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DES LOIS

OU DU RAPPORT QUE LES LOIS DOIVENT AVOIR AVEC LA CONSTITUTION DE CHAQUE GOUVERNEMENT

LES MOEURS, LE CLIMAT,

LA RELIGION, LE COMMERCE, ETC.

A QUOI L'AUTEUR A AJOUTÉ

DES RECHERCHES NOUVELLES SUR LES LOIS ROMAINES TOUCHANT LES SUCCESSIONS

SUR LES LOIS FRANÇAISES ET SUR LES LOIS

FÉODALES

NOUVELLE ÉDITION

CORRIGÉE PAR L'AUTEUR

ET AUGMENTÉE D'UNE TABLE DES MATIÈRES ET D'UNE CARTE
GÉOGRAPHIQUE, POUR SERVIR

A L'INTELLIGENCE DES ARTICLES QUI CONCERNENT LE COMMERCE

TOME SECOND

Docuit quæ maximus Allas.

A GENÈVE

CHEZ BARILLOT ET FILS

MDCCXLIX

On s'est beaucoup occupé de l'épigraphe du tome Ier : Prolem sine matre creatam, on n'a rien dit de celle du tome second. Il me paraît évident que le sens en est: Ce que m'a enseigné l'étude de la nature et de ses lois immuables.

Cithara crinitus Iopas

Personat aurata docuit quæ maximus Atlas.

Hic canit errantem lunam, solisque labores;

Unde hominum genus et pecudes, unde imber et ignes;
Arcturum, pluviasque Hyadas, geminosque Triones;
Quid tantum Oceano properent se tingere soles
Hiberni, vel quæ tardis mora noctibus obstet.

VIRGILE, Eneid., I, 740 et suiv.

LIVRE VINGTIÈME.

DES LOIS

DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC LE COMMERCE CONSIDÉRÉ DANS SA NATURE

ET SES DISTINCTIONS.

INVOCATION AUX MUSES1.

Vierges du mont Piérie, entendez-vous le nom que je vous donne? Inspirez-moi. Je cours une longue carrière;

1. Dans les éditions de l'Esprit des lois, publiées du vivant de Montesquieu, il y avait deux parties, et cette invocation devait figurer en tête de la seconde partie qui commençait au XXe livre. Mais Jacob Vernet, de Genève, qui s'était chargé de revoir les épreuves de l'Esprit des lois, et qui eut plus d'une fois la maladresse de corriger Montesquieu, trouva que cette invocation serait déplacée, et engagea l'auteur à la supprimer.

Montesquieu lui répondit : « A l'égard de l'Invocation aux Muses, elle a contre elle que c'est une chose singulière dans cet ouvrage et qu'on n'a point encore faite; mais quand une chose singulière est bonne en ellemême, il ne faut pas la rejeter pour la singularité qui devient elle-même une raison de succès; et il n'y a point d'ouvrage où il faille plus songer à délasser le lecteur que dans celui-ci, à cause de la longueur et de la pesanteur des matières. »>

La raison était bonne; cependant Montesquieu se résigna à écouter son Aristarque, et il lui écrivit quelques jours après : « J'ai été incertain au sujet de l'Invocation, entre un de mes amis qui voulait qu'on la laissât, et

je suis accablé de tristesse et d'ennui1. Mettez dans mon esprit ce charme et cette douceur que je sentois autrefois et qui fuit loin de moi. Vous n'êtes janais si divines que quand vous menez à la sagesse et à la vérité par le plaisir.

Mais, si vous ne voulez point adoucir la rigueur de mes travaux, cachez le travail même; faites qu'on soit instruit, et que je n'enseigne pas ; que je réfléchisse, et que je paroisse sentir; et lorsque j'annoncerai des choses nouvelles, faites qu'on croie que je ne savois rien, et que vous m'avez tout dit.

Quand les eaux de votre fontaine sortent du rocher que vous aimez, elles ne montent point dans les airs pour retomber; elles coulent dans la prairie; elles font vos délices, parce qu'elles font les délices des bergers.

Muses charmantes, si vous portez sur moi un seul de vos regards, tout le monde lira mon ouvrage; et ce qui ne sauroit être un amusement sera un plaisir.

Divines Muses, je sens que vous m'inspirez, non pas ce qu'on chante à Tempé sur les chalumeaux, ou ce qu'on répète à Délos sur la lyre; vous voulez que je parle à la aison; elle est le plus parfait, le plus noble et le plus exquis de nos sens.

vous qui vouliez qu'on l'òtât. Je me range à votre avis, et bien fermement, et vous prie de ne la pas mettre a. »>

On nous pardonnera d'ètre restés fidèles au premier sentiment de Montesquieu. On ne comprendra jamais le génie de ce grand homme si l'on veut séparer l'auteur de l'Esprit des lois de l'auteur des Lettres persanes et du Temple de Gnide.

1.

Narrate puellæ

Pierides; prosit mihi vos dixisse puellas.

(JUVENAL, Satire IV, vers 35-36.) (M.)

a Ces pièces curieuses nous ont été conservées dans le Mémoire historique sur la vie et les ouvrages de Jacob Vernet. Genève, 1790.

DU COMMERCE.

Les matières qui suivent demanderoient d'être traitées avec plus d'étendue; mais la nature de cet ouvrage ne le permet pas. Je voudrois couler sur une rivière tranquille; je suis entraîné par un torrent

Le commerce guérit des préjugés destructeurs; et c'est presque une règle générale, que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce; et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces.

Qu'on ne s'étonne donc point si nos mœurs sont moins féroces qu'elles ne l'étoient autrefois. Le commerce a fait que la connoissance des mœurs de toutes les nations a pénétré partout: on les a comparées entre elles, et il en a résulté de grands biens.

On peut dire que les lois du commerce perfectionnent les mœurs, par la même raison que ces mêmes lois perdent les mœurs. Le commerce corrompt les mœurs pures1: c'étoit le sujet des plaintes de Platon : il polit et adoucit les mœurs barbares, comme nous le voyons tous les jours.

1. César dit des Gaulois, que le voisinage et le commerce de Marseille les avoit gâtés de façon qu'eux, qui autrefois avoient toujours vaincu les Germains, leur étoient devenus inférieurs. Guerre des Gaules, liv. VI, c. xx111. (M.)

2. Les mœurs pures de Platon sont celles d'un couvent, où règne la communauté des biens, sinon même celle des femmes. C'est une utopie. En fait, on ne voit pas que les peuples commerçants aient de plus mauvaises mœurs que les peuples qui ne font rien.

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