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de la mer, ils auroient le pouvoir de nuire aux autres sans qu'on pût leur nuire, tandis qu'ils seroient les maîtres de la mer. » Vous diriez que Xénophon a voulu parler de l'Angleterre.

Athènes, remplie de projets de gloire, Athènes, qui augmentoit la jalousie, au lieu d'augmenter l'influence; plus attentive à étendre son empire maritime qu'à en jouir; avec un tel gouvernement politique, que le bas peuple se distribuoit les revenus publics, tandis que les riches étoient dans l'oppression, re fit point ce grand commerce que lui promettoient le travail de ses mines, la multitude de ses esclaves, le nombre de ses gens de mer, son autorité sur les villes grecques, et plus que tout cela, les belles institutions de Solon. Son négoce fut presque borné à la Grèce et au Pont-Euxin, d'où elle tira sa subsistance.

Corinthe fut admirablement bien située : elle sépara deux mers, ouvrit et ferma la Péloponèse, et ouvrit et ferma la Grèce. Elle fut une ville de la plus grande importance, dans un temps où le peuple grec étoit un monde, et les villes grecques des nations. Elle fit un plus grand commerce qu'Athènes 3. Elle avoit un port pour recevoir les marchandises d'Asie; elle en avoit un autre pour recevoir celles d'Italie; car, comme il y avoit de grandes difficultés à tourner le promontoire Malée, où des vents opposés se rencontrent et causent des naufrages, on aimoit mieux aller à Corinthe, et l'on pouvoit même faire passer par terre les vaisseaux d'une mer à l'autre. Dans aucune ville on ne porta

1. A. Athènes, dis-je, ne fit point etc.
2. A. B. Corinthe sépara deux mers etc.
3. A. B. Elle fit un grand commerce.
4 Voyez Strabon, liv. VIII. (M.)

si loin les ouvrages de l'art. La religion acheva de corrompre ce que son opulence lui avait laissé de mœurs. Elle érigea un temple à Vénus, où plus de mille courtisanes furent consacrées. C'est de ce séminaire que sortirent la plupart de ces beautés célèbres dont Athénée a osé écrire l'histoire1.

Il paroît que, du temps d'Homère, l'opulence de la Grèce étoit à Rhodes, à Corinthe et à Orchomène. «< Jupiter, dit-il, aima les Rhodiens, et leur donna de grandes richesses. » Il donne à Corinthe3 l'épithète de riche.

De même, quand il veut parler des villes qui ont beaucoup d'or, il cite Orchomène, qu'il joint à Thèbes d'Égypte. Rhodes et Corinthe conservèrent leur puissance, et Orchomène la perdit. La position d'Orchomène, près de l'Hellespont, de la Propontide et du Pont-Euxin, fait naturellement penser qu'elle tiroit ses richesses d'un commerce sur les côtes de ces mers, qui avoient donné lieu à la fable de la toison d'or. Et effectivement, le nom de Miniares est donné à Orchomène et encore aux Argonautes. Mais comme, dans la suite, ces mers devinrent plus connues; que les Grecs y établirent un très-grand nombre de colonies; que ces colonies négocièrent avec les peuples barbares; qu'elles communiquèrent avec leur métropole; Orchomène commença à décheoir, et elle rentra dans la foule des autres villes grecques.

Les Grecs, avant Homère, n'avoient guère négocié qu'entre eux, et chez quelque peuple barbare; mais ils

1. Tout le reste du chapitre manque dans A. B.

2. Iliade, liv. II, vers 668. (M.)

3. Ibid., vers 570. (M.)

4. Ibid., liv. I, vers 381. Voyez Strabon, liv. IX, p. 414, édit. de 1620. (M.)

5. Strabon, liv. IX, p. 414. (M.)

étendirent leur domination à mesure qu'ils formèrent de nouveaux peuples. La Grèce étoit une grande péninsule dont les caps sembloient avoir fait reculer les mers, et les golfes s'ouvrir de tous côtés, comme pour les recevoir encore. Si l'on jette les yeux sur la Grèce, on verra, dans un pays assez resserré, une vaste étendue de côtes. Ses colonies innombrables faisoient une immense circonférence autour d'elle; et elle y voyoit, pour ainsi dire, tout le monde qui n'étoit pas barbare. Pénétra-t-elle en Sicile et en Italie, elle y forma des nations. Navigua-t-elle vers les mers du Pont, vers les côtes de l'Asie Mineure, vers celles d'Afrique; elle en fit de même. Ses villes acquirent de la prospérité, à mesure qu'elles se trouvèrent près de nouveaux peuples. Et, ce qu'il y avoit d'admirable, des îles sans nombre, situées comme en première ligne, l'entouroient encore.

