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DES PENSÉES.

Un Marsyas songea qu'il coupoit la gorge à Denys 1. Celui-ci le fit mourir, disant qu'il n'y auroit pas songé la nuit s'il n'y eût pensé le jour. C'étoit une grande tyrannie car, quand même il y auroit pensé, il n'avoit pas attenté. Les lois ne se chargent de punir que les actions extérieures.

1. Plutarque, Vie de Denys. (M.) Réunie à celle de Dion, c. I. 2. Il faut que la pensée soit jointe à quelque sorte d'action. (M.)

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Une loi d'Angleterre, passée sous Henri VIII, dé coupables de haute trahison tous ceux qui prédiroi mort du roi. Cette loi étoit bien vague. Le despotis si terrible qu'il se tourne même contre ceux qui l'ex Dans la dernière maladie de ce roi, les médecins n' jamais dire qu'il fût en danger, et ils agirent, sans en conséquence1.

1. Voyez l'Histoire de la réformation, par M. Burnet. (M.)

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DES PAROLES INDISCRÈTES.

Rien ne rend encore le crime de lèse-majesté plus arbitraire que quand des paroles indiscrètes en deviennent la matière. Les discours sont si sujets à interprétation, il y a tant de différence entre l'indiscrétion et la malice, et il y en a si peu dans les expressions qu'elles emploient, que la loi ne peut guère soumettre les paroles à une peine capitale, à moins qu'elle ne déclare expressément celles qu'elle y soumet'.

Les paroles ne forment point un corps de délit; elles ne restent que dans l'idée. La plupart du temps elles ne signifient point par elles-mêmes, mais par le ton dont on les dit. Souvent, en redisant les mêmes paroles, on ne rend pas le même sens; ce sens dépend de la liaison qu'elles ont avec d'autres choses. Quelquefois le silence exprime plus que tous les discours. Il n'y a rien de si équivoque que tout cela. Comment donc en faire un crime de lèse-majesté? Partout où cette loi est établie, nonseulement la liberté n'est plus, mais son ombre même3.

1. Si non tale sit delictum, in quod vel scriptura legis descendit, vel ad exemplum legis vindicandum est, dit Modestinus dans la loi 7, § 3, ff. ad leg. Jul. maj. (M.)

2. Blackstone, dans son Commentaire sur les lois anglaises, IV, 6, s'est appuyé de ce passage.

Dans le manifeste de la feue Czarine', donné contre la famille d'Olgourouki, un de ces princes est condamné à mort pour avoir proféré des paroles indécentes qui avoient du rapport à sa personne; un autre, pour avoir malignement interprété ses sages dispositions pour l'empire, et offensé sa personne sacrée par des paroles peu respectueuses3.

Je ne prétends point diminuer l'indignation que l'on doit avoir contre ceux qui veulent flétrir la gloire de leur prince; mais je dirai bien que, si l'on veut modérer le despotisme, une simple punition correctionnelle conviendra mieux dans ces occasions, qu'une accusation de lèsemajesté toujours terrible à l'innocence même1.

Les actions ne sont pas de tous les jours; bien des gens peuvent les remarquer une fausse accusation sur des faits peut être aisément éclaircie. Les paroles qui sont jointes à une action, prennent la nature de cette action. Ainsi un homme qui va dans la place publique exhorter les sujets à la révolte, devient coupable de lèse-majesté, parce que les paroles sont jointes à l'action, et y participent. Ce ne sont point les paroles que l'on punit; mais une action commise, dans laquelle on emploie les paroles. Elles ne deviennent des crimes que lorsqu'elles préparent, qu'elles accompagnent, ou qu'elles suivent une action criminelle. On renverse tout, si l'on fait des paroles un crime

1. Anne Ivanovna, czarine de Moscovie, 1693-1740. 2. En 1740. (M.)

3. Ivan Dolgorouki, favori de Pierre II, auquel il avait fiancé sa sœur Catherine, fut avec toute sa famille l'objet de la haine d'Anne et de Biren. Exilé en Sibérie, il fut accusé de correspondre avec l'étranger, et roué vif à Novogorod. Tout ce qui portait le nom de Dolgorouki fut envoyé en Sibérie ou à l'échafaud.

4. Nec lubricum linguæ ad pœnam facile trahendum est. Modestin, dans la loi 7, § 3, ff. ad leg. Jul. maj. (M.)

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