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attirât les Barbares, comme elle les avoit autrefois attirés en Italie1. Probus et Julien, qui ne les redoutèrent jamais, en rétablirent la plantation.

Je sais bien que, dans la foiblesse de l'empire, les Barbares obligèrent les Romains d'établir des étapes 2, et de commercer avec eux. Mais cela même prouve que l'esprit des Romains étoit de ne pas commercer.

existimans nimio vinearum studio negligi arva, edixit ne quis in Italia novellaret, utque in provinciis vineta succiderentur, relicta ubi plurimum dimidia parte; nec exsequi rem perseveravit. La raison donnée par Suétone est la plus probable; on ne peut admettre qu'au temps de Domitien on craignît à Rome une invasion de barbares. L'empire n'en était pas là. 1. Comme elle les avoit autrefois attirés en Italie, n'est pas dans A. B. 2. Voyez les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. (M.)

DU COMMERCE DES ROMAINS AVEC L'ARABIE

ET LES INDES.

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Le négoce de l'Arabie heureuse et celui des Indes furent les deux branches, et presque les seules, du commerce. extérieur. Les Arabes avoient de grandes richesses: ils les tiroient de leurs mers et de leurs forêts; et, comme ils achetoient peu, et vendoient beaucoup, ils attiroient 2 à eux l'or et l'argent de leurs voisins. Auguste 3 connut leur opulence, et il résolut de les avoir pour amis, ou pour ennemis. Il fit passer Elius Gallus d'Égypte en Arabie. Celui-ci trouva des peuples oisifs, tranquilles, et peu aguerris. Il donna des batailles, fit des siéges, et ne perdit que sept soldats; mais la perfidie des ses guides, les marches, le climat, la faim, la soif, les maladies, des mesures mal prises, lui firent perdre son armée.

1. A. B. Les Arabes étaient autrefois ce qu'ils sont aujourd'hui, également adonnés au négoce et au brigandage. Leurs immenses déserts d'un côté, et les richesses qu'on y allait chercher, produisaient ces deux effets. Ils trouvaient ces richesses dans leurs mers et dans leurs forêts, et comme ils vendaient beaucoup et achetaient peu, ils attiraient à eux l'or et l'argent des Romains. On commerce encore avec eux de la même manière. La caravane d'Alep et le vaisseau royal de Suez y portent des sommes

immenses.

2. Pline, livre VI, c. xxvш; et Strabon, livre XVI. (M.) 3. Ibid. (M.)

Il fallut donc se contenter de négocier avec les Arabes, comme les autres peuples avoient fait, c'est-à-dire de leur porter de l'or et de l'argent pour leurs marchandises. On commerce encore avec eux de la même manière; la caravane d'Alep et le vaisseau royal de Suez, y portent des sommes immenses 1.

La nature avoit destiné les Arabes au commerce; elle ne les avoit pas destinés à la guerre; mais lorsque ces peuples tranquilles se trouvèrent sur les frontières des Parthes et des Romains, ils devinrent auxiliaires des uns et des autres. Élius Gallus les avoit trouvés commerçants: Mahomet les trouva guerriers; il leur donna de l'enthousiasme, et les voilà conquérants 2.

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Le commerce des Romains aux Indes étoit considérable. Strabon avoit appris en Égypte qu'ils y employoient cent vingt navires ce commerce ne se soutenoit encore que par leur argent. Ils y envoyoient tous les ans cinquante millions de sesterces. Pline dit que les marchandises qu'on en rapportoit se vendoient à Rome le centuple. Je crois qu'il parle trop généralement : ce profit fait une fois, tout le monde aura voulu le faire; et, dès ce moment, personne ne l'aura fait.

On peut mettre en question s'il fut avantageux aux Romains de faire le commerce de l'Arabie et des Indes. Il falloit qu'ils y envoyassent leur argent, et ils n'avoient pas, comme nous, la ressource de l'Amérique, qui supplée à ce que nous envoyons. Je suis persuadé qu'une des

1. Les caravanes d'Alep et de Suez y portent deux millions de notre monnoie, et il en passe autant en fraude; le vaisseau royal de Suez y porte aussi deux millions. (M.)

