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COMMENT ON A GENÉ QUELQUEFOIS LE COMMERCE

D'ÉCONOMIE.

On a fait, dans de certaines monarchies', des lois trèspropres à abaisser les États qui font le commerce d'économie. On leur a défendu d'apporter d'autres marchandises que celles du cru de leur pays: on ne leur a permis de venir trafiquer qu'avec des navires de la fabrique du pays où ils viennent.

Il faut que l'État qui impose ces lois puisse aisément faire lui-même le commerce: sans cela, il se fera pour le moins un tort égal. Il vaut mieux avoir affaire à une nation qui exige peu, et que les besoins du commerce rendent en quelque façon dépendante; à une nation qui, par l'étendue de ses vues ou de ses affaires, sait où placer toutes les marchandises superflues; qui est riche, et peut se charger de beaucoup de denrées; qui les paiera promptement; qui a, pour ainsi dire, des nécessités d'être fidèle; qui est pacifique par principe, qui cherche à gagner, et non pas à conquérir: il vaut mieux, dis-je, avoir aflaire à cette nation qu'à d'autres toujours rivales, et qui ne donneroient pas tous ces avantages 2.

1. C'est presque toujours de cette façon que Montesquieu désigne la France.

2. En d'autres termes : il vaudrait mieux pour la France avoir affaire aux Hollandais qu'aux Anglais.

DE L'EXCLUSION EN FAIT DE COMMERCE.

La vraie maxime est de n'exclure aucune nation de son commerce sans de grandes raisons. Les Japonois ne commercent qu'avec deux nations, la Chinoise et la Hollandoise. Les Chinois gagnent mille pour cent sur le sucre et quelquefois autant sur les retours. Les Hollandois fon des profits à peu près pareils. Toute nation qui se conduira sur les maximes japonoises, sera nécessairement trompée. C'est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises, et qui établit les vrais rapports entre elles.

Encore moins un État doit-il s'assujettir à ne vendre ses marchandises qu'à une seule nation, sous prétexte qu'elle les prendra toutes à un certain prix. Les Polonois ont fait pour leur bled ce marché avec la ville de Dantzick; plusieurs rois des Indes ont de pareils contrats pour les épiceries avec les Hollandois. Ces conventions ne sont propres qu'à une nation pauvre, qui veut bien perdre l'espérance de s'enrichir, pourvu qu'elle ait une subsistance assurée; ou à des nations dont la servitude consiste à renoncer à l'usage des choses que la nature leur avoit données; ou à faire sur ces choses un commerce désavantageux.

1. Le P. du Halde, t. II, p. 170.

3

2. Cela fut premièrement établi par les Portugais. Voyages de François Pyrard, chap. xv, part. II. (M.)

3. A. B. N'ont point les mots : Sur ces choses.

ÉTABLISSEMENT PROPRE AU COMMERCE D'ÉCONOMIE.

Dans les États qui font le commerce d'économie, on a heureusement établi des banques, qui, par leur crédit, ont formé de nouveaux signes des valeurs. Mais on auroit tort de les transporter dans les États qui font le commerce de luxe. Les mettre dans les pays gouvernés par un seul, c'est supposer l'argent d'un côté, et de l'autre la puissance : c'est-à-dire, d'un côté, la faculté de tout avoir sans aucun pouvoir; et de l'autre le pouvoir avec la faculté de rien du tout. Dans un gouvernement pareil, il n'y a jamais eu que le prince qui ait eu, ou qui ait pu avoir un trésor; et partout où il y en a un, dès qu'il est excessif, il devient d'abord le trésor du prince.

Par la même raison, les compagnies de négociants qui s'associent pour un certain commerce, conviennent rarement au gouvernement d'un seul. La nature de ces compagnies est de donner aux richesses particulières la force des richesses publiques. Mais, dans ces États, cette force ne peut se trouver que dans les mains du

1. Allusion à la banque de Hollande.
2. A. B. Ne conviennent pas, etc.
3. Par la création d'actions et de billets.

prince. Je dis plus elles ne conviennent pas toujours dans les États où l'on fait le commerce d'économie; et, si les affaires ne sont si grandes qu'elles soient au-dessus de la portée des particuliers, on fera encore mieux de ne point gêner, par des priviléges exclusifs, la liberté du commerce.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

Dans les États qui font le commerce d'économie, on peut établir un port franc. L'économie de l'État, qui suit toujours la frugalité des particuliers, donne, pour ainsi dire, l'âme à son commerce d'économie. Ce qu'il perd de tributs par l'établissement dont nous parlons, est compensé par ce qu'il peut tirer de la richesse industrieuse de la république. Mais, dans le gouvernement monarchique, de pareils établissements seroient contre la raison; ils n'auroient d'autre effet que de soulager le luxe du poids des impôts. On se priveroit de l'unique bien que ce luxe peut procurer, et du seul frein que, dans une constitution pare ille, il puisse recevoir.

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