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DE LA MAUVAISE APPLICATION

DU NOM DE CRIME DE SACRILEGE

ET DE LÈSE-MAJESTÉ.

1

C'est encore un violent abus de donner le nom de crime de lèse-majesté à une action qui ne l'est pas. Une loi des empereurs poursuivoit comme sacriléges ceux qui mettoient en question le jugement du prince, et doutoient du mérite de ceux qu'il avoit choisis pour quelque emploi. Ce furent bien le cabinet et les favoris qui établirent ce crime. Une autre loi avoit déclaré que ceux qui attentent contre les ministres et les officiers du prince sont criminels de lèse-majesté, comme s'ils attentoient coutre le prince même. Nous devons cette loi à deux princes dont la foiblesse est célèbre dans l'histoire; deux princes qui furent menés par leurs ministres, comme les troupeaux sont conduits par les pasteurs; deux princes, esclaves dans le palais, enfants dans le conseil,

1. Gratien, Valentinien et Théodose. C'est la troisième au code de crim. sacril. (M.)

2. Sacrilegii instar est dubitare an is dignus sit quem elegerit imperator, ibid. Cette loi a servi de modèle à celle de Roger, dans les constitutions de Naples, tit. iv. (M.)

3. La loi cinquième, ad leg. jul maj. Code IX, tit. vIII. (M.)

4. Arcadius et Honorius. (M.)

étrangers aux armées; qui ne conservèrent l'empire que parce qu'ils le donnèrent tous les jours. Quelques-uns de ces favoris conspirèrent contre leurs empereurs. Ils firent plus ils conspirèrent contre l'empire; ils y appelèrent les Barbares; et quand on voulut les arrêter, l'État étoit si foible qu'il fallut violer leur loi et s'exposer au crime de lèse-majesté pour les punir.

C'est pourtant sur cette loi que se fondoit le rapporteur de monsieur de Cinq-Mars 1, lorsque, voulant prouver qu'il étoit coupable du crime de lèse-majesté pour avoir voulu chasser le cardinal de Richelieu des affaires, il dit « Le crime qui touche la personne des ministres des princes est réputé, par les constitutions des empereurs, de pareil poids que celui qui touche leur personne. Un ministre sert bien son prince et son État; on l'ôte à tous les deux; c'est comme si l'on privoit le premier d'un bras, et le second d'une partie de sa puissance. » Quand la servitude elle-même viendroit sur la terre, elle ne parleroit pas autrement.

Une autre loi de Valentinien, Théodose et Arcadius 3, déclare les faux monnoyeurs coupables du crime de lèsemajesté. Mais n'étoit-ce pas confondre les idées des choses? Porter sur un autre crime le nom de lèse-majesté, n'est-ce pas diminuer l'horreur du crime de lèse-majesté?

1. Mémoires de Montrésor, t. I. p. 238, éd. de Cologne, 1723. (M.) 2. Nam ipsi pars corporis nostri sunt. Même loi au code ad leg. Jul. maj. (M.)

3. C'est la neuvième au code Théod., de falsa moneta. (M.)

CONTINUATION DU MÈME SUJET.

Paulin ayant mandé à l'empereur Alexandre « qu'il se préparoit à poursuivre comme criminel de lèsemajesté un juge qui avoit prononcé contre ses ordonnances; » l'empereur lui répondit « que, dans un siècle comme le sien, les crimes de lèse-majesté indirects n'avoient point de lieu3. »

Faustinien ayant écrit au même empereur qu'ayant juré, par la vie du prince, qu'il ne pardonneroit jamais à son esclave, il se voyoit obligé de perpétuer sa colère, pour ne pas se rendre coupable du crime de lèse-majesté : « Vous avez pris de vaines terreurs', lui répondit l'empereur, et vous ne connoissez pas mes maximes. »

5

Un sénatus-consulte ordonna que celui qui avoit fondu des statues de l'empereur, qui auroient été réprouvées, ne seroit point coupable de lèse-majesté. Les empereurs Sévère et Antonin écrivirent à Pontius que celui

1. Alexandre Sévère.

2. A. B. Les crimes de majesté indirects, etc.

3. Etiam ex aliis caussis majestatis crimina cessant meo sæculo. L. 1, Cod. lib. IX, tit. vIII, ad leg. Jul. maj. (M.)

4. Alienam sectæ meæ sollicitudinem concepisti. L. 2, Cod. lib. III, tit. IV, ad leg. Jul. maj. (M.)

5. Voyez la loi 4, § 1, ff. ad leg. Jul. maj., liv. XLVIII, tit. iv. (M.)

6. C'est-à-dire mises au rebut.

qui vendroit des statues de l'empereur non consacrées, ne tomberoit point dans le crime de lèse-majesté 1. Les mêmes empereurs écrivirent à Julius Cassianus que celui qui jetteroit, par hasard, une pierre contre une statue de l'empereur, ne devoit point être poursuivi comme criminel de lèse-majesté. La loi Julie demandoit ces sortes de modifications: car elle avoit rendu coupable de lèse-majesté, non-seulement ceux qui fondoient les statues des empereurs, mais ceux qui commettoient quelque action. semblable3, ce qui rendoit ce crime arbitraire. Quand on eut établi bien des crimes de lèse-majesté, il fallut nécessairement distinguer ces crimes. Aussi le jurisconsulte Ulpien, après avoir dit que l'accusation du crime de lèsemajesté ne s'éteignoit point par la mort du coupable, ajoute-t-il que cela ne regarde pas tous les crimes de lèse-majesté établis par la loi Julie; mais seulement celui qui contient un attentat contre l'empire, ou contre la vie de l'empereurs.

1. Voyez la loi 5, § 2, ff. ad leg. Jul. maj. (M.)

2. Ibid., § 1. (M.)

3. Aliudve quid simile admiserint. Leg. 6, ff. ad leg. Jul. maj. (M.)

4. Dans la loi dernière, ff. ad leg. Jul. de adulteriis. (M.)

5. C'est ce qu'on appelle le crime de lèse-majesté au premier chef.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

Une loi d'Angleterre, passée sous Henri VIII, déclaroit coupables de haute trahison tous ceux qui prédiroient la mort du roi. Cette loi étoit bien vague. Le despotisme est si terrible qu'il se tourne mème contre ceux qui l'exercent. Dans la dernière maladie de ce roi, les médecins n'osèrent jamais dire qu'il fût en danger, et ils agirent, sans doute, en conséquence1.

1. Voyez l'Histoire de la réformation, par M. Burnet. (M.)

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