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DE LA LIBERTÉ DU COMMERCE.

La liberté du commerce n'est pas une faculté accordée aux négociants de faire ce qu'ils veulent; ce seroit bien plutôt sa servitude. Ce qui gêne le commerçant, ne gêne pas pour cela le commerce 1. C'est dans les pays de la liberté que le négociant trouve des contradictions sans nombre; et il n'est jamais moins croisé par les lois que dans les pays de la servitude".

L'Angleterre défend de faire sortir ses laines; elle veut que le charbon soit transporté par mer dans la capitale; elle ne permet point la sortie de ses chevaux, s'ils ne sont coupés; les vaisseaux de ses colonies qui commercent en Europe, doivent mouiller en Angleterre. Elle gêne le négociant, mais c'est en faveur du commerce.

1. Autant vaudrait dire que ce qui nuit à l'abeille profite à la ruche. 2. Cela était vrai du temps de Montesquieu; mais ce système n'en était pas moins mauvais. Montesquieu a vu le commerce anglais et hollandais réussir malgré des entraves sans nombre; il a cru que le commerce réussissoit à cause de ces entraves. C'est une erreur. Franklin, le premier, a fait justice de ces sophismes qui ont duré jusqu'à nos jours.

3. Dans un pays sans industrie, comme la Turquie, il ne pouvait y avoir aucune raison de gêner le commerce. C'est l'esprit de monopole industriel (et la navigation est une industrie), qui dans les États d'Europe avait fait établir les prohibitions et les taxes à l'importation.

4. Acte de navigation de 1660. Ce n'a été qu'en temps de guerre que ceux de Boston et de Philadelphie ont envoyé leurs vaisseaux en droiture jusque dans la Méditerranée porter leurs denrées. (M.)

5. Cette dernière loi était en vigueur en France.

CE QUI DÉTRUIT CETTE LIBERTÉ.

Là où il y a du commerce, il y a des douanes. L'objet du commerce est l'exportation et l'importation des marchandises en faveur de l'État1; et l'objet des douanes est un certain droit sur cette même exportation et importation, aussi en faveur de l'État. Il faut donc que l'État soit neutre entre sa douane et son commerce, et qu'il fasse en sorte que ces deux choses ne se croisent point; et alors on y jouit de la liberté du commerce.

La finance détruit le commerce par ses injustices, par ses vexations, par l'excès de ce qu'elle impose: mais elle le détruit encore, indépendamment de cela, par les difficultés qu'elle fait naître, et les formalités qu'elle exige. En Angleterre, où les douanes sont en régie, il y a une facilité de négocier singulière un mot d'écriture fait les plus grandes affaires; il ne faut point que le marchand

1. Lisez en faveur du particulier. Le commerce se fait et doit se faire pour le bien et l'avantage du particulier; le bien qui en résulte pour l'État en doit être la conséquence. L'inverse de cette proposition, savoir que le commerce doit se faire en faveur de l'État, que l'avantage du particulier doit en être la conséquence, conduit à des maximes et à des règlements qui font perdre le commerce. La Hollande pourroit nous en fournir des exemples cela n'empêche point qu'il ne soit vrai que tout commerce qui tourne au mal-être de l'État, doit être prohibé. (Luzac.)

perde un temps infini et qu'il ait des commis exprès, faire cesser toutes les difficultés des fermiers, ou pour s'y soumettre 2.

pour

1. A. Ni qu'il n'y ait des commis exprès, etc.

2. Montesquieu oppose l'usage français qui donnait ferme ou à bail les traites ou droits de douane, à l'usage anglais qui mettait l'impôt en régie. Le ferme est une adjudication à forfait du revenu annuel de l'impôt. Le fermier, qui n'a que son intérêt particulier à faire valoir, pressure et vexe le contribuable pour obtenir la plus grosse somme d'impôt; tandis que l'État, qui a la régie dans ses mains, songe à l'intérêt public, et ménage la contribuable, de crainte que des exigences trop grandes ne nuisent à l'industrie générale, et que le trésor ne perde d'un côté ce qu'il gagne de l'autre. C'est le régime anglais qui est en vigueur dans les pays civilisés. V. sup. Liv. XIII, c. xix.

DES LOIS DE COMMERCE QUI EMPORTENT LA CONFISCATION

DES MARCHANDISES.

La grande chartre des Anglois1 défend de saisir et de confisquer, en cas de guerre, les marchandises des négociants étrangers, à moins que ce ne soit par représailles. Il est beau que la nation angloise ait fait de cela un des articles de sa liberté.

Dans la guerre que l'Espagne eut avec les Anglois en 1740, elle fit une loi qui punissoit de mort ceux qui introduiroient dans les États d'Espagne des marchandises d'Angleterre; elle infligeoit la même peine à ceux qui porteroient dans les États d'Angleterre des marchandises d'Espagne. Une ordonnance pareille ne peut, je crois, trouver de modèle que dans les lois du Japon. Elle choque nos mœurs, l'esprit du commerce et l'harmonie qui doit être dans la proportion des peines; elle confond toutes les idées, faisant un crime d'État de ce qui n'est qu'une violation de police.

1. Consentie par Jean Sans Terre au commencement du XIe siècle. 2. A. B. Eut contre les Anglois.

3. Publiée à Cadix au mois de mars 1740. (M.)

4. A. B. L'esprit de commerce.

DE LA CONTRAINTE PAR CORPS.

1

Solon ordonna à Athènes qu'on n'obligeroit plus le corps pour dettes civiles. Il tira cette loi d'Égypte; Bocchoris l'avoit faite, et Sésostris l'avoit renouvelée.

Cette loi est très-bonne pour les affaires 3 civiles ordinaires; mais nous avons raison de ne point l'observer dans celles du commerce. Car les négociants étant obligés de confier de grandes sommes pour des temps souvent fort courts, de les donner et de les reprendre, il faut que le débiteur remplisse toujours au temps fixé ses engagements: ce qui suppose la contrainte par corps.

Dans les affaires qui dérivent des contrats civils ordinaires, la loi ne doit point donner la contrainte par corps, parce qu'elle fait plus de cas de la liberté d'un citoyen

1. Plutarque, au traité, Qu'il ne faut point emprunter à usure, c. iv. (M.) 2. Diodore, liv. I, part. II, c. LXXIX. (M.)

3. Les législateurs grecs étoient blàmables, qui avoient défendu de prendre en gage les armes et la charrue d'un homme, et permettoient de prendre l'homme même. Diodore, liv. I, part. II, c. LXXIX. (M.)

4. Cette supposition n'est pas nécessaire. La crainte de la faillite et du déshonneur suffisent à garantir l'exactitude du débiteur. Il est vrai qu'au temps de Montesquieu, et même plus tard, on avoit d'autres idées. On considéroit l'abolition de la contrainte par corps comme la ruine du commerce. C'était un préjugé au-dessus duquel Montesquieu n'a pas sû s'élever.

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