir pour objet le rétablissement de l'ordre.

Les Orientaux, qui ont exposé des femmes à des éléphants dressés pour un abominable genre de supplice, ont-ils voulu faire violer la loi par la loi?

Un ancien usage des Romains défendoit de faire mourir les filles qui n'étoient pas nubiles. Tibère trouva l'expédient de les faire violer par le bourreau avant de les envoyer au supplice'; tyran subtil et cruel, il détruisoit les mœurs pour conserver les coutumes.

Lorsque la magistrature japonoise a fait exposer dans les places publiques les femmes nues, et les a obligées de marcher à la manière des bêtes, elle a fait frémir la pudeur2; mais lorsqu'elle a voulu contraindre une mère..., lorsqu'elle a voulu contraindre un fils..., je ne puis achever, elle a fait frémir la nature même 3.

1. Suetonius, in Tiberio, c. LXI. (M.)

2. Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, t. V, part. 11. (M.)

3. Ibid., p. 496. (M.)

DE L'AFFRANCHISSEMENT DE L'ESCLAVE

POUR ACCUSER LE MAITRE.

Auguste établit que les esclaves de ceux qui auroient conspiré contre lui seroient vendus au public, afin qu'ils pussent déposer contre leur maître 1. On ne doit rien négliger de ce qui mène à la découverte d'un grand crime. Ainsi, dans un État où il y a des esclaves, il est naturel qu'ils puissent être indicateurs; mais ils ne sauroient être témoins.

Vindex indiqua la conspiration faite en faveur de Tarquin; mais il ne fut pas témoin contre les enfants de Brutus. Il étoit juste de donner la liberté à celui qui avoit rendu un si grand service à sa patrie; mais on ne la lui donna pas afin qu'il rendît ce service à sa patrie.

Aussi l'empereur Tacite ordonna-t-il que les esclaves ne seroient pas témoins contre leur maître, dans le crime même de lèse-majesté : loi qui n'a pas été mise dans la compilation de Justinien.

2

1. Dion, dans Xiphilin, liv. LV, c. v. (M.) Tacite, Annales, II, c. xxx,

et III, LXVII, attribue cette loi à Tibère.

2. Flavius Vopiscus, dans la Vie de l'empereur Tacite, c. 1x. (M.)

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