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toujours nécessairement mêlées avec les affaires publiques. Mais, dans les monarchies, les affaires publiques sont, la plupart du temps', aussi suspectes aux marchands qu'elles leur paroissent sûres dans les États républicains. Les grandes entreprises de commerce ne sont donc pas pour les monarchies, mais pour le gouvernement de plusieurs 3,

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En un mot, une plus grande certitude de sa propriété, que l'on croit avoir dans ces États, fait tout entreprendre; et, parce qu'on croit être sûr de ce que l'on a acquis, on ose l'exposer pour acquérir davantage; on ne court de risque que sur les moyens d'acquérir: or, les hommes espèrent beaucoup de leur fortune.

Je ne veux pas dire qu'il y ait aucune monarchie qui soit totalement exclue du commerce d'économie; mais elle y est moins portée par sa nature. Je ne veux pas dire que les républiques que nous connaissons soient entièrement privées du commerce de luxe; mais il a moins de rapport à leur constitution 5.

Quant à l'État despotique, il est inutile d'en parler 6. Règle générale. Dans une nation qui est dans la servitude, on travaille plus à conserver qu'à acquérir. Dans une nation libre, on travaille plus à acquérir qu'à conserver.

1. A. B. N'ont point: la plupart du temps.

2. A. B. Dans les États libres.

3. A. B. Mais pour les États républicains.

4. A. B. Et parce que l'on est sûr de ce que l'on a acquis, etc.

5. Ce paragraphe n'est point dans A. B.

6. Cette phrase n'est point dans A. B.

DES PEUPLES QUI ONT FAIT LE COMMERCE

D'ÉCONOMIE.

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Marseille, retraite nécessaire au milieu d'une mer orageuse; Marseille, ce lieu où les vents, les bancs de la mer, la disposition des côtes ordonnent de toucher, fut fréquentée par les gens de mer. La stérilité de son territoire détermina ses citoyens au commerce d'économie. Il fallut qu'ils fussent laborieux, pour suppléer à la nature qui se refusoit; qu'ils fussent justes, pour vivre parmi les nations barbares qui devoient faire leur prospérité; qu'ils fussent modérés, pour que leur gouvernement fùt toujours tranquille; enfin qu'ils eussent des mœurs frugales, pour qu'ils pussent toujours vivre d'un commerce qu'ils conserveroient plus sûrement lorsqu'il seroit moins avantageux.

On a vu partout la violence et la vexation donner naissance au commerce d'économie, lorsque les hommes sont contraints de se refugier dans les marais, dans les îles, les bas fonds de la mer, et ses écueils même. C'est ainsi que Tyr, Venise, et les villes de Hollande furent fondées; les fugitifs y trouvèrent leur sûreté. Il fallut subsister; ils tirèrent leur subsistance de tout l'univers.

1. Justin, liv. XLIII, c. 11. (M.)

QUELQUES EFFETS D'UNE GRANDE NAVIGATION.

Il arrive quelquefois qu'une nation qui fait le commerce d'économie, ayant besoin d'une marchandise d'un pays qui lui serve de fonds pour se procurer les marchandises d'un autre, se contente de gagner très-peu, et quelquefois rien, sur les unes, dans l'espérance ou la certitude de gagner beaucoup sur les autres. Ainsi, lorsque la Hollande faisoit presque seule le commerce du midi au nord de l'Europe, les vins de France, qu'elle portoit au nord, ne lui servoient, en quelque manière, que de fonds pour faire son commerce dans le nord.

On sait que souvent, en Hollande, de certains genres de marchandise venue de loin ne s'y vendent pas plus cher qu'ils n'ont coûté sur les lieux mêmes. Voici la raison qu'on en donne un capitaine qui a besoin de lester son vaisseau prendra du marbre; il a besoin de bois pour l'arrimage, il en achetera: et pourvu qu'il n'y perde rien, il croira avoir beaucoup fait. C'est ainsi que la Hollande a aussi ses carrières et ses forêts.

Non-seulement un commerce qui ne donne rien peut être utile, un commerce même désavantageux peut l'être. J'ai ouï dire en Hollande que la pêche de la baleine, en

1. Ce chapitre n'est point dans A. B.

général, ne rend presque jamais ce qu'elle coûte : mais ceux qui ont été employés à la construction du vaisseau, ceux qui ont fourni les agrès, les apparaux, les vivres, sont aussi ceux qui prennent le principal intérêt à cette pêche. Perdissent-ils sur la pêche, ils ont gagné sur les fournitures. Ce commerce est une espèce de loterie, et chacun est séduit par l'espérance d'un billet noir1. Tout le monde aime à jouer; et les gens les plus sages jouent volontiers, lorsqu'ils ne voient point les apparences du jeu, ses égarements, ses violences, ses dissipations, la perte du temps, et même de toute la vie.

1. C'est-à-dire d'un billet qui gagne.

ESPRIT DE L'ANGLETERRE SUR LE COMMERCE.

L'Angleterre n'a guère de tarif réglé avec les autres nations'; son tarif change, pour ainsi dire, à chaque parlement, par les droits particuliers qu'elle ôte, ou qu'elle impose. Elle a voulu encore conserver sur cela son indépendance. Souverainement jalouse du commerce qu'on fait chez elle, elle se lie peu par des traités, et ne dépend que de ses lois.

D'autres nations ont fait céder des intérêts du commerce à des intérêts politiques : celle-ci a toujours fait céder ses intérêts politiques aux intérêts de son commerce.

C'est le peuple du monde qui a le mieux su se prévaloir à la fois de ces trois grandes choses: la religion, le commerce et la liberté.

1. C'est-à-dire de traités de commerce.

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