2. A. B. n'ont point ce paragraphe.

3. Liv. II, p. 181, édit. de l'année 1587. (M.)

4. Liv. VI, c. XXIII. (M.)

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raisons qui fit augmenter chez eux la valeur numéraire des monnoies, c'est-à-dire établir le billon, fut la rareté de l'argent, causée par le transport continuel qui s'en faisoit aux Indes. Que si les marchandises de ce pays se vendoient à Rome le centuple, ce profit des Romains se faisoit sur les Romains mêmes, et n'enrichissoit point l'empire.

On pourra dire, d'un autre côté, que ce commerce procuroit aux Romains une grande navigation, c'est-à-dire une grande puissance; que des marchandises nouvelles. augmentoient le commerce intérieur, favorisoient les arts, entretenoient l'industrie; que le nombre des citoyens se multiplioit à proportion des nouveaux moyens qu'on avoit de vivre; que ce nouveau commerce produisoit le luxe, que nous avons prouvé être aussi favorable au gouvernement d'un seul que fatal à celui de plusieurs; que cet établissement fut de même date que la chute de leur république; que le luxe à Rome étoit nécessaire; et qu'il falloit bien qu'une ville qui attiroit à elle toutes les richesses de l'univers, les rendit par son luxe .

Strabon dit que le commerce des Romains aux Indes étoit beaucoup plus considérable que celui des rois d'Égypte; et il est singulier que les Romains, qui connoissoient peu le commerce, aient eu pour celui des Indes plus d'attention que n'en eurent les rois d'Égypte, qui l'avoient, pour ainsi dire, sous les yeux. Il faut expliquer ceci.

Après la mort d'Alexandre, les rois d'Égypte établirent

1. Montesquieu entend par là la baisse du titre et l'altération des monnoies, v. inf. XXII, xxIII.

2. Tout le reste du chapitre, à l'exception du dernier paragraphe, ne se trouve point dans A. B.

3. Il dit, au liv. II, que les Romains y employoient cent vingt navires; et au liv. XVII, que les rois grecs y en envoyoient à peine vingt. (M.)

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aux Indes un commerce maritime; et les rois de Syrie, qui eurent les provinces les plus orientales de l'empire, et par conséquent les Indes, maintinrent ce commerce, dont nous avons parlé au chapitre VI, qui se faisoit par les terres et par les fleuves, et qui avoit reçu de nouvelles facilités par l'établissement des colonies macédoniennes ; de sorte que l'Europe communiquoit avec les Indes, et par l'Égypte, et par le royaume de Syrie. Le démembrement qui se fit du royaume de Syrie, d'où se forma celui de Bactriane, ne fit aucun tort à ce commerce. Marin, Tyrien, cité par Ptolomée1, parle des découvertes faites aux Indes par le moyen de quelques marchands macédoniens. Celles que les expéditions des rois n'avoient pas faites, les marchands les firent. Nous voyons dans Ptolomée 2 qu'ils allèrent depuis la tour de Pierre 3 jusqu'à Séra : et la découverte faite par les marchands d'une étape si reculée, située dans la partie orientale et septentrionale de la Chine, fut une espèce de prodige. Ainsi, sous les rois de Syrie et de Bactriane, les marchandises du midi de l'Inde passoient par l'Indus, l'Oxus et la mer Caspienne, en occident; et celles des contrées plus orientales et plus septentrionales étoient portées depuis Séra, la tour de Pierre et autres étapes, jusqu'à l'Euphrate. Ces marchands faisoient leur route, tenant, à peu près, le quarantième degré de latitude nord, par des pays qui sont au couchant de la Chine, plus policés qu'ils ne sont aujourd'hui, parce que les Tartares ne les avoient pas encore infestés.

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Or, pendant que l'empire de Syrie étendoit si fort son

1. Liv. I, c. 11. (M.)

2. Liv. VI, c. XIII. (M.)

3. Nos meilleures cartes placent la tour de Pierre au centième degré de longitude, et environ le quarantième de latitude. (M.)

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