Quelles causes de prospérité pour la Grèce, que des jeux qu'elle donnoit, pour ainsi dire, à l'univers; des temples, où tous les rois envoyoient des offrandes; des fêtes, où l'on s'assembloit de toutes parts; des oracles qui faisoient l'attention de toute la curiosité humaine; enfin, le goût et les arts portés à un point, que de croire les surpasser sera toujours ne les pas connoître?

D'ALEXANDRE. SA CONQUÈTE.

1

Quatre événements arrivés sous Alexandre firent dans le commerce une grand révolution : la prise de Tyr, la conquête de l'Égypte, celle des Indes et la découverte de la mer qui est au midi de ce pays.

L'empire des Perses s'étendoit jusqu'à l'Indus3. Longtemps avant Alexandre, Darius' avoit envoyé des navigateurs qui descendirent ce fleuve, et allèrent jusqu'à la mer Rouge. Comment donc les Grecs furent-ils les premiers qui firent par le midi le commerce des Indes? Comment les Perses ne l'avoient-ils pas fait auparavant? Que leur servoient des mers qui étoient si proches d'eux, des mers qui baignoient leur empire? Il est vrai qu'Alexandre conquit les Indes mais faut-il conquérir un pays pour y négocier? J'examinerai ceci.

1. A. B. Quatre grands événements arrivés sous Alexandre firent changer le commerce de face la prise de Tyr, etc.

2. A. B. ajoutent : Les Grecs d'Égypte se trouvèrent en situation de faire un très-grand commerce. Ils étoient maîtres des ports de la mer Rouge; Tyr, rivale de toute nation commerçante, n'étoit plus; ils n'étoient point gênés par les anciennes superstitions du pays (a); l'Égypte étoit devenue le centre de l'univers.

3. Strabon, liv. XV. (M.)

4. Hérodote, in Melpomene, iv, 44. (M.)

5. A. B. Des mers même qui baignoient leur empire.

E les leur donnoient de l'horreur pour les étrangers. (M.)

L'Ariane', qui s'étendoit depuis le golfe Persique jusqu'à l'Indus, et de la mer du midi jusqu'aux montagnes des Paropamisades, dependoit bien en quelque façon de l'empire des Perses; mais, dans sa partie méridionale, elle étoit aride, brûlée, inculte et barbare. La tradition portoit que les armées de Sémiramis et de Cyrus avoient péri dans ces déserts; et Alexandre, qui se fit suivre par sa flotte, ne laissa pas d'y perdre une grande partie de son armée. Les Perses laissoient toute la côte au pouvoir des Icthyophages, des Orittes et autres peuples barbares. D'ailleurs les Perses n'étoient pas navigateurs, et leur religion même leur ôtoit toute idée de commerce maritime. La navigation que Darius fit faire sur l'Indus et la mer des Indes fut plutôt une fantaisie d'un prince qui veut montrer sa puissance, que le projet réglé d'un monarque qui veut l'employer. Elle n'eut de suite, ni pour le commerce, ni pour la marine; et si l'on sortit de l'ignorance, ce fut pour y retomber 5.

Il y a plus il étoit reçu, avant l'expédition d'Alexandre, que la partie méridionale des Indes étoit inhabitable ce qui suivoit de la tradition que Sémiramis n'en avoit ramené que vingt hommes, et Cyrus que sept.

1. Strabon, liv. XV. (M.)

2. Ibid. (M.)

3. Pline, liv. VI, c. xxII; Strabon, liv. XV. (M.)

4. Pour ne point souiller les éléments, ils ne naviguoient pas sur les fleuves. M. Hyde, Religion des Perses. Encore aujourd'hui il n'ont point de commerce maritime, et ils trai:ent d'athées ceux qui vont sur mer. (M.) 5. A. B. Et on ne sortit de l'ignorance que pour y retomber. 6. Strabon, liv. XV. (M.)

7. Hérodote, in Melpomene, ch. XLIV, dit que Darius conquit les Indes. Cela ne peut être entendu que de l'Ariane: encore ne fut-ce qu'une conquête en idée. (M.)

8. Strabon, liv. XV. (M.)

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